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Montravel : Gaëlle Reynou-Gravier, vigneronne engagée face aux risques climatiques et pour la place des femmes de vin

Photo illustrative de la personne interviewée dans la page : Gaelle Reynou Gravier, vigneronne de Montravel.
Gaëlle Reynou-Gravier, membre de l’Interprofession des Vins de Bergerac et Duras. © Raphaël Reynier

Gaëlle Reynou-Gravier est à la tête du domaine familial de Perreau, au cœur de l’appellation Montravel, depuis 2013. La viticultrice dresse le bilan d’une année 2023 partagée entre l’impact du changement climatique, toujours plus visible sur ses 27 hectares de vignes bio, et l’implication collective toujours plus nécessaire. Parmi les combats qu’elle mène de front, la promotion de la place des femmes dans le milieu du vin et l’adaptation à la menace des nuisibles tels que le mildiou.

Entretien.

Présentez-nous votre exploitation ?

Nous avons 27 hectares en bio à Saint-Michel-de-Montaigne où nous déclinons tous les vins de l’appellation Montravel, à l’exception des liquoreux. Nous produisons aussi des vins de Bergerac en rouge et en rosé. Nous vendons 70 000 bouteilles par an, pour une production annuelle de 100 000 bouteilles. L’exportation représente 10% de nos ventes. Pour le reste, nos principaux clients sont les cavistes, les restaurants, les grossistes. Nous effectuons aussi la vente aux particuliers au domaine, bien que la demande directe soit très chronophage. Au Domaine, nous avons un salarié permanent, trois contrats saisonniers et mon père qui m’aide de temps à autre.

Qu’est-ce qui fait la particularité de vos vins ?

Notre volonté est de travailler sur la qualité. Depuis 10 ans, le but est que toutes les cuvées respectent le terroir du Montravel et ses jolis prés minéraux de silex et de calcaire. 

Ici, nous misons davantage sur la finesse que sur la puissance. Pour y arriver, je travaille avec un conseiller viticole et un œnologue. Nous formons un trio au niveau de la stratégie, notamment pour juger de la maturité des raisins et pour élaborer les profils de vins les plus adaptés à la demande.

Quelles sont les principales difficultés de votre métier ?

Entre la pluie et le gel, nous sommes malheureusement tous tributaires de la nature. Elle a le dernier mot. Être en bio pose également quelques difficultés. Nos vignes étant situées en hauteur, nous avons moins de risques de gel mais nous n’en sommes pas totalement protégés non plus.

CUVÉE 2023 : LE VIN BLANC ÉPARGNÉ, LE VIN ROUGE VICTIME DU CLIMAT ET DU MILDIOU

Comment s’annonce cette cuvée 2023 ?

Pour les vins blancs, nous avons eu une superbe récolte en quantité et en qualité. Après plusieurs années avec des gels printaniers critiques, cette année a été plus clémente.

En rouge, il y a eu une forte pression sur le vignoble du Montravel et sur le Bergeracois. Un épisode de pluie intense a particulièrement frappé le Merlot, dont la récolte a été divisée par deux entre la grosse destruction des grappes de raisin et les dégâts causés par le mildiou.

Qu’est-ce qui explique la prolifération de plus en plus intense du mildiou ?

Entre mai et juin, nous avions une très forte humidité, notamment le matin, à laquelle s’ajoutaient des orages chaque soir. Il y a même un moment où nous avions 20 mm de précipitations presque tous les jours. Le climat était quasiment tropical, avec de très fortes pluviométrie et hydrométrie. Et ce, à un moment où la vigne était très sensible.

En tant que vignoble bio, j’applique du cuivre en bouillie bordelaise avant la pluie. Or, il était compliqué de trouver le bon moment car il faut aussi tenir compte de l’humidité qui aide le champignon à se développer. 

Et comme la nature est intelligente, elle contourne la problématique que sont nos produits de traitement. Le champignon est de plus en plus résistant et nous avons de moins en moins de moyens pour lutter contre. Dites-vous que certains collègues n’ont même pas pu vendanger du tout pour la première fois de leur vie, à cause d’un mildiou très très violent. Au moins, on sait maintenant que l’humidité est comme la pluie.

On parle beaucoup du changement climatique, quel impact a-t-il sur votre activité ?

Très concrètement, toutes les feuilles étaient encore là début novembre. En temps normal, il n’y a plus de feuilles à cette période. Il faut savoir que sans un hiver très rigoureux, la vigne ne se met pas totalement en repos. Aux premières chaleurs précoces, fin mars, les feuilles sortent. Sauf qu’en avril, il gèle. Parfois, on perd déjà 10% des récoltes finales au tout début du printemps. Puis, comme il n’y a pas beaucoup d’eau pendant les mois d’été et que la pluie revient d’un coup, ça impacte nos cultures. On perd encore davantage de récoltes, avec des phénomènes climatiques qui s’amplifient, toujours plus extrêmes. Cela offre aux nuisibles les conditions parfaites pour se développer. Le ver de grappe est très fort en ce moment. Il perce les raisins et les détruit. Face au climat et aux insectes, on ne peut pas se voiler la face.

© Loïc Mazalrey

QUELLES SOLUTIONS FACE AUX DÉGÂTS NATURELS ?

Comment vous adaptez-vous à l’impact du changement climatique et aux dégâts causés par les nuisibles ?

Pour contrer le mildiou, il a fallu récolter en très peu de temps et louer une machine de tri densimétrique. Elle permet de trier les baies et les feuilles. Les morceaux de mildiou flottent à la surface et nous pouvons ainsi les enlever pour éviter que les baies sèches de mildiou n’aillent dans la cuve. Ça ne sauve pas toute la cuvée de l’année, loin de là. Cette année, je ne ferais pas mon haut de gamme par exemple. Mais la récolte sera suffisante pour les gammes de vins Bergerac en rouge et en rosé.

Quant au climat, c’est très compliqué de s’adapter. On subit. 

Pour essayer de diminuer l’impact des fortes chaleurs, je réalise des couverts végétaux dans mes vignes avec des céréales légumineuses qui font tampon. Nous sommes aussi tous équipés de stations météo que nous consultons régulièrement pour être prêts à appliquer les traitements dans les vignes.

Selon vous, où se trouve le « juste » équilibre entre la préservation de la nature et la sécurité de votre activité économique ?

Le juste équilibre est difficile à trouver. Être en bio est naturel pour moi même si je sais que cela peut fragiliser mon entreprise car le filet de sécurité est moins dense. Face aux pertes liées au climat et aux nuisibles, il y a des assurances mais elles sont trop chères pour moi par exemple.

Pour développer votre activité économique, vous devez partager votre temps entre la partie agricole et la partie commerciale. Comment gérez-vous cette ambivalence ?

Je suis toujours tentée de rester à la technique en négligeant la partie commerciale. Je suis plus à l’aise dans mes vignes ou mon chai mais l’un ne va pas sans l’autre… Aujourd’hui, il faut savoir vendre son vin. Car on a beau faire un bon vin, il faut aller à la rencontre des professionnels et particuliers pour raconter notre histoire et faire déguster. C’est essentiel. Mais pour moi, le vin doit avant tout être de qualité. Et cela passe par un vignoble en bonne santé.

© Loïc Mazalrey

LES COLLECTIFS DE VIGNERONS : “C’EST RAREMENT POUR NOTRE PROPRE ACTIVITÉ QU’ON TRAVAILLE”

Vous faites partie du syndicat des vins de Montravel ? En quoi c’est important de se rassembler entre acteurs d’un même secteur ?

Je suis d’un tempérament collectif, j’aime partager mes idées et mes actions. Je fais partie du syndicat des Vins de Montravel. J’ai aussi monté SO Femme&Vin, le premier réseau de femmes de vin du Sud-Ouest. Et depuis mars 2023, je suis aussi vice-présidente de l’association nationale Femme de Vin. Je trouve qu’on est plus forts à plusieurs.

Vous êtes donc présidente de l’association Sud Ouest Femme et vin, que vous avez créée en 2014. Quel regard portez-vous sur la place de la femme dans les métiers du vin ? 

Je constate que les femmes arrivent mieux à défendre leur place. Mais s’il n’y avait plus aucun problème, ce genre d’associations n’existerait pas.

Il faut parfois encore se battre pour se faire reconnaître auprès des siens et auprès des fournisseurs de la filière. Mais pour moi, être une femme est une force car les clients apprécient que je sois à la tête de mon exploitation.

Qu’est-ce que cela implique de faire partie de ces collectifs tandis que vous menez une activité indépendante ?

Cela demande d’être présent aux réunions, de partager son humeur et ses idées. Mais quand on a l’esprit collaboratif ce n’est pas un effort. Et en retour, nous avons accès à des échanges nourris, de la communication collective et un réseau d’entraide.

C’est rarement pour notre propre activité que l’on travaille. On sait que c’est pour des idées plus générales.

Si vous aviez une baguette magique, quels sont les besoins essentiels que vous souhaiteriez débloquer pour faciliter votre activité au quotidien ?

La seule chose qui ternit notre quotidien c’est le climat qui nous fragilise et nous malmène. Mais malheureusement, nous n’avons pas de baguette magique. Il faut être résilient dans notre domaine.

Propos recueillis en décembre 2023 par Valentin Nonorgue.