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Montravel : unir les vignerons indépendants, une mission qui profite à l’appellation

Crédit : Loïc Mazalrey

En Grand Bergeracois, la viticulture occupe une place primordiale dans l’économie du territoire. Parmi les sept familles d’appellations des vins de Bergerac et Duras, le Montravel s’étend sur 14 communes. Les 40 vignerons indépendants producteurs de Montravel se sont regroupés pour faire valoir leurs intérêts collectifs et renforcer la puissance de l’appellation.

Jean-François Ley est président du Syndicat des Vignerons de Montravel. Il fait le point sur les spécificités des ces vins, l’enclavement géographique de ce terroir situé tout à l’ouest de la Dordogne, et l’importance de coopérer pour faire fleurir les affaires individuelles des petits producteurs locaux. Entretien.

PRÉSENTATION ET CONSTAT DE BASE

Quelles sont les particularités des vins Montravel ?

Pour vous donner un ordre d’idée, nous vendons environ 1 million de bouteilles par an, dont deux tiers en blanc et un tiers en rouge. En blanc, nous avons 3 versions différentes : les blancs secs en AOP (Appellation d’origine protégée) Montravel, les blancs moelleux en Côtes de Montravel, les blancs liquoreux en Haut Montravel. Pour le rouge, l’AOP a été reconnue en 2001. Nous produisons des rouges haut de gamme pour la région, composés au minimum à 80% de Merlot. Qui dit haut de gamme dit cahier des charges extrêmement restrictif. Que ce soit sur les densités de plantation, le nombre de pieds à l’hectare, la vinification bien sûr, mais aussi sur le mode d’élevage. On ne peut pas commercialiser les vins moins de 2 ans après les avoir ramassés.

Dans une région où l’identité vigneronne est forte : entre les Bordeaux, mondialement connus, et les Bergerac, Monbazillac et Pécharmant… Quel regard le syndicat porte-t-il sur cette concurrence ?

Dans le vin, on n’est jamais concurrent avec ses voisins. C’est un vieil adage. À la limite nos concurrents sont dans le Val de Loire, le Languedoc-Roussillon. Ou à l’étranger sur le marché du vin blanc, que ce soit en en Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande ou aux États-Unis par exemple. Le point à souligner est que la place de Bordeaux est très forte, du fait de ses producteurs de haut de gamme et de ses négociants très forts. Ce qui n’est pas forcément le cas en Dordogne. Il y a des négociants périgourdins, mais pas aussi développés que sur d’autres régions viticoles. Cela peut freiner pour pousser nos vins dans tout le circuit de distribution, en France comme à l’étranger.

Vous êtes situés à l’extrémité ouest de la Dordogne, très proche de la Gironde. Comment jugez-vous votre position géographique ?

On a parfois le sentiment d’être un peu enclavé. À l’ouest de la Dordogne, nous ne sommes ni au cœur du Périgord noir, qui est la tête touristique, ni au cœur des décisions du territoire entre Bergerac et Périgueux. Ce qui fait qu’on n’est pas forcément toujours bien intégré à la réflexion locale. Donc quand je rencontre les politiques du conseil départemental et de la préfecture, je leur demande de mettre des vins Montravel à la carte de leur restaurant. C’est aussi le rôle d’un syndicat de faire en sorte que les gens sachent qu’on fait des bons vins.

Crédit : Loïc Mazalrey

LE SYNDICAT ET SES ACTIONS

Quel constat a mené au lancement du syndicat des vignerons Montravel ?

Quand on est petit comme nous, c’est plus facile de se regrouper pour peser et mener à un certain nombre d’actions. Sur le plan technique, nous sommes un des rares syndicats en France à avoir un double agrément pour l’aptitude à l’élevage et pour l’aptitude à la mise en bouteille. Puis nous tendons à construire une image et une identité forte. Donc on intervient sur les questions de condition, de production, de régulation du marché mais aussi sur des opérations de promotion en commun. 

Qui participe à la vie du syndicat ?

Nous fonctionnons sur un mode associatif classique. Chaque membre cotise à un montant plus ou moins élevé selon la surface viticole exploitée et la taille de l’entreprise. Sans salarié direct et avec les petits moyens qui sont les nôtres, il est primordial de travailler avec tout notre environnement. Les communautés de communes de notre appellation nous soutiennent, à la fois financièrement et dans notre réflexion sur l’animation de notre territoire. Nous travaillons avec l’interprofession des vins de Bergerac et Duras, notamment sur les opérations de promotions et de réflexions stratégiques. Et puis nous collaborons aussi avec les services de l’État. 

Quel est le rôle du syndicat au quotidien ?

Comme tous les syndicats viticoles, nous veillons au respect des règles en matière de production des vins. Ensuite, nous nous réunissons chaque année pour savoir quel est notre rendement, comment se porte le millésime, quelles sont les nouvelles techniques utilisées dans les vignes ou dans les chais. Et nous réfléchissons aux moyens de nous améliorer collectivement. Sur le plan économique, nous regardons l’évolution du marché et nous entretenons les relations avec les négociants en vin et avec tout notre environnement de distribution. Pour les questions de promotion, nous travaillons aussi les relations avec nos clients et avec les prescripteurs. 

Pour les vignerons, qu’est-ce que ça change de faire partie d’un syndicat ?

Je vais prendre l’exemple de la négociation. Si vous montez une opération avec un verrier où vous avez un million de bouteilles porteuses, vous n’avez pas les mêmes leviers de négociation si vous en avez 100 000 ou si vous en avez 3 000. Ça donne du poids à nos actions et aux négociations dans le cadre de coopérations avec les acteurs locaux du territoire et avec les différents partenaires.

Cela nous donne aussi plus d’options lors des événements autour du vin. Quand on arrive sur un salon ou lors d’une opération de dégustation, cela permet d’être présent à 5 ou 10 vignerons sur les 40 du syndicat. Le contact direct est établi avec les consommateurs, qui veulent de plus en plus voir les têtes des viticulteurs à qui ils achètent. La notoriété de notre appellation est ainsi impactée positivement.

Crédit : Loïc Mazalrey

COOPÉRER ENTRE INDÉPENDANTS : UN CHALLENGE, DES PROFITS

Quel est le principal challenge pour une entité collective comme le syndicat quand on regroupe des producteurs indépendants ?

Il y en a trois. D’abord, il faut être à l’écoute des préoccupations de nos différents membres. Je fais des consultations fréquentes sur leurs attentes et leurs volontés d’actions. 

Deuxième point, c’est d’être au carrefour des avis. Car dans un collectif, il y a forcément des avis qui peuvent être divergents. L’idée est de faire une synthèse des retours qu’on a et d’appuyer sur les facteurs clés de réussite. Soit les deux ou trois éléments qui permettront de mobiliser l’ensemble des participants pour le plan d’action mis en place. Ainsi, on ne laisse personne dans son coin mais on ne se lance pas dans des projets déconnectés de la réalité.

Et le troisième point, c’est un rôle d’ambassadeur. Une fois que tout est clairement défini, il faut être le porte-parole des vignerons auprès des financeurs, des organismes publics, des distributeurs, des chaînes de restauration, etc. Enfin, il faut revenir vers tout le monde pour présenter les résultats. Et remettre les membres sur la route d’une nouvelle opération.

Avez-vous un projet où il a fallu revoir les ambitions en fonction des impératifs individuels des vignerons syndiqués ?

Je vais prendre l’exemple du festival l’Été de Musiques en Montravel, qu’on a lancé en collaboration avec l’association Musiques en Montravel il y a deux ans. Au départ, l’idée était de l’étendre sur une semaine avec un certain nombre de vignerons présents chaque jour pour faire découvrir nos produits. Mais le fait que nos adhérents soient pris dans leur activité nous a amenés à organiser les festivités sur deux jours. Mais deux jours efficaces où ils étaient vraiment présents pour promouvoir leur propre château… Et donc l’appellation Montravel.

Il existe de nombreuses caves coopératives dans le Grand Bergeracois comme à Monbazillac ou à Sigoulès. Mais pas à Montravel. Pourquoi ?

Il y en avait par le passé. Mais la dernière, située à Port-Sainte-Foy, a fermé. En réalité, être vigneron indépendant et vigneron en coopérative, ce n’est pas le même métier. La coopérative est beaucoup plus contraignante. En cave coopérative, vous cultivez et récoltez vos raisins. Mais pour la suite du processus, les vignerons ne sont plus impliqués. Il y a une équipe de vinificateurs et une autre pour la commercialisation. Un vigneron coopérateur est payé en fonction des rentes de la coopérative et sur les raisins qu’il apporte. Un vigneron indépendant est payé sur ce que lui achètent ses clients. D’ailleurs, un syndicat de vignerons peut représenter plusieurs caves coopératives. Ce sont des structures complémentaires. Par exemple, la coopérative Alliance Aquitaine achète des raisins à certains vignerons indépendants de notre syndicat afin de produire du Montravel. Rien n’est incompatible.

Se rassembler entre professionnels du même secteur est aussi le moyen de questionner les pratiques du métier : un exemple de réflexion au sein du syndicat de Montravel ?

On vient de lancer une réflexion sur comment mieux valoriser et mieux travailler la question de l’eau. Nous avons réalisé deux ou trois réunions avec l’ensemble des vignerons. Nous allons lancer une étude hydrologique sur l’ensemble de l’appellation. Pour valoriser notre patrimoine de cours d’eau avec la Dordogne et l’Isle et pour comprendre l’impact du patrimoine naturel lié à l’eau sur notre terroir, qui se distingue par son côté assez frais. Au niveau national, l’irrigation des vignes est un grand sujet d’actualité. Mais ce n’est pas notre préoccupation puisqu’on a déjà cette irrigation naturelle du terroir. 

Il y a aussi le sujet de la récupération d’eau via les toitures des chais, par exemple. Mais pour rendre l’eau potable, il faut investir dans du matériel très cher. Donc nous sommes en train d’étudier le partage des coûts entre des financements européens, nationaux, régionaux, locaux et les entreprises. Il faut faire en sorte que ces réserves d’eau pour l’autosuffisance de nos exploitations soient à la fois économiquement viables et écologiquement impactantes.

AMÉLIORATIONS ET BESOINS

Pour appuyer ses actions, quels sont les principaux besoins du  syndicat ?

D’abord, et en précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, nous avons besoin qu’un maximum de personnes, surtout locales, s’intéressent aux vins de Montravel. Ensuite, nous avons les compétences pour monter des opérations à impact national voire international. Mais il nous manque souvent des moyens. Si parmi vos lecteurs, il y a un mécène, je souligne que nous avons la capacité à défiscaliser les dons. Donc si quelqu’un souhaite par exemple s’intéresser à notre initiative de musique classique sur le territoire rural en association avec les vins Montravel, il est le bienvenu.

Quel conseil donneriez-vous à un groupe de vignerons qui veut lancer un syndicat ?

Favoriser la convivialité entre les membres et avec les contacts que vous pouvez avoir. Ça peut se faire par des apéritifs améliorés en clôture des réunions par exemple. Il ne faut pas être enfermé sur soi, il ne faut pas penser qu’on a la science infuse. Et il ne faut pas penser non plus que l’indépendance est source de totale satisfaction. Quand on travaille en coopération les uns avec les autres, on avance dans le bon sens.