Limoges : végétaliser les façades pour endiguer le réchauffement climatique et impliquer les citoyens

Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à la politique de végétalisation des façades pratiquée à Limoges, en Haute-Vienne, depuis 2021. Dans un souci de limiter les effets du réchauffement climatique à l’ère de l’urbanisation massive, la ville incite ses habitants à habiller les façades de leurs propriétés avec des plantes.

Nous vous proposons une interview croisée entre Isabelle Lecomte-Chaulet, élue à la ville de Limoges déléguée de la végétalisation, et Sandrine P., agent technique à la ville de Limoges en charge de la végétalisation des façades.

Mise en place du projet

En quoi consiste le projet de végétalisation des façades lancé sur la ville de Limoges ?

Sandrine P. – La ville de Limoges propose à ses habitants l’accès à la végétalisation de leurs façades de bâtiments. À la demande, nous accompagnons le processus du début à la fin : projet de micro-fosse, choix des plantes à privilégier, orientation liée à l’exposition au soleil, etc. Nous fournissons un appui dans les démarches administratives puis nous sélectionnons l’entreprise qui s’occupe de la végétalisation.

De quel constat a émané la volonté politique de travailler sur la végétalisation de la ville de Limoges ?

Isabelle Lecomte-Chaulet – Cela part du constat du réchauffement climatique ainsi que de l’urbanisation croissante, qui laisse de moins en moins d’espace pour planter des arbres. Nous essayons donc de planter davantage d’arbres dans la rue et nous avons demandé aux habitants de Limoges de nous aider à reverdir la ville. 

À quelle directive politique répond le projet de végétaliser les façades de la ville ?

ILC – Lors d’un conseil municipal en juin 2021, nous avons adopté un “pack climat” dans lequel on retrouve trois axes principaux. Notre politique municipale se détaille en trois axes : la mise en place d’un nouveau PLU, une campagne incitative de végétalisation des façades et la stratégie de désimperméabilisation des sols et de gestion écologique des espaces verts. Ce nouveau cadre municipal appuyait le côté très vert de Limoges, qui compte en son sein 70m2 d’espaces verts par habitant.

VÉGÉTALISER LES FAÇADES, UN DÉFI MUNICIPAL POUR CONCERNER LES CITOYENS

Comment avez-vous déployé la stratégie de végétaliser les façades de la ville ?

Louise Laucournet – Après l’adoption du projet en conseil municipal, une campagne de communication est lancée. La première année, nous n’avons eu que peu de demandes. Mais la communication et les plusieurs reportages dédiés à cette initiative dans les médias ont créé un engouement auprès des citoyens. Une fois les citoyens informés, nous avons travaillé sur l’accompagnement des propriétaires volontaires sur les démarches administratives.

Quelles sont les étapes d’accompagnement des habitants dans le processus, au-delà de l’administratif ?

Sandrine P. – Une fois que les habitants ont fait la demande sur le site de la mairie, un agent se rend à leur domicile. Que ce soit pour réaliser une micro-fosse ou utiliser des semis de plants de façades. Je leur explique le projet de la micro-fosse, je les conseille sur le choix des plantes selon l’exposition au soleil, sur le type de plantes pour agrémenter leurs façades sans l’abîmer. Je me charge ensuite des démarches sur les permissions de voirie et les déclarations de travaux à proximité de réseaux (DICT). Je travaille avec la Communauté urbaine de Limoges, qui a la compétence de gestion de la voirie. Puis nous lançons un marché public pour qu’une entreprise s’occupe de la végétalisation de la façade concernée.

Est-ce une opération qui peut s’appliquer sur n’importe quelle façade ? Ou y a-t-il des critères requis ?

SP – Il faut que la façade donne sur le domaine public et que l’accord du propriétaire soit confirmé si la demande vient d’un locataire. Nous avons aussi végétalisé des monuments historiques, sous réserve de l’accord de l’architecte des bâtiments de France, ou encore des bâtiments municipaux.

Quelles sont les tâches attribuées à chacune des parties prenantes sur cette opération ?

SP – L’accord se fait sur convention. Elle est tripartite entre la ville de Limoges, la communauté urbaine et le propriétaire. La ville s’engage à faire les démarches administratives, à financer la ou les micro fosses. Le propriétaire s’engage à l’entretien, à ne pas mettre de plantes problématiques en termes sanitaires ou réglementaires. C’est une convention simple, puis la ville reste en support pour les préconisations d’entretien.

Quels sont les moyens financiers et humains nécessaires que vous avez déployés ?

SP – À ce jour, nous prenons en charge le coût de réalisation de la micro-fosse, soit 100€ HT par micro-fosse. Car un citoyen peut demander l’installation de plusieurs micro-fosses. Dans le vote du budget, nous avons une ligne dédiée à la végétalisation des façades.

PLUS DE 300 ADRESSES VÉGÉTALISÉES EN 2023

 

Comment se sont passés les premiers travaux ?

SP – Le projet est lancé depuis 2021. Au démarrage, nous avons eu peu de demandes. En 2022, cela s’est un peu développé avec 60 adresses végétalisées. En 2023, plus de 300 adresses ont été végétalisées. Les gens voient l’exemple chez leurs voisins et se rendent compte de l’intérêt d’avoir de la verdure pour limiter la chaleur lors des périodes estivales. Cela permet même de limiter les incivilités, tels que les tags clandestins par exemple.

Quels sont les retours des propriétaires qui ont végétalisé leur façade ?

SP – Chaque propriété végétalisée est marquée d’un sticker. Lors des reportages médiatiques, nous entendons la satisfaction des citoyens, que ce soit les propriétaires concernés mais aussi les autres habitants qui passent par ces rues. Ils y constatent l’esthétique de ces nouvelles bâtisses végétalisées et ressentent aussi l’intérêt de la verdure pour endiguer la forte chaleur en été.

D’un point de vue environnemental, qu’est-ce que ce projet apporte à la ville de Limoges ?

ILC – En zone urbanisée, les rues végétalisées amènent une respiration et une certaine esthétique. Des citoyens nous ont expliqué qu’ils préfèrent passer par les rues plus végétalisées lors de leurs trajets quotidiens. Cela leur semble plus agréable. Ce projet offre une sorte de bien-être aux habitants.

Quels points de vigilance rencontrez-vous ? Pour partager les tâtonnements à une autre ville qui serait intéressée ?

SP – Ça a commencé de manière gérable. Puis, l’explosion des demandes nécessite quasiment un agent municipal à temps plein. Le vrai défi est de convaincre la population de passer à la végétalisation de leurs façades. Pour les nouveaux projets de construction, on réalise un boitage en mettant des flyers de végétalisation de façades à toutes les habitations de la rue en travaux. Cela permet de cumuler les deux travaux, on optimise le temps de travaux et cela réduit les coûts puisque les entreprises sont présentes et peuvent s’atteler aux deux projets en même temps. Ce double enjeu nous permet aussi de démarcher individuellement les habitants de la rue.

Quelles éventuelles embûches sont apparues au cours du développement de ce projet ?

ILC – C’est surtout le temps que nous passons à expliquer l’intérêt de la démarche aux citoyens. Nous essayons aussi de les sensibiliser sur le choix des plantes. Certaines ont un côté psychotrope, envahissant ou demandent plus ou moins d’entretien – puisque celui-ci est à la charge de l’habitant. De plus, le budget n’est pas extensible, alors on essaye de faire pour le mieux malgré le fait que le coût soit toujours plus élevé et que les fonds de l’Etat soient de plus en plus réduits.

Un conseil à donner à des élus d’autres villes, potentiellement désireux de se lancer dans la même démarche ?

ILC – Aux élus, je dis “Foncez”. C’est bon pour la planète et pour le moral. Et puis des études montrent que le végétal fait baisser les températures. Entre la demande, l’étude de faisabilité, la mise en place des travaux, cela peut parfois prendre un an. Il faut donc aussi faire preuve de patience et de pédagogie auprès des citoyens. 

SP – Aux agents, nous leur indiquons qu’il faut laisser le temps au projet de se lancer. Cela se met en route sur plusieurs années, il n’y a pas de résultat palpable en six mois. Autant pour que les citoyens s’en saisissent que pour que les plantes soient totalement déployées sur les façades. Encore une fois, la patience est de mise.

LA TRANSITION ENVIRONNEMENTALE EN COLLECTIVITÉ

Quels sont les besoins qu’ont les agents municipaux pour gérer au mieux les impératifs de la transition ?

SP – Étant jardinière de base, je travaille depuis des années dans les jardins de la ville. Mon métier a évolué avec les conditions de la transition. Nous n’utilisons plus les produits phytosanitaires, les insectes qui avaient disparu reviennent, nous pratiquons la gestion différenciée des espaces verts. Cela consiste à moins faucher, moins arroser et le faire avec une eau de récupération. En bref, mon métier a totalement changé. Les formations que nous suivons sont précieuses pour nous mettre à la page.

Comment articulez-vous le binôme élu et agent pour être efficaces dans vos missions liées aux transitions ?

ILC – Dès 2006, nous avons créé des postes de chargés du développement durable dans les espaces verts. Nous avons lissé les changements de pratiques sur le temps long. De toute façon, les directives politiques ne sont pas applicables sans l’approbation des agents  municipaux. Même si l’élu est le décisionnaire final, c’est un travail collectif entre politiques et techniques pour orienter la dynamique de la ville.

Comment le service environnement fait-il pour concerner tous les services municipaux aux sujets de transition ?

ILC – Au sein de la ville, nous avons donc la végétalisation du patrimoine, la gestion de la ressource en eau et les démarches de continuité écologique. Des experts échangent avec les agents sur le terrain, étudient la faisabilité des projets de la ville, se renseignent sur les réglementations nationales et européennes. Pour concerner la population, nous travaillons avec un Ehpad pour les jardins potagers ou encore avec les écoles autour de la nature. On a des intérêts mutuels, on travaille ensemble et cela nous permet de contenter l’usager. Voilà qui coche toutes les cases.

Propos recueillis par Valentin Nonorgue.

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