Indre-et-Loire (37) : Autonomise-Toit, un dispositif unique pour accompagner les jeunes en difficulté vers l’autonomie

Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse au dispositif Autonomise-Toit, mis en place par le département d’Indre-et-Loire. Proposé aux jeunes entre 16 et 25 ans, il regroupe plusieurs dispositifs et devient la porte unique pour les professionnels et les jeunes en demande d’un accompagnement au logement. Autonomise-Toit n’accorde pas d’aide financière directe mais les sept référents dédiés à temps plein au dispositif aident les jeunes volontaires à devenir plus autonome, à sécuriser leur accès au logement et à s’insérer professionnellement. L’accompagnement est modulable dans le temps et s’adapte aux évolutions des jeunes. La plupart d’entre eux sont en situation précaire et fragiles psychologiquement. L’accompagnement dure 13 mois en moyenne. 

Cette initiative a reçu le Prix Territoria Or en 2023 dans la catégorie Lien Social.

Pour en savoir plus, nous avons interrogé Martial Bourdais, directeur général adjoint des solidarités par intérim et directeur de l’insertion, de l’habitat et du logement au département.

Mise en place du projet

Comment est venue l’idée de créer le dispositif ?

C’est un dispositif qui a été pensé et élaboré dans le cadre du PDALHPD, le plan d’action pour le logement et l’hébergement des personnes défavorisées. Dans ce cadre, nous avions un groupe de travail sur la question du logement des jeunes. Nous avions 6 dispositifs opérationnels : logement temporaire, colocation pour des jeunes sans ressources, logement réservé à des jeunes qui sortaient de l’aide sociale à l’enfance, dispositif tremplin logement jeune, aides financières à la gestion de sous-location et accompagnement social lié au logement classique. Ces dispositifs étaient très peu lisibles car ils étaient fragmentés, et puis surtout, ils ne sécurisaient pas les parcours logements des jeunes de 16 à 25 ans.

Donc nous voulions mettre en œuvre un accompagnement qui soit adapté, évolutif, et surtout global, à 360 degrés. Le but était de garantir l’accès et le maintien dans le logement, mais aussi l’insertion globale des jeunes. Car une fois qu’ils accèdent à un logement, il faut leur garantir la capacité de pouvoir y rester.

Vous avez démarré avec une phase d’expérimentation de deux ans ?

Oui, pour nous donner les moyens d’aller au bout, se donner le temps et l’agilité nécessaire. Nous avions concentré près de 400 000 euros pour le premier budget. Ce n’est pas anodin. Nous avons travaillé sur des tailles critiques pour que l’expérimentation soit valide et ajuster le dispositif par rapport au cahier des charges initial, sur les modalités d’accompagnement, sur le suivi des jeunes, sur les offres de services, sur la mobilisation de la CPAM, de la CAF, sur les accès liés au logement, etc. Tous ces partenaires sont réunis autour du comité de pilotage. Ils sont susceptibles d’apporter les réponses de leur propre institution pour simplifier l’accès de ces jeunes à leurs services, voire leur donner des accès privilégiés, pour pouvoir mettre en œuvre l’accès aux droits de manière plus rapide. 

Vous avez des partenaires sur ce dispositif. Comment vous vous êtes tous mis en collaboration là-dessus ? 

Nous avons mutualisé les financements de nos partenaires (la caisse d’allocations familiales, le département et l’État) qui préexistaient sur les autres dispositifs. Puis nous avons, côté conseil départemental, élaboré un cahier des charges et lancé un appel à projet. 

Qui a répondu ?

L’association AJH (Association Jeunesse Habitat), qui porte un foyer de jeunes travailleurs et un certain nombre de mesures d’accompagnement. Une association qui gère un foyer de jeunes travailleurs sur le secteur d’Amboise. Le Centre intercommunal d’action sociale, le CIAS de Loche qui possède une résidence jeune. Et une association qui gère également des structures jeunes à Chinon. 

Nous avions partagé les constats et co-construit une partie de l’appel à projets avec eux. Ce sont quatre opérateurs logements jeunes du département. L’idée était que ce soit relativement ouvert donc ils ont répondu en groupement. Ce qui nous permet de couvrir l’ensemble du département. C’était un attendu important.

Le projet aujourd'hui

Le dispositif est accessible aux jeunes entre 16 et 25 ans. Quels critères ont été mis en place pour qu’ils puissent y accéder ? 

Les jeunes doivent avoir besoin d’un accompagnement global pour consolider leur autonomie, ils peuvent bénéficier ou non d’une mesure de l’aide sociale à l’enfance. Ils peuvent déjà être logés ou sans logement, être en milieu ouvert ou en hébergement, car ça peut nous permettre de préparer les transitions pour sortir d’une structure. Il faut qu’ils soient en capacité d’occuper de manière autonome un logement. C’est-à-dire qu’ils soient capables d’avoir suffisamment de maturité et d’autonomie pour, par exemple, fermer leur porte, ne pas faire squatter tous leurs potes, etc. Nous sommes face à des publics qui n’ont pas toujours cette forme d’autonomie et donc trop fragiles pour pouvoir les engager dans l’accompagnement, car l’objectif est qu’ils deviennent titulaires de leur bail logement. 

Le deuxième élément est qu’ils soient dans une dynamique d’insertion professionnelle. La difficulté pour les jeunes les plus fragiles aujourd’hui, c’est la précarité. Il n’y a pas de revenu minimum, il faut assurer la pérennité de leurs ressources. L’objectif est de faire en sorte que ces jeunes puissent couvrir le loyer résiduel, déduction faite des aides au logement. Nous travaillons donc en parallèle à l’insertion professionnelle.

Nous ne prenons pas que des jeunes qui ont des ressources ou qui sont déjà en situation de travail. Il y a aussi des jeunes qui ont le potentiel de pouvoir aller vers l’emploi ou la formation et de dégager des ressources rapidement. 

Quels sont leurs profils ? 

81 % des jeunes sont en situation précaire ou d’hébergement transitoire au moment de la prise en charge dans Autonomise-Toit. Au moment de la demande, 50 % des jeunes bénéficiaient d’une mesure de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) (dont 88% de prise en charge en tant que « Mineur Non Accompagné »). Ce sont des jeunes plutôt fragiles. Ce dispositif est devenu un outil, un levier, pour prévenir les sorties de l’ASE avec des formes d’accompagnement qui sont à priori assez adaptées. Souvent, ils étaient en situation d’apprentissage, de formation ou avec un travail. Ils avaient des ressources donc l’accompagnement correspond à ceux qui veulent quitter le dispositif de l’ASE sans avoir une tutelle trop lourde.

Des entretiens sont réalisés pour définir l’accompagnement. Comment et par qui sont-ils réalisés ?

Nous avons présenté le dispositif à l’ensemble des travailleurs sociaux de la métropole de Tours. Ils sont susceptibles de pouvoir orienter les jeunes vers le dispositif. Nous avons une fiche de prescription qui permet d’apprécier la situation. Une collègue analyse ensuite les entrées et peut éventuellement réinterroger les prescripteurs pour vérifier que le jeune remplit bien les prérequis. 

Ensuite, le dossier est étudié par la personne qui pilote le dispositif au conseil départemental, en appui des quatre opérateurs, et qui permet de faire un suivi des cohortes qui sont accompagnées. Ils font des points de situation tous les trois mois, des revues de portefeuille, avec les référents qui accompagnent les jeunes. 

Quand un jeune entre dans l’accompagnement, comment ça se déroule ? Il a un référent ?

D’abord, il faut qu’il soit volontaire. Ensuite, il adhère à la démarche de manière contractuelle. Le contrat permet de poser les objectifs de l’accompagnement dans lequel le jeune est acteur. Ce n’est pas une prescription au sens d’une obligation administrative ou judiciaire. Le dispositif offre des avantages et des droits mais également des devoirs attendus : être volontaire, s’engager de manière un peu dynamique. Ensuite, un référent est désigné par jeune pour les accompagner. Sept référents équivalents temps pleins sont dédiés au dispositif. Il y en a un pour 25 jeunes. Ils sont issus des 4 partenaires qui pilotent ce projet. 

Vous pouvez rallonger le temps d’accompagnement ? 

Absolument. Nous voulons un accompagnement modulable entre 3 et 18 mois. Les contrats initiaux vont de 3 mois à 6 mois. La contractualisation permet aussi de valoriser les progrès des jeunes. La renégociation du contrat permet de reposer les objectifs. L’idée est de mettre les jeunes en dynamique avec des objectifs qui sont mesurables, quantifiables, accessibles. On ne met pas d’objectifs sur du trop long terme. Ça peut être de s’assurer de payer son loyer ou de faire un certain nombre de démarches. 

L’intensité de l’accompagnement est aussi modulable ? 

Oui, c’est-à-dire que le référent reste disponible. Au départ, il y a un accompagnement intensif. Puis, quand le jeune trouve une forme d’autonomie, nous pouvons passer à un accompagnement intermédiaire, voire un accompagnement plus léger. Et puis, si la situation se dégrade, nous avons la capacité de réactiver un accompagnement plus renforcé. Cela permet d’éviter les ruptures de parcours.

L’accompagnement est assez global, le référent peut accompagner le jeune sur le choix de l’abonnement des transports publics par exemple ?

L’idée est effectivement d’appréhender globalement la problématique du jeune. D’abord avec un point logement parce que c’est vraiment la pierre angulaire de tout : s’il n’y a pas de logement, on ne peut pas sécuriser le reste (l’emploi, l’accès aux droits, à la santé, à la culture, etc). Et puis nous essayons de donner des dynamiques de gestion administrative ou culturelle, on a par exemple organisé des sorties culturelles. 

Le dispositif ne propose pas d’aide financière directe ?

Non. Nous avons des dispositifs de droit commun. Par exemple, des jeunes vont être orientés vers le contrat d’engagement jeune et vont bénéficier de l’accompagnement de la mission locale avec l’octroi de l’allocation correspondant au CEJ. On peut aussi avoir aussi des jeunes en situation de fragilité et pour lesquels on va mobiliser le fonds d’aide aux jeunes. Ils sont éligibles à toutes les aides de droit commun, évidemment. Mais il n’y a pas, au titre du dispositif, d’aide financière. 

Quand un jeune dispose d’un logement dans le parc privé, comment travaillez-vous avec le propriétaire ?

Les bailleurs publics sont associés au comité de pilotage. Nous travaillons essentiellement avec les bailleurs sociaux car ils sont facilitant. Dans les commissions d’attribution de logement, un jeune présenté comme étant accompagné par le dispositif Autonomise-Toit, n’a généralement pas de difficulté à capter les logements. Il faut le souligner. Sur la captation du parc privé, ça reste relativement difficile de trouver des loyers qui soient accessibles et de travailler avec les propriétaires pour que ces logements, dès lors que ça n’est pas de l’intermédiation locative, soient ouverts à faire glisser les baux. Il y a une agence immobilière à vocation sociale en Indre-et-Loire, qui n’a pas un parc extrêmement important, mais qui commence à travailler sur la captation du parc privé.

Dupliquer le projet

Combien de jeunes accompagnez-vous ?

Nous sommes passés d’une file active de 117 jeunes à 137 quand nous avons ajouté un équivalent en temps plein. Sachant que pour 137 places en 2023, nous avons accompagné 203 jeunes. Nous avons ainsi pu négocier avec l’État, dans le cadre de la nouvelle contractualisation au pacte local des solidarités, un poste supplémentaire car nous avions une liste d’attente. Nous allons donc porter la capacité à 162. 

Quel impact l’accompagnement a-t-il eu sur les jeunes accompagnés ? 

En 2023, à la sortie de l’accompagnement, 84 % des jeunes étaient stabilisés dans des logements autonomes de droit commun. Sur les 203 jeunes accompagnés, 90 sont sortis du dispositif. La première année, nous étions sur des délais d’accompagnement de 9 mois. Aujourd’hui, nous sommes passés à 13. Cela témoigne de la complexité des situations que nous avons à gérer, avec des jeunes qui ont beaucoup plus de fragilité qu’auparavant. Or, l’objectif était bien de ne pas prendre les plus éloignés. Mais nous constatons que nous sommes sur un segment, malgré tout, où il faut un accompagnement au long terme.

Comment financez-vous le dispositif ?

Pour le budget 2023, côté département, ce n’est pas un sujet car ce sont nos propres financements. Nous sommes maîtres d’ouvrage de l’opération et nous finançons à hauteur de 235 000€ (dont font partie les crédits du Fonds de Solidarité Logement et d’autres crédits de droit commun du Conseil départemental)? Nous disposons d’un soutien très important de l’État. Il finance 200 000€, dont 7 000€ de crédits de la stratégie pauvreté et 13 000€ de crédits de droit commun. La ville de Tours nous a rejoints au titre du Logement d’Abord, cela permet de financer un poste à hauteur de 45 000€.

Avant la fusion des dispositifs, le coût moyen d’accompagnement par jeune était de 360€ par mois. En 2022 avec Autonomise-Toit, nous étions à 200€.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?

Dans les points de vigilance, il y a le fait de stabiliser les financements et de capter les logements, notamment dans le parc privé. Ça reste un des points de difficulté. Sinon, nous avions un écosystème de partenaires assez favorable, solide et de confiance. Cela nous a permis de mettre en œuvre le dispositif et de fédérer assez vite les acteurs. Les premiers résultats ont été très encourageants, ça a permis de très vite structurer et consolider le dispositif. 

Vous n’êtes plus en phase d’expérimentation aujourd’hui, vous êtes passés en mode “consolidé”. Qu’est-ce que vous aimeriez améliorer dans le dispositif ? 

Avoir une offre de service pour les jeunes qui sont en situation de fragilité psychologique. Nous avons affaire à des situations qui deviennent de plus en plus complexes dans le champ social, avec des problématiques de santé mentale plus prégnantes. Il y a un besoin qu’on n’a pas les moyens de satisfaire.

Aussi, nous avons un délai d’attente de 7 mois en moyenne au 31 décembre 2023. Nous essayons d’intervenir rapidement pour ceux qui ont déjà un logement pour qu’ils n’en perdent pas le bénéfice. Le risque est que les situations de jeunes se dégradent. Le troisième point, c’est le risque que si le dispositif est embolisé, la prescription s’assèche naturellement parce qu’on va considérer que ça n’est plus une réponse opérationnelle. 

Pour recevoir une initiative inspirante tous les vendredis dans votre boîte mail, abonnez-vous gratuitement :