Tarbes Lourdes Pyrénées (65) : une friche industrielle transformée en tiers-lieu pour miser sur le lien et l’humain
Cette semaine, la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative sur le territoire de l’agglomération Tarbes Lourdes Pyrénées. Une ancienne friche industrielle avec 8000m2 de bâtiments a été transformée en tiers-lieu. Basé sur la transition écologique et sociale et baptisé “le lien”, il regroupe une diversité d’acteurs. Il accueille aussi bien des entreprises que des associations, des commerces que des espaces sportifs (padel et skatepark).
Le point commun entre les acteurs ? L’idée que ce n’est pas “la technique qui va répondre aux grands enjeux climatiques mais plutôt le lien et l’humain”.
Pour en savoir plus, retrouvez l’interview croisée entre Camille Rigaud, co-fondatrice du tiers-lieu “Le Lien” et Denis Fegne, Vice-Président de la communauté d’agglomération Tarbes-Lourdes-Pyrénées et maire de Ibos.
Mise en place du projet
Sur quel territoire le projet du Lien s’est-il développé ?
Denis Fegne : Ibos est une commune de 3000 habitants en plein développement économique. À 500 mètres du tiers-lieu, nous avons un centre commercial d’envergure régionale. Au départ, le tiers lieu était une usine chimique de production de colle de 10 hectares. Le terrain a été racheté après avoir été abandonné pour des questions de relocalisation. Sur cette friche, on peut mesurer l’irresponsabilité des entreprises qui y ont travaillé.
La friche revient donc de loin…
Camille Rigaud : Oui. Une dépollution a été faite par l’ancien propriétaire. Mais le site a été squatté pendant des années. Quand nous avons commencé les travaux de réhabilitation, nous avons beaucoup communiqué sur le fait que la réhabilitation serait progressive. Il faut du temps pour que notre projet se développe. C’est un vrai parti pris de garder des lieux de friche. Il y a plus de 8 000m2 de bâtiments.
Comment le projet a-t-il débuté ?
C.R : C’est un alignement de planètes. Nous avons fait un tour du monde des innovations vertes avec Loïc Bordes. Pendant un an, nous avons rencontré des entrepreneurs qui utilisaient leurs innovations pour réduire leur impact environnemental. Nous avons aussi rencontré des associations, des ONG et des investisseurs. Nous nous sommes dit que ce serait incroyable de réussir à créer un lieu pour réunir ce type d’acteurs. Je pense que cela peut créer une synergie importante. Nous pensons que ce n’est pas la technique qui va répondre aux grands enjeux climatiques mais plutôt le lien et l’humain. Nous misons donc sur la dimension sociale des projets.
Mon beau-père, Stéphane Aio, avait racheté cette friche pour un projet de logistique. En rentrant de voyage, il nous a demandé si nous avions des idées pour ce lieu inexploité. Nous avons sauté sur l’occasion pour réaliser notre rêve.
D.F : La zone d’activité est à la compétence de l’agglomération depuis 2017. Stéphane Aio nous a proposé de racheter le site pour quelques euros. Quand ils sont venus présenter leur projet au conseil municipal, nous avons pensé que c’était assez logique par rapport à nos envies. Nous avons passé le relais à la communauté d’agglomération pour favoriser le développement de ce lieu.
Quel a été le rôle de l’agglomération ?
D.F : Nous avons d’abord réalisé un diagnostic avec les porteurs de projet. Puis, nous les avons aidés financièrement dans le cadre du dispositif Entreprendre de notre service « développement économique ». Le montant était de l’ordre de 38 000 euros. Nous avons aussi joué un rôle de mise en relation avec la Région pour qu’ils puissent bénéficier d’autres subventions via le programme « Tiers-lieu d’Occitanie ». Aujourd’hui, nous assurons un accompagnement plus classique pour permettre de développer le site. Notamment au niveau de l’accessibilité.
Je crois que nous sommes vraiment au cœur de ce que les communes demandent aux intercommunalités. Nous les maires, nous savons faire de la proximité, mais le développement économique, nous n’avons pas l’habitude.
Comment cette co-construction du Lien s’est-elle déroulée ?
C.R : Nous voulions « réunir ». La dimension collective est donc très importante. Nous avons été à la rencontre des acteurs du territoire. Des associations et des entreprises trouvaient que le projet faisait sens pour elles. Elles souhaitaient y contribuer et y participer. Nous avons donc créé le projet avec ces différents acteurs.
Nous sommes trois cofondateurs : Loïc, Stéphane et moi. Mais il y a aussi une association avec des bénévoles et dix personnes au conseil d’administration (des usagers, des résidents et des bénévoles). Chacun contribue au projet, soit de manière ponctuelle soit dans la durée.
Le projet aujourd'hui
Quelle définition mettez-vous derrière le mot tiers-lieu ?
C.R : Ce sont des lieux qui rassemblent. Peu importe le domaine et le lieu, l’idée est de se réunir pour trouver des pairs avec lesquels il est possible d’avancer. Nous c’est la transition écologique et sociale. Mais chaque tiers-lieu a sa coloration. Et c’est bien la diversité des tiers-lieux qui permet de mailler un territoire.
Comment avez-vous travaillé autour de la réhabilitation de cette friche ?
C.R : Nous avons gardé les murs et c’est presque tout. Les toitures n’étaient quasiment pas exploitables. C’est aussi important pour nous de donner une deuxième vie à ces bâtiments. L’un de nos engagements écologiques était de ne pas détruire ni construire aucun des bâtiments. Nous voulions faire avec l’existant. Nous avons à la fois des espaces avec de très grands volumes pour pouvoir accueillir des activités comme le skate park ou le Padel, et des lieux plus administratifs qui permettent l’accueil d’entreprises ou d’ateliers. C’est un message que nous faisons passer : il y a de l’espoir pour tous ces lieux qui sont mis de côté. C’est plus simple et plus facile de construire du neuf mais si on pense à la logique de territoire, c’est plus important de réinvestir des lieux ayant une histoire.
Pourquoi ?
C.R : Déjà par leur histoire. Des gens ont travaillé sur ce site. Ils sont heureux de le voir revivre avec d’autres engagements. Mais aussi car détruire est très polluant. Et enfin, nous n’avons pas artificialisé une nouvelle zone. Notre projet recoupe également la question de l’échelle. Individuellement, nos actions pour l’écologie sont trop peu impactantes. Au niveau national, je me perds, je ne vois pas où vont mes actions. Par contre, à l’échelle locale, avec mes voisins et mes collègues, la transition devient palpable et utile.
Sur votre territoire, quel travail menez-vous autour des friches ?
D.F : Dans le cadre de la loi « Climat et résilience » qui a instauré le ZAN, il y a une obligation, sur laquelle nous étions déjà engagés, de faire une cartographie exacte des zones d’activité et des friches à valoriser. Avec la question actuelle de la raréfaction du foncier, la réhabilitation des friches prend une dimension stratégique. Nous sommes à l’entrée du Département et de la Région, dans une zone dynamique. La gestion des friches a un sens particulier, c’est une vitrine.
Comment faire le lien avec les collectivités quand on porte un projet de tiers-lieu ?
C.R : Quand les collectivités regardent un dossier, elles se focalisent sur les études de marché et de faisabilité. C’est un travail que nous avons fait sérieusement. Mais je pense que les conditions de réussite dépendent beaucoup de l’énergie de l’équipe qui porte le projet.
D.F : Nous avons aussi la compétence de l’économie sociale et solidaire et nous souhaitons nous positionner sur le sujet de l’économie circulaire. Nous accompagnons des porteurs de projet qui ont eu le courage de lancer une initiative.
Quels avantages peuvent avoir les friches pour la création de tiers-lieux ?
C.R : Souvent ce sont des grands lieux. Cela permet donc de réunir beaucoup d’activités. Je crois que cela pose la question de la mutualisation. Nous réfléchissons toujours à la manière de mélanger des espaces mutualisés et des espaces individualisés. Du coworking aux salles de réunion partagées en passant par les espaces extérieurs ou les outils, il y a de nombreuses possibilités… Cette démarche collective dans l’usage est une des caractéristiques des tiers-lieux. C’est la différence avec un projet immobilier où on réhabilite pour installer des structures. Le tiers-lieu, on imagine ensemble un espace avec différents usages et ensuite on le réhabilite progressivement. Puis, on le fait évoluer en fonction des usages et des usagers.
Quels publics se croisent au sein du tiers-lieu ?
C.R : Aujourd’hui, nous avons une vingtaine de structures. Nous avions à cœur d’avoir une grande diversité d’activités : des commerces, des activités sportives, des entreprises ou des associations. Certaines organisent même des événements sur le tiers-lieu alors qu’elles n’y sont pas résidentes. Nous voulions que les publics se croisent et que les familles puissent fréquenter le même lieu sur des activités différentes. L’idée c’est de déposer ses enfants au skatepark puis d’aller faire réparer de l’électroménager avant de boire un café ou faire des courses.
Dupliquer le projet
Quelles sont les prochaines évolutions du tiers-lieu ?
C.R : Nous avons plusieurs projets sur les bâtiments qui ne sont pas encore réhabilités. Habituellement, nous avons des porteurs de projets qui viennent puis on évalue le besoin. On cherche à savoir si ses valeurs collent avec les nôtres et s’il y a une bonne complémentarité avec les résidents actuels. Une fois le projet validé, on regarde quel espace peut être intéressant. Puis en fonction du bâti disponible on va « remplir » un lieu et trouver le financement pour réhabiliter. Il faut être motivé car c’est forcément plus long qu’un projet individuel.
Quels conseils donneriez-vous à des élus qui souhaitent se lancer dans des projets de tiers-lieux ?
C.R : Il faut expérimenter avec les entreprises et les associations du territoire. Il faut aussi construire un lieu en lien avec les habitants. Il faut être flexible pour que le projet puisse évoluer en fonction des structures qui s’investissent. Et pour aider à évaluer le besoin, il n’y a rien de mieux que celles et ceux qui sont déjà sur le territoire. Ceux qui conçoivent le tiers-lieu ne seront peut-être pas ceux qui y vivront dans cinq ou dix ans. Il faut donc penser aux usages. Enfin, il faut aussi dépasser l’aspect financier. Il est nécessaire d’aller au-delà de la mesure d’impact financier. Dans un premier temps, il y a une mission d’intérêt général, même s’il doit y avoir un modèle économique viable.