Depuis une trentaine d’années, la ville de Loos-en-Gohelle agit pour maintenir son tissu agricole et faire le lien avec l’alimentation des Loossois. Son fil rouge : la connaissance et le dialogue avec le monde agricole. Lors de l’événement Loos-en-Gohelle, Itinéraires d’une ville en transition, l’atelier « alimentation et agriculture » de l’après-midi du 28 juin 2023, a été l’occasion de parler de politique foncière, de circuits-courts, d’agriculture bio et, bien sûr, de liens avec les citoyens.
Regardez en introduction notre reportage vidéo :
Sur le logo de Loos-en-Gohelle, l’épi de blé annonce la couleur : la commune est rurale et agricole. Elle entend le rester. Mais comme partout en France, la déprise agricole s’accélère dans les plaines céréalières du Nord-Pas-de-Calais. Le nombre de fermes diminue à vue d’œil. Les sièges d’exploitation situés à Loos-en-Gohelle sont passés de 27 en 1998 à 12 aujourd’hui. Pour enrayer cette hécatombe et préserver un tissu agricole, une des premières réponses de la commune, il y a une trentaine d’années, a été de préserver le foncier agricole.
Une politique foncière engagée
Dans les années 80, les communes voisines du bassin minier ouvrent leurs terres aux zones d’activités commerciales pour donner un nouveau souffle économique après l’effondrement du charbon. Marcel Caron, le maire de l’époque, fait le choix inverse de conserver les friches, les zones naturelles et le foncier agricole au détriment de la fiscalité commerciale… Vingt ans plus tard, le Plan d’occupation des sols dessine une ceinture verte autour du cœur historique de ville, et marque une limite à l’urbanisation et à l’artificialisation des terres agricoles. Entre 2010-2013, lors de la révision du PLU, fait rare, certaines zones aménagées sont même redevenues des zones agricoles ! « On voit aujourd’hui les fruits de cette stratégie qui préserve le foncier depuis plusieurs années. La ville peut le mettre à disposition de ses partenaires, en particulier des associations. », précise Adeline Skrzypczyk, responsable du service urbanisme et aménagement du territoire.
Via des conventionnements, Loos-en-Gohelle offre les moyens financiers et matériels aux structures associatives de pouvoir produire, mais aussi de sensibiliser les habitants. « Les associations le font très bien, elles ont ce rôle d’être à proximité des habitants et notre tissu associatif est dense. Autant s’appuyer sur elles ! », ajoute Adeline Skrzypczyk. La ville vient d’acheter un site en friche, une ancienne brasserie (6,5 hectares en centre-ville) afin de le transformer en lieu de ressources sur l’alimentation durable à l’échelle de l’agglomération. Lors de l’élaboration du plan local d’urbanisme en 2013, ce site avait fait l’objet d’un classement en zone UL, c’est-à-dire en zone vouée à l’accueil d’équipements publics et d’activités d’intérêt collectif, ce qui en a permis l’achat.
Outre cette politique foncière volontariste, la ville a souhaité aller plus loin et a encouragé l’agriculture biologique, pour des raisons de santé, d’environnement et d’alimentation. À la suite à la fin d’activité d’un exploitant, elle travaille en conventionnement avec la Safer afin de récupérer les terres (15 ha). Un appel à candidature est lancé pour favoriser l’installation d’agriculteurs en bio.
Impulser l’agriculture bio
Pierre Damageux, paysan, pionnier du bio à Loos-en-Gohelle en 2008, était à l’époque conseiller municipal. Il explique la démarche. « Quand il y a eu l’appel à projet, trois collègues de la Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole) ont souhaité candidater. C’est grâce à ce terrain de jeux, ce terrain d’expérimentations qu’ils ont pu passer en bio ». La mairie leur met à disposition les hectares acquis via la Safer afin de tester de nouvelles pratiques, en échange de la conversion en bio de la même surface de leur exploitation. Les quatre agriculteurs créent la société Bioloos en 2015 et exploite aujourd’hui 45 ha en bio. Aujourd’hui, 21% de la surface agricole utile du territoire est en agriculture biologique.« Je suis passé en bio car j’en avais marre des traitements, mais aussi pour apporter des aliments bio aux Loossois. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, peu de ma production part en local. C’est un long chemin », avoue Pierre Damageux. Comment faire le lien entre la production locale et la consommation ? Pas simple !
De la production à la consommation
Les agriculteurs cultivent principalement des céréales et légumes de plein champ (betteraves, pommes de terre, oignons, carottes..) en volume important mais ont peu de circuits de vente sur le territoire, ni la logistique adaptée pour la distribution en local de leurs productions. Il s’agit alors pour la commune de développer une politique alimentaire et agricole permettant de favoriser les circuits-courts, faire évoluer les habitudes alimentaires des habitants mais aussi les pratiques des agriculteurs locaux. Elle met en place le projet Vital en 2012 (Ville, transition et alimentation locale) animé par un coordinateur extérieur, Dominique Hays, qui était alors directeur de l’association des Anges Gardins (jardin en ch’ti), et Président du Réseau Cocagne. Ce projet consiste à mettre en mouvement tous les acteurs de la chaîne alimentaire : producteurs, habitants, collectivités publiques, écoles, acteurs associatifs, opérateurs économiques et chercheurs. Plusieurs actions voient le jour : l’accueil de la Fête de l’agriculture paysanne organisée par la Confédération paysanne, la création de la marque « Terre de Gohelle », le passage du foyer petite enfance au 100 % bio, des produits bio locaux dans les points de distribution de proximité comme le Huit à Huit (groupe Carrefour), l’intéressement des agriculteurs à la bio, des opérations « Incroyables Comestibles », etc. La collectivité souhaite également impulser l’utilisation de ces produits dans les cantines scolaires. Néanmoins, pour les repas des écoles maternelles, elle fait appel à un prestataire et n’a pas la main pour imposer les produits bio loossois. La restauration des primaires est réalisée quant à elle par le collège, aussi la commune coopère avec l’établissement pour favoriser l’approvisionnement en produits locaux.
Un archipel nourricier
Quelques années plus tard, l’association Les Anges gardins fait toujours le lien avec tous les acteurs de l’alimentation. En tant qu’association d’insertion, membre du réseau des Jardins de Cocagne, l’association propose le projet d’«archipel nourricier ». Une première micro-ferme, plutôt fruitière, est créée pour être complémentaire à l’offre des agriculteurs. Au fil du temps, des friches, des terrains vagues, des « fonds de jardin », deviennent des vergers ou des potagers. C’est ainsi qu’un hectare et demi de terrains communaux a été mis à disposition et transformés en espaces nourriciers entretenus par les personnes en insertion. Les activités de l’association se sont depuis étendues sur plusieurs communes de la communauté d’agglomération où des terrains sont mis à disposition par les municipalités ou par des bailleurs sociaux pour être cultivés. Les fruits et les légumes produits complètent les paniers bio produits par les maraîchers des jardins de Cocagne. D’autres terrains sont à vocation d’animation. L’association y organise des chantiers de récolte, des ateliers de cuisine ou d’apprentissage du jardin avec les habitants. Enfin, l’association a ouvert un restaurant «Le Ménadel et Saint Hubert». Converti en tiers lieu autour de l’alimentation, le Ménadel nous accueille pour cet atelier. Lieu de détente ou de travail, il offre surtout une cuisine locale et bio avec les produits de l’association. Parmi les terrains mis à disposition par la commune, certains sont également utilisés par des associations en « jardins partagés » pour un usage pédagogique et récréatif, comme le Jardin des Achillés où sont proposés des animations pour les scolaires ou des moments conviviaux (ciné-débat, concerts, fête de saisons…).
Un dialogue territorial
En marge du travail de fond engagé depuis plusieurs années entre habitants et agriculteurs, en 2020, le maire, Jean-François Caron, reçoit une pétition réclamant l’interdiction des pesticides aux abords des écoles et des résidences. Il prend cette lettre comme une opportunité et sollicite la structure Dialter pour mettre en place un « dialogue territorial ». Les divers acteurs de l’alimentation sont réunis pour apprendre à connaître le rôle des uns et des autres, leurs contraintes, leurs évolutions etc… De ces échanges et rencontres ressortent trois enjeux partagés par l’ensemble des acteurs malgré leurs différences : une méconnaissance du métier d’agriculteur par le grand public, la question de l’approvisionnement de la restauration scolaire et de la sécurité alimentaire.
Des visites de fermes grand public sont organisées, un spectacle musical « Vertiges de Labour » créé à partir de témoignages d’agriculteurs du territoire met en lumière la vie du monde agricole avec ses contraintes mais aussi ses joies, et des premières livraisons sont réalisées entre un agriculteur communal et le cuisinier du collège suite à leur rencontre dans le cadre du dialogue territorial.
Mathilde Fossier, chargée de mission sur les questions alimentaires et agricoles, et de la mobilité, résume l’état d’esprit de ce dialogue territorial. « C’est long, ce sont de nouvelles démarches, mais on saisit que chacun doit faire un pas et que cela demande un certain engagement. On le fait car on sait que c’est réciproque ». Le dialogue territorial crée et alimente un lien de confiance et de considération entre les acteurs locaux qui sert de base et de pré-requis pour engager des projets en commun. La démarche de dialogue territorial a été documentée et a donné lieu à un film, disponible sur le lien Youtube suivant.
Au travers de ces démarches sur le long terme, trois leviers sur lesquels la commune peut agir sont mis en avant : la gestion du foncier, la mise en mouvement des acteurs de l’agriculture et de l’alimentation et l’implication habitante. Cette politique se poursuivra avec une réflexion et des actions autour de la sécurité alimentaire. Mais les élus et les agents ont bien conscience que ce challenge se joue à une échelle plus large, celle de l’agglomération, voire du bassin de vie. C’est pourquoi, dans le sillon de la dynamique loossoise du programme VITAL, la communauté d’agglomération de Lens-Liévin a mis en place un Système Alimentaire Territorial Durable labellisé Projet Alimentaire Territorial (PAT) en 2019, impliquant les 36 communes de l’agglomération. Depuis 2019, 36 communes travaillent sur le projet alimentaire territorial (PAT) du Sud-Artois.
Article réalisé par Aude Richard
Repères
592 ha en 2020
21 % part de l’agriculture bio dans la SAU
12 sièges d’exploitation
Pour aller plus loin :
Lien vers le texte consacré à l’agriculture du livret Loos-en-Gohelle, Terre de transitions
Projet VITAL
C’est en 2012, que la politique alimentaire loossoise acquiert un caractère davantage systémique avec le programme VITAL (Ville, Transition et Alimentation Locale). La municipalité a fait appel à M. Dominique Hays, Directeur de l’association les « Anges Gardins » et Président du réseau Cocagne, afin de créer une dynamique visant à « faire société autour de l’enjeu alimentaire dans toutes ses dimensions (agriculture, économie, emplois, santé publique, lien social, environnement…), en soutenant les acteurs locaux dans la mise en œuvre de leurs projets ». De ce programme ont découlé plusieurs actions relevant de la coopération entre différentes parties prenantes de l’écosystème loossois :
– Intéressement des producteurs locaux à l’agriculture biologique
– Développement du mouvement des « Incroyables comestibles »
– Passage en 100% bio du foyer multi-accueil
– Accueil sur la commune de 2 éditions de la Fête de l’Agriculture Paysanne Création de la marque « Terre de Gohelle »
– Développement du projet d’Archipel Nourricier par les Anges Gardins