Point de départ de la politique de transition de la ville, la culture est encore aujourd’hui un pilier majeur de la vie quotidienne Loossoise. Au-delà de créer du lien social et du développement économique, la politique culturelle a donné de la fierté, de la reconnaissance et de nouvelles perspectives aux habitants.
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Loos-en-Gohelle est une terre agricole et minière. Mais dans les années 80, l’industrie du charbon s’arrête. C’est un profond bouleversement pour le paysage et les habitants. Une grande partie de l’activité de la commune s’éteint. L’ancien exploitant minier et les communes alentour souhaitent effacer cet héritage : raser les terrils et passer à autre chose. Mais le maire de Loos-en-Gohelle, Marcel Caron, prend la voie inverse. Il ne s’agit pas de détruire le passé mais de se réinventer à partir de celui-ci. « Il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va », disait-il.
Dans ce processus de réappropriation de l’histoire, la culture va avoir une place prépondérante. Le territoire est marqué à l’époque par le paternalisme minier. Les habitants sont peu enclins à participer à la vie de la commune, ils se sentent déclassés et désoeuvrés. Reste alors des hommes et des femmes qu’il faut revaloriser pour composer un futur avec les individualités de chacun.
Premières actions culturelles
Très vite, des actions culturelles se mettent en place. Au début, les projets se concentrent beaucoup autour de la décoration des terrils[1] . « Les gens en parlent encore avec émotion » relate Christine Stiévenard, l’élue à la culture.
Dès 1984, le festival des Gohelliades est créé. L’idée est que les habitants, “fiers de leur histoire, se racontent et puisent la force de surmonter leurs difficultés pour se tourner vers un avenir porteur d’espoir”. Le tout en se rassemblant autour de valeurs communes : l’esprit festif, le courage, etc. Chaque individu est invité à participer à la construction de l’événement et à son déroulé. Différents projets sont menés : photographie, poésie, sculpture, peinture, spectacles de son et lumière… Ainsi, le patrimoine régional est mis en valeur. Un patrimoine culturel issu des habitants du territoire.
En 2010, le festival se renouvelle et accueille un nouveau projet : faire des spectacles musicaux participatifs réalisés à partir des témoignages des Loossois et avec eux. Spectacles pour et par les habitants. Pour Graines de Germinal, le metteur en scène, Xavier Lacouture, part rapidement sur l’inspiration de Germinal. Jean-François Caron, alors maire de la ville, réussit à faire passer l’idée qu’il faut enlever la noirceur de l’histoire pour aller de l’avant. “Nous avons finalement réalisé un spectacle sur les vagues migratoires, car la valeur du territoire ce sont les gens qui sont restés” analyse le metteur en scène. Le projet a ainsi mis à l’honneur des nationalités représentées dans la commune.
Depuis, les spectacles continuent en gardant le même objectif : mettre en valeur les habitants du territoire dans toute leur complexité. Chaque fois, un thème est choisi par la mairie. Puis, les habitants qui souhaitent s’investir contribuent à fabriquer le spectacle, encadrés par des professionnels. « Ça fonctionne sur la générosité, le sourire, l’énergie des citoyens. Ils donnent tout et ça se sent » s’enchante Xavier Lacouture.
“Par exemple, nous avons réalisé un projet autour des forains, explique Christine Stiévenard. Nous voulions reconnaître cette communauté-là. C’est important pour le changement de regard, la rencontre entre gens d’univers différents. Il faut que chacun se sente partie prenante du projet mené à Loos.”
En 2023, Les Gohelliades ont monté d’un cran, pris de l’ampleur, changé d’échelle. Lui qui avait échoué à ses débuts à rassembler toute la Gohelle, a pu mettre en œuvre en 2023, un spectacle participatif avec la ville de Vimy. Une commune de 4 300 habitants située à 15 kilomètres au sud de Loos-en-Gohelle. Le projet commun s’est articulé autour du thème de l’agriculture et de l‘alimentation, un axe fort des politiques municipales des deux villes. Le spectacle “Vertiges de Labour” a réuni une centaine de bénévoles pour 4 représentations.
La culture, le socle des résultats systémiques
« L’exigence artistique est première, précise Laurent Coutouly, directeur de Culture Commune, mais on sème des graines qui nourrissent d’autres enjeux. La culture n’est pas isolée, elle participe à une vie commune, elle est déclencheur, révélateur. Nous pensons que l’art est un catalyseur de l’adaptation au changement. »
En effet, lorsque la ville de Loos-en-Gohelle a évalué ses actions et leurs résultats, il est ressorti que la culture était le socle du changement systémique. C’est à partir de la mémoire, du patrimoine et de la culture sous toutes ses formes que les habitants définissent leurs valeurs communes. Reste ensuite à dérouler une vision et des trajectoires pour le futur. Mais la culture aura permis de créer un socle sur lequel s’appuyer et travailler dans le temps long.
Implication citoyenne
“La culture est le premier espace d’implication des habitants” ajoute le directeur de cabinet de Loos-en-Gohelle, Antoine Raynaud. Le fifty/fifty, l’outil de participation citoyenne de Loos, est plébiscité par certains habitants pour leurs projets culturels. Comme par exemple peindre la cour d’une école ou fabriquer la fameuse écharpe en laine des terrils de la base 11/19. Longue de 375 mètres de long, elle avait permis de créer un objet commun, issu de la solidarité entre les générations et empreint de fierté.
Malgré ces réussites, l’élue et les acteurs associatifs restent mobilisés dans une démarche du “aller vers”. Les habitants sont invités à participer par petite touche en fonction des projets. Même s’ils refusent, le dialogue est engagé. “Le processus de rencontre est de 3/4 mois en général. Mais c’est le plus important avant la restitution artistique” assure l’élue à la culture. L’accent est aussi mis sur l’implication des jeunes. “Nous avons connu un échec avec le projet Gumboot, à destination des ados. Nous sommes retombés sur nos pattes avec un groupe de personnes un peu plus âgées mais il est important de l’accepter et de revenir sans arrêt. Peut-être qu’ils viendront la prochaine fois car ils en auront entendu parler. Le mot combat convient quand on parle de médiation” selon Xavier Lacouture. “C’est un accompagnement sur le temps long, certains partent et reviennent ensuite. Ce n’est pas parce que la ville décide de faire une action que les gens sont motivés, il faut l’accepter aussi” ajoute Christine Stiévenard.
Changement d’imaginaire
Le projet culturel de la ville de Loos-en-Gohelle s’inscrit dans la mise en récit globale du territoire. L’équipe municipale est convaincue que les transitions et les changements de postures n’auront lieu que s’il y a un changement d’imaginaire. Les spectacles participent à cela. Ils font évoluer la vision et les représentations que les habitants ont les uns envers les autres. Ils permettent de se réunir, de créer du lien et de nourrir l’attachement des habitants au territoire.
La culture est un relai joyeux, une mise en mouvement ludique, qui mène ensuite au désir. Le désir de construire une société en réelle connexion avec les enjeux actuels. Ces leviers sensibles, qui font appel aux émotions, s’inscrivent plus durablement dans le temps. Ils permettent un engagement collectif basé sur des valeurs communes. “De ce point de vue, la culture, l’art et le patrimoine jouent un rôle fondamental”.
Article réalisé par Léa Tramontin