La lettre de l’impact positif vous propose cette semaine un focus sur une initiative de la Communauté de communes de l’île de Noirmoutier. Le territoire est l’un des pionniers en France dans le domaine de la réutilisation des eaux usées. Depuis 40 ans, la collectivité récolte puis traite les eaux usées avant de la fournir gratuitement aux agriculteurs. Une ressource précieuse pour une île qui n’a aucune source d’eau potable sur son territoire. En 2022, 650 000 m3 d’eau ont été réutilisés soit 44% des eaux usées de l’île et surtout la totalité des besoins des producteurs. Un bel exemple de coopération au service du développement durable et de la sobriété.
Nous vous proposons l’interview croisée de Fabien Gaborit, président de la Communauté de communes de l’île de Noirmoutier et Cyril Groslier, technicien assainissement.
En introduction, découvrez notre reportage vidéo. Réalisé par les équipes de Territoires Audacieux à l’occasion des RNIT (Rencontres Nationales de l’Ingénierie Territoriale) 2023 à Montpellier.
D’où vient l’idée de réutiliser les eaux usées ?
Quand nous avons mis en place l’assainissement collectif, nous avons affronté un problème de qualité pour le rejet dans la mer. La montée du tourisme faisait que notre territoire devenait plus vulnérable aux risques liés à l’assainissement. Nous avons donc misé sur deux stations d’épuration de type « à boue activée ». La physionomie du territoire, avec les marées et des lagunes, nous permet d’abattre la bactériologie grâce aux ultraviolets.
Comment fonctionne ce type de station ?
Nous avons une station d’épuration des plus communes, dans laquelle nous recevons, dans le bassin d’aération, les eaux usées des habitations. C’est un traitement dit biologique, ce sont des bactéries déjà présentes dans les eaux usées qui assurent la dépollution et éliminent la partie carbonée, azotée et phosphorée. Après l’eau continue dans un clarificateur qui lui permet par décantation de séparer les boues les plus lourdes de l’eau. C’est envoyé sur un système de centrifugation puis un cheminement naturel se met en place. Dans les lagunes, l’eau met un mois pour circuler et qu’elle finisse par être conforme aux normes. Il y a une réglementation nationale qui établit les normes pour la réutilisation des eaux usées traitées en irrigation. Jusqu’à l’année dernière, nous étions en classe A, c’est-à-dire la norme la plus restrictive, car nous estimons que la pomme de terre qui était vendue pouvait potentiellement être mangée crue. Depuis cette année, nous sommes passés en classe B car la loi a changé. Depuis le 26 Juin, nous passons sur une réglementation européenne encore plus stricte au niveau bactériologique. Nous sommes obligés de nous tenir à ces normes réglementaires. Nous avons déjà fait le suivi l’année dernière pour voir si nous pouvions tenir cette norme européenne. Nous sommes bien en dessous des valeurs strictes. Nous n’avons donc aucun souci pour irriguer des terres agricoles sur Noirmoutier.
L’eau peut ensuite être réutilisée ?
Ainsi, on retrouve une qualité d’eau très intéressante. Nous avons ainsi pu voir l’eau comme une manne providentielle. Nous avons un territoire où il n’y a pas de sources d’eau potable. Nous avons donc assez rapidement proposé aux agriculteurs des premiers d’essais d’irrigation. Maintenant, toute la plaine agricole est irriguée grâce à un réseau de distribution de l’eau mis en place entre les années 80 et aujourd’hui. L’année dernière le préfet avait interdit l’irrigation sur le continent, nos agriculteurs pouvaient alors encore continuer à irriguer avec l’eau de la station d’épuration.
Le dispositif a donc 40 ans et pourtant, il semble tout à fait d’actualité…
C’est très novateur par rapport au reste du pays. Nous sommes pionniers depuis le départ, car nous n’avions pas d’eau. Mais c’était l’une des seules voies possibles pour maintenir une agriculture ici. Grâce à cela, nous avons unifié une production d’environ 12 000 tonnes de pommes de terre. Nous collectons les eaux usées puis les traitons. Nous les mettons ensuite à la disposition des agriculteurs gratuitement. De leur côté, ils ont financé le réseau de distribution et l’entretiennent. Avant, nous rejetions les eaux usées traitées dans l’océan.
Quelles sont les prochaines étapes ?
La communauté de commune possède la compétence d’assainissement. C’est un projet que nous portons depuis les années 80 et que nous allons continuer à faire évoluer. Aujourd’hui, le projet est mature et il fonctionne bien. Sur la plaine de Barbâtre, nous pouvons encore développer une agriculture nouvelle dans le cadre de notre plan alimentaire territorial. Désormais, le problème de la bactériologie est réglé. Nous sommes dans les bonnes réglementations. Nous essayons à présent de mettre en place un système qui viendrait rechercher les micro-polluants présents. Nous sommes un territoire vunérable, car nous avons d’importantes productions marines, dont la conchyliculture et la pêche. La qualité de l’eau que nous rejetons est un impératif.
Est-il facile de communiquer sur le sujet ?
Au départ, nous avons eu une certaine crainte. Les habitants et les consommateurs allaient-ils comprendre ? Aujourd’hui, encore tout le monde ne connaît pas notre fonctionnement. Mais je crois que le consommateur a totalement changé d’avis. Il est prêt à accepter ce type d’irrigation.
Quels sont les impacts comptabilisés ?
En économie pure, les agriculteurs ont récupéré environ 750 000 mètres cube d’eau. Mais nous continuons quand il n’y a pas de besoins à rejeter nos eaux usées traités dans l’océan. De fin avril à mi-juillet, nous évitons de rejeter de l’eau usée traitée dans le milieu naturel. Tout part en irrigation. Les agriculteurs utilisent entre 600 et 700 000 mètres cube en irrigation en sachant que les deux stations d’épurations traitent à l’année 1 000 000 et demi de mètres cube. Il y a donc une grande partie qui part en irrigation et cela nous évite de rejeter cette eau usées même traitée dans le milieu naturel par rapport aux ressources en aval. Dans le futur, pourquoi pas consacrer cette eau que l’on rejette encore à d’autres usages, comme l’arrosage de l’espace public par exemple ? Peut-être que nous pourrions aussi avoir un système de bipasse en nouvelle construction, qui permettrait d’alimenter les toilettes et d’ensuite revenir à la station d’épuration après un cycle d’usage… Par rapport à d’autres territoires, nous avons un avantage : nous n’avons pas de lourds rejets industriels et de lourdes pollutions. Et l’eau rejetée ne sert pas à alimenter l’étiage d’une rivière.