Thèse CIFRE en collectivité : “En étant au quotidien avec les élus, j’ai aussi envie de leur apporter des solutions à eux et non pas qu’à un lectorat universitaire”

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose le portrait de Louise Michaud. Doctorante en Cifre au sein de la ville de Saint-Cyr-en-Val (45), elle est architecte de formation. En plus de son travail de recherche, Louise occupe un poste de chargée de mission au quotidien. Objectif : coordonner la réhabilitation d’un quartier lié à l’école de la ville pour enrichir sa thèse. Le titre complet de sa thèse : « Penser l’évolution du patrimoine des écoles et leur rénovation énergétique par les usages ». Elle s’intéresse plus spécifiquement au cas des petites villes, dans le cadre d’une expérimentation à Saint-Cyr-en-Val. Nous vous proposons de découvrir son travail et sa recherche.

Son portrait est issu d’une série que nous allons vous présenter progressivement pendant l’année 2023. Territoires Audacieux et 1000 Doctorants pour les territoires se sont associés pour arpenter l’Hexagone à la rencontre de doctorants en thèse Cifre au sein de collectivités.

Vous pouvez découvrir, en introduction, notre reportage vidéo ci-dessous : 

Pour aller plus loin, Louise Michaud a répondu à nos questions. 

Comment êtes-vous arrivée à réaliser une thèse CIFRE en collectivité publique ? 

J’ai fait des études d’architecture à Paris, à l’ENSA Paris Val-de-Seine. J’ai su que je voulais faire un doctorat assez tôt. Dans les premières années, les parties analytique et conceptuelle m’intéressaient beaucoup. Cela correspond finalement à la partie recherche. Je me suis aussi intéressée, à peu près au milieu de mon parcours, à l’architecture scolaire. Tout ce qui concerne les écoles, l’éducation et les questions d’usage. Par exemple, comment les enseignants et les enfants utilisent-ils les lieux ? De la même manière, les enjeux écologiques sont venus se greffer à ma réflexion. Avec des questions plus centrées sur les territoires, la rénovation ou sur des approches plus frugales de la construction. Une fois diplômée, j’ai enchaîné avec une année de post-master. Cela m’a initié à la recherche en architecture et cela m’a permis de préparer mon dossier pour l’ANRT. J’ai été accompagnée de mes futurs directeurs de thèse dans un contexte de laboratoire. Le calendrier s’est plutôt bien organisé puisque, juste après la soutenance de ce post-master, j’ai pu débuter ma thèse en Cifre dans la ville de Saint-Cyr-en-Val. 

Quel est le titre provisoire de votre thèse ?

Le titre provisoire de ma thèse est : « Penser l’évolution du patrimoine scolaire et sa rénovation énergétique par les usages ». Je m’intéresse plus spécifiquement au cas des petites villes, dans le cadre d’une expérimentation à Saint-Cyr-en-Val. Cette typologie de bâtiments m’intéresse beaucoup. Notamment car cela m’a permis de faire un lien avec toute les questions environnementales, écologiques et liées à la rénovation énergétique. La question des usages est au cœur de la recherche.

Pourquoi avoir choisi ce sujet ? 

L’objectif de ma thèse serait de montrer que, lorsqu’un bâtiment est conçu ou rénové, certaines questions semblent purement techniques. Mais elles entraînent parfois des conséquences en termes de fonctionnement ou de qualité d’usage. Elles ne sont pas à négliger car elles peuvent modifier l’expérience des utilisateurs dans leur quotidien. Quand on traite la question de l’usage, il ne me semble pas pertinent qu’elle soit traitée « en chambre ». Elle se vit sur le terrain et au contact des usagers, ceux qui utilisent le bâtiment et qui ont cette expertise. Moi, en tant que technicienne, j’ai des compétences d’architecte, ce n’est pas moi qui vit dans les lieux. En cela, la thèse Cifre présente de réels avantages car elle permet de mélanger recherche et terrain.

Comment se déroule votre quotidien ?

Dans la mairie, j’ai vraiment des tâches opérationnelles. Cela varie en fonction des périodes et des projets. J’ai d’abord été sur un petit projet : la conception d’une nouvelle cour de récréation. J’ai eu l’occasion de passer beaucoup de temps dans l’école, au contact des enfants et des enseignantes. Cela m’a permis de faire de l’observation et de la concertation. Après, évidemment, il y a aussi toute une partie où je suis un petit peu plus dans mon bureau pour essayer de mettre en forme tout ça, de travailler sur des plans, de contacter des entreprises et des fournisseurs. Pour cette partie, j’ai vraiment une casquette de chargée de mission. Puis j’ai aussi des temps dédiés à la recherche. Depuis quelques mois, je me consacre enfin au projet central dans le cadre de ma recherche : un projet de pôle éducatif et culturel. 

En quoi consiste ce plus gros projet ?

Ce pôle éducatif et culturel est pensé à l’échelle du quartier. Le point de départ de notre réflexion correspond à la rénovation de l’école. Elle demande des dépenses énergétiques très importantes et ne correspond plus forcément aux besoins des équipes qui travaillent dedans. Mais autour de ça, nous avons fait le choix de prendre du recul pour voir ce qui se passait autour de cette école et comment, à l’échelle du quartier, nous pouvons concevoir quelque chose de plus pertinent. Nous souhaitons, par exemple, rapprocher des activités comme le centre de loisirs ou la crèche. Nous allons également repenser tous les cheminements autour de ce site. Pour ce projet, je suis chargée de la coordination. Nous faisons appel à un bureau d’étude. Je suis en relation avec eux au quotidien et je m’occupe d’animer les temps de concertation. J’assure également les échanges avec les techniciens de la collectivité mais aussi avec les élus. J’ai donc vraiment un rôle de conseil auprès des élus. Mon objectif étant d’éclairer les arbitrages qu’ils auront à prendre dans le cadre de ce projet

Ce sont des missions concrètes pour la collectivité… 

Au fil des mois, j’ai réussi à trouver ma place au sein des équipes de Saint-Cyr-en-Val. Auprès des agents de la mairie à la fois administratifs et techniques. Je suis intégrée au pôle technique et aménagement. Cette immersion très forte sur le terrain est vraiment nécessaire pour moi. Déjà car c’est passionnant. Mais aussi car cela m’apporte beaucoup de matière pour ma recherche. Mes collègues me permettent d’avoir une meilleure compréhension du fonctionnement et des difficultés d’une collectivité. C’est une aide précieuse pour réaliser ma thèse dans les prochains mois.

Comment se déroule la partie recherche ? 

C’est un fonctionnement de recherche-action. Pour alimenter la recherche, je me sers de ce que j’observe et construit sur le terrain. Je ne suis pas seulement dans une posture d’observatrice, mais j’agis avec ma casquette de chargée de mission pour la mairie. Cela demande d’objectiver cette posture. C’est très intéressant, car la recherche vient se nourrir des expérimentations. Je ne suis pas seulement dans l’observation grâce à cette posture. Nous testons des outils et des méthodologies pour voir les réactions et les effets produits sur le terrain. 

Ce n’est pas forcément l’image que l’on peut avoir de la recherche… 

Ce que l’on imagine de la recherche de thèse, c’est de l’état de l’art, de la lecture ou de la recherche théorique. Dans les sciences humaines et sociales en général, nous avons une présence sur le terrain qui est assez forte. Il y a de l’observation, notamment dans des disciplines comme la mienne où nous avons besoin d’être sur le terrain, d’observer, de voir les lieux et de vivre avec les usagers. Mais en plus de ça, la thèse en Cifre, permet d’agir, d’expérimenter, de modeler pour vérifier ou invalider des hypothèses. En effet, c’est vrai que la recherche (le doctorat) commence avec des hypothèses. Notre objectif, c’est de les vérifier. J’ai eu l’occasion de vérifier des hypothèses trouvées dans les travaux d’autres chercheurs. Cela me permet aussi de valider des hypothèses opérationnelles. C’est vraiment quelque chose qui est assez spécifique. L’autre point fort, c’est que j’espère que les résultats apporteront des réponses très concrètes à mes interlocuteurs. Même ceux qui ne seraient pas forcément les premiers identifiés dans le cadre d’une thèse traditionnelle. En étant au quotidien avec les élus, j’ai aussi envie de leur apporter des solutions à eux et non pas qu’à un lectorat universitaire. C’est vrai que l’on se sent utile ! 

La mairie va-t-elle capitaliser sur votre passage ?

Il faut se méfier du syndrome du sauveur. La posture Cifre nécessite d’arriver avec une posture assez humble. Les acteurs sur le terrain nous apprennent énormément. Mais en contrepartie, moi aussi, je dois leur donner certaines choses. C’est normal d’ailleurs parce que mes compétences de doctorante font que peut-être que je peux leur apporter des outils, des méthodes ou une vision un peu décentrée de leur quotidien. Depuis mon arrivée, j’ai réalisé de nombreux moments de médiation. J’essaie de créer des outils qui permettent de mieux échanger et aux acteurs de mieux se comprendre. J’espère qu’ils pourront être réutilisés même après mon départ et que mes collègues pourront s’en saisir. D’où l’importance aussi de ne pas mener mes actions seules et d’essayer d’impliquer au maximum des collègues pour enclencher dès maintenant une forme de transmission.

En bonus, vous travaillez dans le village dans lequel vous avez pu grandir…

C’est vrai que j’ai grandi dans ce village. Ma famille est originaire de cette terre. J’ai fréquenté les écoles sur lesquelles je travaille aujourd’hui. Je  connais très bien les sites en tant qu’usager, c’est assez particulier. C’est sûr que personnellement, c’est satisfaisant. Quitte à avoir un impact autant l’avoir sur un territoire qui nous tient à cœur. Après, dans la posture de chercheur, ça nécessite une certaine distanciation et une certaine objectivation qui est tout à fait faisable. 

Comment se mène le travail de recherche ?

Pour ne pas perdre le fil de la recherche, il est important de garder un cadre dès le départ. Le dossier soumis à l’ANRT doit avoir cet objectif. C’est un moment où nous cadrons théoriquement et méthodologiquement la recherche avant même de commencer. Nous essayons de voir comment s’y prendre très concrètement. Moi, par exemple, je mène une recherche ethnographique, qui est en immersion forte sur le terrain auprès des acteurs. J’ai un journal de terrain dans lequel je note au quotidien ce que j’observe, ce qui se passe, les moments forts, les décisions qui sont prises, les questionnements, les difficultés… Cela fait partie de mes outils méthodologiques et il était important que je le définisse dès le départ. Nous les définissons avec notre directeur de recherche, parce que nous ne sommes pas lâchés seuls sur le terrain. Les colloques et les séminaires sont également très importants parce qu’ils réactivent des questionnements, mais encore l’écriture ou la lecture.  

Peux-tu revenir sur la conception du dossier de thèse ?

Cela faisait plusieurs années que je voulais faire une thèse en architecture, avant même de terminer mon master. Je m’étais donc renseigné sur les différents financements possibles et notamment la thèse Cifre. Cela me semblait être une option intéressante parce qu’en sortant d’études, cela me permettait de continuer à avoir une expérience professionnelle. L’opportunité s’est présentée avec la mairie de Saint-Cyr-en-Val qui avait un projet de rénovation d’école. Je leur ai proposé de financer ma thèse en Cifre et donc de venir travailler avec eux. Ça me permettrait de les accompagner sur leur projet et de m’offrir un terrain d’étude et de recherche privilégié en étant vraiment immergé sur le terrain, au plus près des acteurs. Ensuite, il a fallu chercher une directrice et un directeur de thèse, cela a été fait dans les semaines et dans les mois qui ont suivi. Nous avons travaillé à la rédaction du dossier et j’ai rédigé un dossier pour l’ANRT pour obtenir le financement. Le programme 1000 Doctorants pour les territoires m’a aidé à la rédaction et la relecture du dossier. C’était très rassurant car l’équipe du programme connaît bien les informations attendues par l’ANRT pour s’assurer de la pertinence du dossier.