La lettre de l’impact positif vous propose cette semaine de parler de mobilité. À Valenciennes, une initiative se développe depuis fin 2019. Elle permet aux personnes âgées de se déplacer dans la ville. Ce projet est un partenariat entre le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) et l’auto-école “La Clef du Permis”. Objectif : profiter des trajets réalisés par les élèves pour conduire les seniors là où ils le souhaitent. Une initiative solidaire, intergénérationnelle et écologique.
Nous vous proposons l’interview croisée d’Aurore Colson adjointe au maire chargée des politiques seniors et vice-présidente du CCAS de Valenciennes et Marie Pierre Lutun, directrice du CCAS.
Pour commencer, voici un reportage vidéo d’introduction tourné par nos équipes à Valenciennes :
Cette initiative a été repérée lors du concours 2022 du Réseau Francophone des Villes Amies des Ainés (RFVAA) dont Territoires Audacieux est partenaire ! Découvrez bientôt d’autres projets lauréats dans notre lettre de l’impact positif.
Quelles sont les solutions de transport déjà présentes à Valenciennes ?
Aurore Colson. Elles sont toutes assez classiques. Il y a des bus et un tramway. Ce dernier dessert en grande partie le centre-ville. Il y a aussi des navettes gratuites avec plusieurs circuits. Elle remplissent un peu les vides de passage du tramway et permettent de desservir beaucoup de lieux et d’administrations. Il y a même un vélo-taxi qui fait potentiellement des petites courses pour les personnes. Enfin, nous avons des taxis qui opèrent de manière classique sur la ville.
Y avait-il une demande particulière de trajets d’un point de vue du CCAS ?
Tout d’abord, nous avons un Conseil des Seniors à Valenciennes. Une des commissions travaille sur les questions de mobilité. Depuis quelques années, elle nous fait remonter des difficultés de déplacement pour certains seniors. Nous avons l’impression que cela reste toujours le nœud du problème. Nos seniors réfléchissent beaucoup aux moyens de se déplacer pour se rendre aux différentes activités. Comment venir ? Comment se garer ? Ce sont des soucis importants. Cela peut entrainer un isolement de manière progressive et un peu cachée.
Comment est née cette initiative et à quelles problématiques a-t-elle répondu ?
C’était fin 2019. Cette initiative répond à une problématique de mobilité qui est identifiée par nos seniors de manière assez régulière : comment je me rends d’un point A à un point B ? Parfois, quand on vieillit, les derniers kilomètres ou mètres peuvent être problématiques. C’est un frein à sortir de chez soi ou à participer à des activités voire à se rendre à divers rendez-vous. Les personnes âgées ont besoin d’être accompagnées et sécurisées sur leurs parcours. Cette initiative propose une solution facile qui répond vraiment à leurs attentes et leurs besoins.
Comment le lien s’est-il fait avec l’auto-école ?
Marie-Pierre Lutun Nous travaillons avec l’auto-école “La Clef du Permis” au pôle social et solidaire. C’est une auto-école solidaire. Nous collaborons autour de l’accompagnement au retour à l’emploi quand il est nécessaire de passer le permis de conduire. Le contact était donc déjà existant. Lorsque ces personnes ont besoin d’un financement de permis et n’ont pas les moyens, nous travaillons avec l’association là dessus pour les aider à le financer. La directrice de l’auto-école Mme Barbaut a souhaité me voir en me disant : “Nous travaillons ensemble déjà et j’aimerais m’ouvrir au public senior”. C’est un public qui n’était pas forcément un public habituel pour eux. Son idée de départ n’était pas exactement celle-là. De notre côté, nous souhaitions travailler autour de la mobilité des personnes âgées dans les lieux mal desservis. C’est le cas par exemple des cimetières des communes voisines. Pour les personnes totalement dépendantes nous avons un autre système mais là nous pensions à des personnes plus autonomes. L’idée a donc germé : puisque l’auto-école a des voitures qui tournent dans la ville, pourquoi ne pas les utiliser pour prendre un senior à domicile et l’emmener vers le lieu qu’il souhaite avant de le ramener.
Comment fonctionne le projet au quotidien ?
Marie-Pierre Lutun Nous nous sommes rencontrés avec la directrice de l’auto-école solidaire, La Clef du Permis, pour monter toutes les étapes du projet. Les seniors déposent leur demande auprès du CCAS ou sont directement orientés lors d’un rendez-vous à propos d’un autre sujet vers le service. Nous avons un agent d’accueil qui reçoit la demande par téléphone. Puis nous rencontrons le senior pour bien comprendre sa demande et l’analyser. Si un senior a des difficultés pour aller à la station de tram ou de bus, cela veut dire qu’il peut aussi avoir des difficultés à son domicile. Nous en profitons donc pour évaluer l’ensemble de ses besoins. Peut-être qu’il peut avoir besoin du services des courses, du portage des repas ou d’autres services de proximité que nous pouvons offrir. Après cette première analyse, une fiche de liaison est remplie puis envoyée à “La Clef du Permis”. Ce sont leurs équipes qui planifient ensuite chaque rendez-vous quand le senior en fait la demande. Le CCAS, avec les services de la ville, gère également tout la communication.
Aurore Colson Concernant les assurances, il n’y a pas eu de problématique particulière puisque l’école est déjà assurée pour transporter des personnes donc là dessus il n’y a pas de soucis particulier.
Comment cela se passe quand un senior veut faire un trajet ?
La fiche de liaison comporte l’ensemble des coordonnées et des informations à propos du senior. Quand ils téléphonent à l’auto-école, leurs équipes essayent de faire correspondre une heure de cours avec les trajets souhaités. Si besoin, ils peuvent prioriser en fonction du besoin du senior. Tout ça est pris en charge par l’association. Elle va s’organiser et retéléphoner au senior en lui proposant de venir le chercher tel jour, à telle heure avec tel(le) élève. Chose importante, l’association est obligée de sélectionner ses élèves. Ils préfèrent que la conduite se fasse avec un élève un minimum expérimenté.
Quelles difficultés avez-vous rencontré en montant ce projet ?
Marie Pierre Lutun Le Covid nous a freiné dans le développement. Cela n’a pas été aussi rapide que nous l’aurions souhaité. Après c’est peut-être parfois long de travailler sur la partie communication. Il faut par exemple se mettre d’accord sur les flyers. Cela peut demander de nombreux aller-retours entre le service communication de la ville, “La Clef du Permis” et nous. Nous devons aussi travailler pour trouver des financements pour que le projet perdure. Mais juridiquement nous n’avons eu aucun problème.
Quels sont les enjeux politiques de ce projet selon vous ?
Marie Pierre Lutun Nous n’y pensons pas en premier lieu, mais ce projet est écologique. Il permet de ne pas faire tourner un véhicule de plus dans le trafic routier.
Aurore Colson Nous avons aussi une attention toute particulière pour nos seniors. Pour le bien et le mieux vieillir à Valenciennes. C’est vraiment un des axes forts de notre programme politique. Nous luttons aussi contre l’isolement. Ce projet est un des moyens qui nous permet d’apporter une réponse. Nous avons des visites à domicile pour aller rencontrer les personnes et essayer de comprendre quelles sont leurs attentes. Nous les incitons à participer à diverses activités sur la ville. Or, si la mobilité ne suit pas, effectivement, cela va être très compliqué. Cette initiative est une réponse supplémentaire. Il n’a pas de miracle : c’est un panel de réponses qui peut nous aider à vaincre ces difficultés.
Combien de personnes cela touchent aujourd’hui ? Ce nombre est-il positif selon vous ?
Marie Pierre Lutun Nous avons fait le point avec “La Clef du Permis” la semaine dernière. Sur l’année 2022, nous avons eu près de 60 demandes de seniors différentes mais près de 375 trajets. Cela veut dire qu’un senior qui a découvert le service et a pris l’habitude de l’utiliser, le redemande. Par exemple, il y a une personne âgée qui, toutes les semaines, rend visite à son mari en EHPAD. Ce service lui permet de maintenir un lien régulier avec son mari. Ces chiffres sont très positifs et nous voudrions développer davantage la communication. Cela a été compliqué avec le Covid-19 qui nous a freiné dans le développement de notre service. En effet la situation ne permettait pas de prendre un passager à l’arrière de la voiture donc nous avons dû décaler le développement de ce service pour respecter les consignes liées au virus. Le service a pris de l’ampleur sur 2022 et nous savons que si nous communiquons encore davantage cela augmentera encore. Et puis il y a toujours le bouche à oreille…
Combien coûte l’initiative à la ville ? Et aux personnes âgées ?
Marie Pierre Lutun Le poste de coordination a un coût. Il faut réaliser les différents entretiens avec les seniors qui demandent à intégrer l’initiative. Il faut également un budget communication. Nous c’est le service communication communication qui nous aide. Mais il faut tout de même imprimer les flyers. Côté CCAS bien sûr, je pense que cela nous coûte entre 30 et 40 000€ sur l’année. Pour les personnes âgées, « La Clef du Permis” réceptionne l’argent, il est demandé un 1€ symbolique pour l’aller-retour. C’est important qu’il y ait un petit geste qui soit fait par les personnes transportées. Nous ne voulions pas que cela soit supérieur à un ticket de tram ou de bus. Nous souhaitions que cela soit accessible à tous quelque soit les ressources. « La Clef du Permis » a également des coûts de fonctionnement de son côté pour gérer le planning des trajets.
Les seniors sont-ils satisfaits ?
Aurore Colson Oui, nous sommes en plus sur du transport à la demande, c’est pour eux la solution rêvée, la plus facile. Et puis cet échange est un loin d’être anonyme. ils sont dans un véhicule avec une personne qui apprend à conduire. Ils peuvent ainsi partager leur histoire. C’est très enrichissant et puis nos seniors sont très bavards…
Quels conseils donneriez-vous à une collectivité qui voudrait monter ce projet ?
Marie Pierre Lutun De foncer. Il faut y aller parce que c’est vraiment une idée éco-responsable. Je sais qu’il y a des communes qui ont mis en place des taxis sociaux solidaires. C’est déjà une bonne idée puisque ça répond à une demande et un besoin. Mais là je trouve que le plus du projet, c’est que nous ne faisons pas tourner un véhicule supplémentaire dans le trafic routier, c’est vraiment du covoiturage avec des véhicules qui tournent déjà sur notre territoire. Il y a aussi de l’intergénérationnel. Les élèves, les moniteurs de l’auto-école et les seniors le disent. Ils peuvent parler au sein du véhicule, ça crée du lien. Alors qu’un taxi social, on peut lier la personne qui conduit et le passager. Ici c’est trois générations différentes !
Propos recueillis par Baptiste Gapenne
Avec Lenny Armelin