La Ferme Emmaüs Baudonne atténue le choc de la sortie de prison

À Tarnos (40), la ferme Emmaüs Baudonne accueille des femmes détenues en fin de peine. Durant deux ans, elles sont aidées pour réussir au mieux leur vie après la prison. Plus qu’un simple accompagnement, ce lieu est un vrai modèle d’alternative à l’enfermement.

Sous un soleil timide de début de printemps, un barnum vert foncé au bord de la route attire le regard. Salades, blettes, épinards, persil… Des légumes verts à foison tapissent l’étale. « Goûte ça c’est incroyable, tu verras ça a un goût de moutarde ! » Trois femmes souriantes blaguent avec une cliente.  Mais les vendeuses ne sont pas des maraîchères comme les autres. Toutes ont été condamnées par la justice. Ces détenues bénéficient d’un placement extérieur au sein d’un lieu unique : la ferme Emmaüs Baudonne. Cet endroit est le seul en France à permettre aux femmes et aux transgenres de pouvoir finir leurs peines en dehors d’une prison. 


Aïsha fait partie de ces résidentes pas comme les autres. Le regard pétillant, un large sourire aux lèvres et du verni rose bonbon aux doigts, cette guyannaise de 34 ans n’a pas toujours été aussi sereine. Incarcérée dans une prison d’hommes à Fleury-Mérogis, cette transgenre était considéré comme un homosexuel par les autres détenus. Elle ne s’y est jamais sentie en sécurité. « Il fallait que je me cache, j’étais isolée dans ma chambre », murmure-t-elle. Inculpée pour trafic de drogue, Aïsha restait cloîtrée 22h sur 24 dans sa cellule de 9m2. Penser à sa sortie de prison ne faisait que l’angoisser davantage. « Je n’avais aucune idée de comment j’allais m’en sortir après la prison. Pour moi c’était la fin, je n’avais plus goût à rien. En allant en prison je me sentais déjà démolie. »

Grâce à une rencontre en milieu carcéral, elle entend parler de la ferme. Mais la jeune femme est d’abord méfiante. Purger sa peine dehors, à la campagne, paraissait trop beau pour être vrai. « Quand je suis arrivée le premier jour, je pensais qu’une fois le travail terminé on allait m’emmener dans ma chambre et m’enfermer à clé. Je pensais que j’aurais des barreaux, comme en prison », confie-t-elle.

Au contraire, ici la confiance est la base de tout. Les femmes peuvent se balader librement après le travail. « Tout le monde respecte les règles. On s’entend bien avec les bénévoles, ça ne donne pas envie de briser leur confiance. » La propriété n’est pas délimitée par du béton et des fils barbelés. À la place, une grande forêt derrière la résidence principale fait office de mur végétal. De l’autre côté, la petite route “abbé Pierre” constitue la limite à ne pas franchir. 

Entre les deux, onze hectares de terres. Une grande serre de 1200 m2 côtoie une petite serre à plants de 120 m2 ainsi que deux longs contenairs dans lesquels est sécurisé l’outillage.

Car à la ferme Emmaüs Baudonne, être en dehors de la prison ne signifie pas pour autant être en vacances. Le maraîchage débute dès 8h30, du lundi au vendredi. Les matinées sont consacrées au travail de la terre. « Au début,quand je suis arrivée, les serres n’existaient pas encore. J’ai participé à leur mise en place et j’ai aidé à installer l’irrigation dans l’exploitation. Nous avons aussi planté des haies et fait les semis. »

Aisha est maintenant responsable des récoltes et s’occupent de les mettre en avant pour leur vente. Elle est rémunérée à hauteur du SMIC avec tous les droits propres à un contrat de travail classique. Cet argent est nécessaire pour réussir à retrouver une vie autonome.

Un accent espagnol résonne dans le couloir de la grande bâtisse. Maria Ortego blague avec une résidente. Malgré les quelques mèches grises qui trahissent son âge, l’accompagnatrice socio-professionnelle (ASP) de l’association semble être pleine d’énergie. Et il lui en faut, de l’énergie ! Elles passent toutes ses après-midi à construire un projet professionnel avec chaque prisonnière. Sa première tâche consiste à mettre à jour leurs papiers. Carte bancaire, compte en banque, compte CAF, Pôle emploi, sécurité sociale… « Je les prépare à la sortie », lance-t-elle fièrement. 

Lorsque tout est en ordre, les femmes sont invitées à réfléchir au métier qu’elles aimeraient faire après la prison. Elles sont nombreuses à avoir travaillé comme aide à domicile, avant leur écart. Mais après une condamnation pénale, le casier judiciaire n’est plus vierge. Ces femmes-là n’ont alors plus accès à leur ancien travail. « Le casier judiciaire est une peine ajoutée à la peine », déplore Maria Ortego. L’ASP tente de leur trouver un nouveau métier. L’association leur permet d’effectuer des stages en entreprise. Lorsqu’elles ont identifié un travail intéressant, elles peuvent envisager de suivre une formation qualifiante. « Si l’une d’entre elles est intéressée par les vêtements, alors nous lui faisons faire un stage de quelques semaines dans un magasin. Ça se passe très bien même si le projet professionnel n’est facile pour personne. Même nous, nous sommes en reconversion tout le temps ! »

Le but ultime de Maria est surtout de lutter contre la “sortie sèche”. Il est impensable pour elle de laisser une femme devant la porte d’une prison sans logement et sans argent. Elle leur donne donc toutes les cartes en main pour repartir sur de bonnes bases.

« Ça y est on a fait trois quart d’heure de gym là. Elles voulaient faire des abdos, je leur ai fait faire des abdos, faut ce qu’il faut, Marie elle veut se muscler ! » Certains après-midi, les résidentes ont aussi le droit de faire du sport, du yoga, de danser ou de peindre. 

Une procédure longue et difficile 

Mais malgré l’attrait incontestable du projet et son influence positive sur les femmes, seules six chambres sur douze sont occupées. Gabriel Mouesca n’en dort pas de la nuit. Le directeur et fondateur de la ferme Baudonne se voue corps et âme à ce projet depuis deux ans. Cet ancien prisonnier politique basque est bien placé pour comprendre les femmes qu’il accueille : il a passé 17 ans de sa vie derrière les barreaux. Depuis sa sortie de prison, il y a 20 ans, il a toujours travaillé dans le milieu carcéral. Dans son bureau simple et épuré, seules trois photos décorent la pièce : l’abbé Pierre, sa secrétaire Lucie Coutaz et le premier compagnon Emmaüs Georges Legay. Sous l’œil de ces âmes bienveillantes, Gabriel Mouesca poursuit la philosophie d’Emmaüs : aider ceux qui en ont le plus besoin. Mais face à cette quête, des barrières se dressent. 
Pour parvenir jusqu’ici, les femmes sous main de justice sont obligées de passer par une procédure qui dure entre 8 et 12 mois. Elle nécessite l’accord des conseillers d’insertion, de probation et des magistrats. « Malheureusement, nous ne sommes qu’un des éléments de la mayonnaise qui doit prendre pour que les femmes viennent. Chacun a une temporalité différente, ce qui prend beaucoup de temps. »

Du temps, il en faut pour faire évoluer les mentalités. D’ailleurs, la ferme Emmaüs Baudonne est loin de faire l’unanimité. « Beaucoup de gens pensent qu’il ne faut pas encourager des lieux comme ça, car ça ne fait pas assez souffrir. Mais ces bien pensants, je les inviterai à venir travailler la terre l’hiver comme elles le font. Ce n’est pas le Club Med ici ! »

Le travail de maraîchage peut en effet être très pénible. Et, à l’enfermement entre quatre murs sans perspective d’avenir, Gabi Mouesca préfère « la sanction citoyenne ». Pour atténuer le choc de la sortie de prison, ces femmes retrouvent un vrai rythme de travail, un peu d’autonomie et de l’estime de soi. « Notre volonté c’est que ces femmes bénéficient de ce que la plupart n’ont jamais eu dans leur vie et encore moins en prison c’est-à-dire le respect, la posibilité de vivre leur sororité pleine et entiere, la confiance. »

Au-delà de l’individu, c’est toute la société qui sort gagnante de ce genre d’initiative. En donnant aux femmes prisonnières toutes les chances de reprendre leur vie en main après la prison, elle limite les risques de récidive et donc de potentielles nouvelles victimes. « Un jour, nous avons organisé un vide grenier avec plus de 40 personnes mélangées. Tu ne savais plus qui était prisonnier. C’était magnifique. Une Guyannaise a monté son stand de cheveux africain, c’était une femme très dure et cet après-midi-là elle rayonnait, c’était formidable. C’est de cette façon que tu ramènes au corps social des personnes très éloignées. »

L’an dernier, cinq femmes ont bénéficié de ce programme. Quatre ont réussi leur sortie de prison. Une seule s’est évadée de la ferme et est repartie en milieu carcéral. Aucun acte de violence n’a été constaté. Les autres ont toutes trouvé un travail rémunéré ou une formation professionnelle qualifiante et un logement. 

Ces quelques exceptions ne sont que des gouttes d’eau dans un océan de femmes qui sortent chaque année de prison. La ferme Emmaus Baudonne est la seule en France à accueillir des détenues du sexe féminin ou transgenre. Pourtant, selon l’observatoire international des prisons, 2 057 femmes étaient emprisonnées au 1er janvier 2021. Très minoritaires, elles sont les grandes oubliées du système pénitentiaire.Seules deux prisons leur sont spécifiquement réservées : le centre pénitentiaire de Rennes et la maison d’arrêt de Versailles. En dehors de ces établissements, elles sont affectées dans des quartiers à part dans des prisons pour hommes. Les femmes pâtissent aussi d’un moindre accès aux locaux collectifs et donc au travail, à la formation, aux activités socioculturelles et sportives ainsi qu’aux soins. 

Aïsha a eu la chance de bénéficier de ce programme exceptionnel. Elle sort dans deux semaines et compte s’installer dans la région. La Guyannaise a déjà trouvé un logement. Elle veut devenir bénévole au sein de la ferme et a trouvé son rêve : travailler dans la vente. Pas dans les légumes mais dans les vêtements cette fois-ci. Aïsha semble épanouie. « La ferme m’a redonné goût à la vie, je peux recommencer une vie comme il le faudrait. »

La lumière du jour commence à se dissiper. Les résidentes s’affairent à ranger le reste des invendus. Les enfants des derniers passants s’amusent à escalader les arbres de la propriété. Loin des murs froids de la prison, ce lieu hors du commun paraît presque irréel. Pour Aïsha et les autres, il existe pourtant bel et bien.

Par Sophie Vanel