GaiaMundi : Mettre la cartographie de données à la disposition des territoires pour faciliter les échanges

Depuis plus de dix ans, la ville de Lyon utilise et développe un outil de visualisation de données. Objectif : pouvoir créer facilement des cartes évoluant en fonction des indicateurs sélectionnés. Agents, élus et habitants peuvent ainsi mieux débattre et les prises de décisions sont facilitées. Le projet est entré dans une nouvelle phase. Renommé GaiaMundi, il s’ouvre à l’ensemble des collectivités françaises qui souhaitent en bénéficier et
se former. En 2022, l’Incubateur des Territoires de l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (Anct) finance, dans le cadre du plan France Relance, la participation de tous les territoires qui souhaitent se lancer.

Laurence Langer, la responsable de la Mission Observation Évaluation à la Direction du Développement Territorial à la ville de Lyon, a répondu à nos questions.

Vous pouvez également retrouver le témoignage de la ville de Villeurbanne en cliquant ici.

En introduction, nous vous invitons à regarder notre reportage vidéo ci-dessous.

Qu’est-ce que GaiaMundi ?

GaiaMundi, permet de cartographier des données et de les discuter en situation dans des réunions publiques avec les habitants ou en interne dans l’animation de réunions. Il permet de faire discuter les gens de façon égale, il n’y a pas besoin d’être expert, c’est un outil qui permet de rendre accessible des analyses via les cartes.

Quelles ont été les différentes étapes de la mise en place de ce projet ?

En 2008, à Lyon, une question autour de l’animation de réunions publiques s’est posée. Nous devions montrer aux habitants la situation des quartiers prioritaires de la ville. Il fallait un outil qui permette de montrer ces situations. Sven Grillet, un agent de mon équipe, connaissait un logiciel capable de produire des cartes. Nous avons commencé à l’utiliser dans le cadre de ces réunions publiques, puis devant la réussite des débats, nous avons proposé des formations à l’ensemble de nos chargés de missions et de projets. Tous ont utilisé l’outil pour animer des réunions. Au départ, nous donnions les modules cartographiques par clé USB ! Après, nous sommes montés en gamme. Nous avons créé une plateforme internet pour que cela soit accessible à tous. Un bureau d’étude, Cité Publique, nous a aidés. Ensuite, Altercarto, une association de mutualisation des cartes et des données dont nous sommes adhérents depuis 2013, a pris la relève. L’association fait réseau et mutualise les usages. De notre côté, nous avons créé la plateforme VLKO (Ville de Lyon Carto) en 2013.

Quel a été le premier projet développé ?

C’était en 2008, porté par l’élu à la Politique de la ville de l’époque. Il fallait déterminer, dans chaque arrondissement, si des quartiers devaient relever de la Politique de la ville ou non. Une vingtaine de réunions publiques ont été organisées. Nous nous sommes servis de l’outil pour montrer les situations des quartiers sur des cartes et montrer que dans certains, bien qu’ils soient en difficulté, ils ne relevaient pas de la géographie prioritaire quand on les comparait à d’autres quartiers. Nous avons abouti à une synthèse cartographiée. Avec une classification des quartiers selon le degré de difficulté. Ce travail a permis de discuter avec les élus des arrondissements. Par exemple, un maire a pu comprendre que si nous intégrions un quartier de son arrondissement assez pauvre, nous devions aussi inclure la moitié de la ville de Lyon.

Les données sont-elles ainsi mieux exploitées ?

En gardant cet exemple, les cartes produites permettent de montrer où la pauvreté est la plus forte. Il est possible de se promener sur la carte et de faire bouger les indicateurs. Finalement, la cartographie permet la discussion avec les habitants. C’est de l’aide à la décision et à la négociation aussi. En 2014, c’est grâce à la carte que deux quartiers ont été inclus dans la géographie prioritaire, alors que l’État ne les avait pas sélectionnés. Nous avons pu montrer que ces quartiers rentraient dans les mêmes critères que ceux de l’État.

D’où viennent les données ?

De l’Insee essentiellement. Nous avons toutes les données démographiques, du logement, des diplômes, de la scolarisation, de l’activité des résidents, des situations des foyers. Nous avons aussi d’autres ressources via l’Insee sur les revenus, les demandeurs d’emploi, la CAF, la CPAM. Localement, nous utilisons aussi beaucoup la plateforme de data du Grand Lyon. Nous récupérons notamment les contours pour faire les cartes. Au lieu de montrer un tableau excel, nous montrons une carte. Là où le tableau est incompréhensible, la carte est plus intuitive.

Comment les données peuvent-elles aider à créer le dialogue ?

Au cours des réunions, la cartographie statistique permet aux habitants de comprendre facilement les choses et de montrer leurs désaccords. C’est tout l’intérêt : sortir de la donnée en tant que “vérité” et la rendre discutable. Par exemple, sur le quartier de la Duchère, il y avait une discussion pour savoir quels aménagements extérieurs étaient les plus nécessaires. Nous avons montré à travers nos cartes que la population la plus importante chez les jeunes était les adolescents. Mais les habitants nous ont dit que c’étaient les enfants et qu’ils avaient de plus gros besoin d’aménagement pour cette tranche d’âge.

Cela peut également aider les acteurs du territoire…

Sur un autre secteur, dans le quartier Mermoz, nous nous sommes rendu compte que la population vieillissante était majoritairement masculine. Ce qui n’est pas le cas ailleurs. Le centre social du secteur s’interrogeait sur son activité vers les personnes âgées à l’occasion d’un nouveau recrutement. Nous leur avons montré qu’il y avait probablement un enjeu autour de ces hommes, majoritaires, dans leur population cible.

En interne, qui vous sollicite pour créer des cartographies ?

L’année dernière nous avons été sollicités, par exemple, par l’élue en charge de l’emploi, de l’insertion et du développement économique. elle souhaitait préparer le dispositif Territoire Zéro Chômeur Longue Durée. Elle a souhaité une séance de travail avec les élus des arrondissements pour déterminer sur quel arrondissement il y aurait la candidature. À travers des indicateurs sur l’emploi, nous avons montré les quartiers les plus propices et les élus ont pu poser leurs questions. Ils ont vu que, de façon très logique, le dispositif se positionnerait à un endroit dans le 8e. Il y a eu des échanges mais très vite tout le monde a été d’accord. Cette manière de fonctionner permet de faire un pas de côté et d’éviter les postures résistantes.

Le projet va prendre une envergure nationale, notamment en incluant et en formant d’autres collectivités. Cela s’accélère grâce à l’Agence Nationale de la Cohésion des Territoires (ANCT)…

L’année dernière, nous avons répondu à un appel à contribution de l’ANCT sur le “développement open source au service du pilotage des collectivités”. Nous avons été retenus. Puis, ça s’est transformé en appel à projets. Nous avons été lauréats avec un financement à hauteur de 210 000 € et 150 000 € en prestation via l’ANCT. Cela nous a permis d’enclencher un travail avec d’autres collectivités.

Que vont permettre ces financements ?

Tout d’abord, ils nous ont permis de travailler sur la partie technique. Nous avons pu reprendre une partie du code. Il datait de 2005. Il fallait le mettre à jour. Un prestataire nous a aussi aidés à rendre l’interface plus intuitive car nous avions eu plusieurs reproches sur la facilité d’utilisation de l’outil. Enfin, l’Anct prend en charge l’adhésion des collectivités qui souhaitent rejoindre notre communauté et être formées par nos équipes.

En quoi est-ce important de créer une communauté d’utilisateurs ?

Il faut qu’il y ait beaucoup d’utilisateurs pour rendre le modèle économique viable. C’est un enjeu pour tout utilisateur qui s’intéresse à l’outil. Il est Open Source mais il est primordial de maintenir l’équipement ou actualiser les données. Et cela suppose des coûts. Beaucoup de techniciens étaient très intéressés mais nous avons pris beaucoup de temps pour convaincre les DGS puis attendre les délibérations des conseils municipaux pour débloquer les fonds. Cela peut prendre 9 ou 12 mois ! Les financements de l’Anct viennent faciliter l’intégration des collectivités. Il faudra ensuite pérenniser les usages. Si nous avons 20 communes qui contribuent à hauteur de 2 000 € chaque année, nous arriverons à installer ce bel outil dans le paysage.

Combien de collectivités participent aujourd’hui ?


Aujourd’hui, il y a 8 collectivités dans le projet : Villeurbanne, Vénissieux, Vaulx-en-Velin et Écully, la Communauté de Communes Aure Louron et celle des Pyrénées Catalanes. L’adhésion au projet est gratuite. La métropole est intéressée pour une démonstration de l’outil. L’objectif est de faire des groupes de collectivités qui travaillent sur des questions communes. Par exemple, le vieillissement en territoire rural peut intéresser plusieurs départements. Nous faisons en fonction des demandes. De notre côté, nous essayons de partager avec d’autres collectivités, notamment dans le Grand Lyon ou avec d’autres grandes villes, qui partagent nos problématiques sur l’urbanisme.

L’outil peut-il être utile sur tout type d’échelle et de sujet ?

Prenons l’exemple du département de l’Ardèche pour montrer que l’outil est utile sur des échelles différentes. C’est un département rural à faible densité urbaine. L’outil peut être utile sur la question du vieillissement, pour identifier où sont les personnes âgées. On peut aller assez finement dans la répartition des populations pour voir, ensuite, comment cela peut se traduire en termes d’action. Quand on imagine un bus mobile pour la santé par exemple, il faut savoir où on va le faire passer, ça permet de voir les zones les plus importantes et de comparer ça avec le niveau de dessertes, etc. Pour les départements c’est très intéressant car ils ont une compétence forte sur la question de la vieillesse. Et aussi sur le RSA par exemple. En milieu rural, peu de personnes font valoir leur droit au RSA donc l’enjeu est d’amener les gens à activer leurs droits.

Comment accueillez-vous techniquement les collectivités intéressées ?

Nous avons été sollicités par une communauté de communes dans les Hautes Pyrénées. Nous les avons équipés sur le site du projet GaiaMundi. Nous offrons aux collectivités qui adhèrent un espace sur notre serveur. Sur la partie commune ou avec un nom de domaine dédié. Sur ce type d’outil, nous savons que l’hébergement du site est un problème pour les directions informatiques. Comme c’est open source, il n’y a pas de protection par mot de passe donc c’est dangereux du point de vue prévention des cyberattaques. Nous offrons donc un serveur qui n’est pas relié à leur collectivité.

Quelles difficultés rencontrez-vous ?

Le plus compliqué a toujours été l’informatique : le matériel et les logiciels disponibles dans nos collectivités. Du côté des collaborateurs, ces dernières années, la ligne politique était plutôt de travailler en interne ou avec des partenaires associatifs. Ces derniers sont très preneurs quand ils ont besoin de faire un diagnostic territorial pour justifier un financement. Mais notre outil peut leur éviter de sous-traiter tout en bénéficiant des données sources.