« Altermétropolisation, une autre vi(ll)e est possible », un essai pour explorer d’autre voies

Dans son nouveau essai, « Altermétropolisation, une autre vi(ll)e est possible » (La Lune sur le toit), Alexandre Grondeau se penche sur nos territoires. Après une analyse de nos fonctionnements et (mauvaises) habitudes, il nous propose le concept d’altermétropolisation, « un processus d’urbanisation alternatif à la métropolisation et au néolibéralisme urbain ».

Fidèles à nos idées de vous proposer de la lecture pour votre été, nous lui avons demandé de présenter son essai. Proche du travail que nous réalisons chez Territoires Audacieux, on peut y trouver de nombreuses initiatives (françaises et étrangères) concrètes.

Quel message souhaitez-vous faire passer avec cet essai ?

La première des idées que je souhaite exprimer dans l’ouvrage « Altermétropolisation, une autre vi(ll)e est possible » est qu’il n’y a pas de fatalité à la marchandisation toujours plus importante de nos modes de vie et d’habiter, de la même manière que l’ubérisation et la fragmentation de nos villes ne sont pas inéluctables. Des voies alternatives existent et sont initiées et pratiquées par de nombreux citoyens et collectifs, au quotidien. Dans cet ouvrage j’ai voulu ainsi déconstruire les modalités de fonctionnement du capitalisme urbain, fondées pour aller vite sur la priorisation de l’innovation technologique dans notre projet politique collectif, et mettre en avant la possibilité de fabriquer et de construire d’autres formes de vivre ensemble et de faire société, à partir de l’encouragement de la production d’innovations sociales.

Oublie-t-on parfois qu’il est possible de « vivre différemment » ? 

Je ne sais pas si collectivement nous oublions la possibilité de « vivre différemment », mais il apparaît clairement que nos élites politiques et économiques sont souvent méfiantes de ce qui « sort » de leur matrice analytique et organisationnelle, ce qui les conduit aujourd’hui à occulter, voire à combattre par moment, les initiatives qui ne vont pas dans le sens du vent de la compétitivité et de l’attractivité économique. C’est factuel et cela doit nous interroger sur notre projet sociétal commun.

Que regroupe le terme Altermétropolisation ? 

La notion d’altermétropolisation illustre et définit un processus d’urbanisation lié à la multiplication de lieux et d’expériences fondées sur la production d’innovations sociales. J’entends celles-ci comme des initiatives ou des actions produites en réaction aux effets négatifs du système dominant et des autorités en place, ce qui appliqué à la ville rassemble toutes les tentatives de propositions territoriales alternatives aux politiques urbaines néolibérales, au processus de marchandisation de la ville et d’entrepreneurialisation de l’aménagement de nos territoires.

Quelle vision de la ville souhaitez-vous mettre de côté ?

Je ne souhaite mettre aucune vision de la ville de côté, mais plutôt analyser et mettre en perspective des actions et des expérimentations dont on ne parle pas assez et qui pourtant peuvent constituer d’intéressantes source d’inspiration pour la fabrique de la ville de demain : biens communs urbains, nouveaux droits à la ville, économie circulaire, municipalisme, auto-organisatiion, slow urbanism, sobriété et responsabilité urbaines…

Comment « repolitiser la cité » ? 

La réponse est aussi compliquée à résumer, que la question est fondamentale à poser pour notre avenir et celui de nos enfants, c’est pourquoi mon livre fait plus de trois cents pages. Si je devais donner une seule piste à explorer je dirais que la repolitisation de la cité passe par la responsabilisation des citoyens et l’encouragement de toutes les initiatives politiques inclusives et responsables d’un point de vue écologique. Le programme est vaste, mais partout en France et dans le monde des initiatives sont proposées et expérimentées. De plus en plus de personnes ont conscience de l’urgence de proposer un autre modèle de développement que celui qui n’est exclusivement guidé par le souci de la rentabilité et du consumérisme. La repolitisation de la cité est en marche et elle vient du bas

Faut-il oublier le concept de SmartCities ? 

Je ne crois pas qu’on puisse l’oublier, comme vous dîtes, mais j’observe qu’on peut favoriser son hybridation afin que l’innovation technologique permette d’améliorer le quotidien de chacun, et qu’elle ne soit pas un moyen détourné de reconstruire une ville élitiste et gentrifiée au détriment des classes populaires et des classes moyennes en difficulté. C’est le sens, par exemple, des politiques dîtes de « responsive cities », où la dimension citoyenne et la recherche de nouvelles formes d’urbanité sont priorisées par rapport aux politiques urbaines de montée en gamme technologique appliquée aux territoires et fondée sur les partenariats public-privé et une vision entrepreneuriale de la ville. La ville est un bien commun émancipateur et inclusif, il faut le rappeler. Ce n’est pas qu’une machine à toujours produire plus de richesses, et de pauvreté.

Vous parlez « d’injonctions d’attractivités et de développements économiques ». Est-ce que l’on ne prend pas assez en compte dans le développement de nos villes le confort de vie ?  

Disons que le développement économique et l’attractivité urbaine prennent souvent en compte le confort de vie d’une partie de la population, pour faire vite les plus aisés, pour s’accommoder d’un « prix à payer » : une ville à deux ou trois vitesses pour reprendre l’expression popularisée par Jacques Donzelot. Notre projet politique collectif semble parfois se résoudre à laisser de côté les populations les plus fragiles et les quartiers les plus en difficulté pour se concentrer sur des priorités discutables.

Peut-on lutter contre l’ubérisation des fonctions métropolitaines ? Et comment ?

De nombreuses villes comme Barcelone ou San Francisco l’illustrent au quotidien en encadrant le développement débridée d’entreprises comme Airbnb, ou Uber. Les innovations technologiques ne peuvent pas être synonyme d’un abaissement des conditions sociales de travail des salariés de certains secteurs d’activités, comme elles ne doivent pas aboutir un remplacement des classes populaires autochtones par des touristes de passage, sous peine de nous interroger sur la notion même de progrès. L’innovation technologique reste un outil qui n’est que ce que la société décide collectivement d’en faire, et c’est aux citoyens et à leur représentant de l’intégrer dans la construction de leurs projets politiques.

Le changement passe-t-il par plus de compromis ou par la radicalité ? 

Le changement passe par toutes les forces urbaines vives travaillant ensemble à l’expérimentation et à l’établissement de normes et de valeurs inclusives, citoyennes, solidaires, écologiques. L’humanité a toujours eu besoin d’une avant-garde territoriale qui teste et expérimente de nouvelles manières de vivre ensemble et de faire cité, avant de favoriser leur diffusion, ou de les abandonner.

Comment favoriser l’expérimentation ? 

En faisant preuve d’ouverture d’esprit, en acceptant de se tromper et en essayant encore, en ne diabolisant pas ou plus des initiatives qui peuvent paraître farfelues et qui se révèleront peut-être déterminantes pour notre avenir, en ne considérant pas comme des ennemis, les gens qui pensent et qui souhaitent vivre différemment, en les encourageant même dans leur démarche. C’est ainsi que sont nés les idées universalistes des Lumières, mais aussi le mutualisme ou la notion d’intérêt général. Dans le contexte actuel de grandes mutations climatiques, géopolitiques, sanitaires, économiques et sociales, il apparaît urgent de favoriser l’épanouissement de nouvelles idées, de nouvelles formes d’urbanités et de vivre-ensemble, en encourageant le processus d’altermétropolisation à se réaliser et à se diffuser.

L’essai, « Altermétropolisation, une autre vi(ll)e est possible » est disponible en cliquant ici