Tours (37) : une chaîne de solidarité pour accueillir et intégrer deux familles Afghanes

La France a lancé en août dernier l’opération APAGAN. Objectif : évacuer tous les ressortissants ainsi que les Afghans menacés en raison de leur lien avec la France ou de leur engagement dans leur pays. De nombreuses initiatives ont été déployées par les collectivités locales pour accueillir les nouveaux arrivants, comme à Tours où la ville a fait le choix d’accueillir deux familles Afghanes, arrivée en France en septembre 2021.

Le CCAS, les services de la mairie ainsi que les associations et les bénévoles locaux se sont mobilisés pour leur offrir un logement décent. Ces acteurs continuent leur accompagnement en assurant le suivi des deux familles pour favoriser leur intégration en France, et peut-être à Tours pour de nombreuses années.

Interview croisée entre Cathy Munsch-Masset, première adjointe au Maire de Tours en charge des solidarités et Caroline Maciag, directrice du CCAS et des Solidarités de la Ville de Tours.

Quelles ont été les répercussions de l’opération APAGAN sur votre territoire ?

Cathy Munsch-Masset : Au moment de cette opération, nous avons souhaité rapidement formuler l’engagement de la ville de Tours dans sa capacité à accueillir des exilés d’Afghanistan en cette période très compliquée. Nous l’avons fait dans les premiers jours avec la conviction que plus nous serions nombreux au niveau des collectivités, des départements, des communes, des régions, à nous exprimer autour de cette capacité d’accueil, plus nous serions en mesure d’inviter l’État français à aller au maximum de sa capacité d’accueil et de pouvoir permettre à ces personnes de gagner le territoire français.
Il nous a paru important de prendre cette responsabilité. Ça a été concerté dans notre équipe assez rapidement. Il nous a semblé important de dire qu’on était là pour apporter notre aide à l’échelle nationale à ces personnes en danger en Afghanistan. Les territoires sont en appui et nous sommes en mesure d’accueillir. Cette décision n’a pas eu de caractère formel mais évidemment a fait l’objet d’un consensus dans notre équipe politique. Fin août, on a formulé notre souhait d’être ville accueillante. Le premier accueil était début septembre. Tout cela s’est fait en 3 semaines.

Comment avez-vous procédé ensuite ?

C.M.M : Ensuite, le premier sujet, en appui avec l’État, a été de pouvoir repérer des sites en mesure d’accueillir des personnes dans ce qui avait été dénommé comme étant un SAS. C’est-à-dire un moment d’orientation des personnes vers notre territoire en attendant, dans un second temps, une orientation vers des CADA du département ou au-delà. 40 personnes, majoritairement des familles avec de jeunes enfants, ont été reçues dans ces centres provisoires, puis ont été orientées vers des places CADA.
Parallèlement à ça, nous avons travaillé pour pouvoir accueillir plus durablement, sur le sol de la ville de Tours, des familles demandeuses d’asile ou déjà réfugiées. Nous avons pour cela remis en état deux petites maisons ouvrières de la ville. Nous les avons nettoyées, équipées, pour accueillir très rapidement deux familles.

Caroline MACIAG : On a fait le tour du parc communal, nous avons vérifié l’état d’une quinzaine de logements. Bien entendu, nous avons retenu les deux maisons qui étaient les plus prêtes à être habitée. Il n’y avait pas de rénovation mais des rafraîchissements et une vérification des compteurs. Ça n’a pas été très lourd, mais ça a nécessité de faire le tour des logements pour voir ceux qui étaient en meilleur état.

Qui sont les deux familles qui habitent dans ces maisons ?

C.M.M (adjointe) : Une qui a fait partie des 40 personnes arrivées dans le centre provisoire, et dont le monsieur est refugié mais sa femme pas encore. Donc un statut hybride qui justifiait qu’ils ne soient pas orientés en CADA mais qu’ils puissent avoir cet hébergement en maison. Et l’autre famille est arrivée par un canal un peu différent, qui résulte de la solidarité entre les acteurs de la culture. Le théâtre national de Tours, Olympia, s’est mobilisé, comme d’autres scènes dans le pays, pour proposer d’accueillir en résidence des artistes afghans. Donc en coopération avec le théâtre, nous avons accueilli cette deuxième famille : un jeune couple et un enfant de deux ans.

Quels acteurs ont contribué à l’installation de ces familles ?

C.M (CCAS) : Cette opération s’est faite en mobilisant les volontaires et les bénévoles de la ville de Tours. Ils se sont mobilisés très vite. Le CCAS a centralisé les propositions de dons faites par les habitants, qu’il s’agisse de dons matériels, de proposition d’interprétariat, de traduction, d’alimentation, de vêtement, d’hébergement. Nous avons centralisé cela pour que ce ne soit pas des offres pêle-mêle mais pour qu’elles soient le plus utile à un moment donné à un besoin. Et évidemment, la mobilisation des partenaires associatifs. Nous avons réuni assez rapidement ces acteurs qui avaient envie de s’investir dans ce projet.

C.M.M (adjointe) : Les dons spontanés faits par les habitants ont permis en grande partie de meubler les habitations. Le CCAS a été au cœur de ce dispositif pour collecter ces dons, les apporter dans la maison, monter les meubles. Toutes les équipes se sont mobilisées pour que les maisons soient prêtes le plus tôt possible puisque la famille des artistes était dans un SAS en région parisienne. On savait que dès que le rendez-vous avec la préfecture de police aurait lieu ils auraient droit de rejoindre le territoire de la ville de Tours. L’aménagement de leur maison a pris une semaine, c’était très rapide. Ensuite, dès leur arrivée, début septembre, toutes les démarches ont été enclenchées au niveau de l’accompagnement social.

Et de manière plus large ?

C.M (CCAS) : Les services de l’État, notamment pour permettre l’accueil des 40 premières personnes. Ensuite, nous avons des opérateurs plutôt institutionnels comme Adoma, qui a assuré l’accueil dans le centre collectif qui a permis l’accueil des 40 personnes avec la Croix-Rouge française. Également Entraide et Solidarité, qui est un opérateur plus local qui assure également des actions en direction des personnes réfugiées, qui a géré la partie restauration notamment, mais œuvre aussi dans l’accueil de jour. Nous avons aussi les associatifs qui sont plutôt dans une mouvance militante, une volonté d’agir localement.

C.M.M (adjointe) : Nous avons aussi eu des expressions de solidarité du CHRU. Dans un autre domaine, le barreau de Tours a proposé son soutien et son aide sur des démarches juridiques. Ils ont aussi fait une collecte de vêtements. Dans des secteurs différents, il y a eu de très nombreux acteurs, c’est intéressant car ça nous permet de dépasser les cercles habituels et de faire coopérer des acteurs qui ne se connaissent pas forcément.

Concernant l’accompagnement des familles, qui continue le suivi ?

C.M (CCAS) : Nous continuons à coordonner l’accompagnement de ces deux familles, qui sont très diverses dans leur profil. Donc c’est du cas par cas. La première famille issue des 40 personnes initiales, le monsieur parle bien français, il a déjà travaillé en France, il a le statut de réfugié. Son insertion professionnelle continue sans trop de rupture. Nous les accompagnons sur le logement, sur des aspects assez classiques de l’intégration dans un logement, un peu sur l’aide alimentaire avec des questions ponctuelles qui peuvent se poser. Sa femme continue à être aidée par un partenaire associatif local pour le titre de séjour. La deuxième famille, artiste, arrive avec une demande d’asile à déposer. Tout est à faire. Nous avons un engagement très fort du milieu culturel avec un portage de cette action par de nombreux acteurs mais beaucoup reste à faire : ils n’ont pas de connaissance de la langue (ils parlent un anglais approximatif) et rien n’est fait sur le plan administratif. Nous avons donc réuni autour de la table notre partenaire, Coallia (plateforme d’accompagnement des demandeurs d’asile au niveau local) qui a pu prendre le relai sur une domiciliation asile et les rendez-vous pour l’accompagnement au dossier Ofpra.

C.M.M (adjointe) : Nous avons essayé de trouver des solutions très concrètes. Pour la mobilité par exemple. Il y a des jeunes qui aiment beaucoup faire du vélo. Dans notre ville, quand les vélos sont volés, si la police municipale les retrouve, au bout d’un an et d’un jour ces vélos appartiennent à la ville. Ce parc de vélos nous a permis de doter rapidement ces familles de moyens de locomotion dans un territoire qu’ils ne connaissent pas. C’est un accompagnement qui a vraiment brossé toutes les dimensions, y compris les sujets de santé et d’accompagnement psychologique pour les enfants comme les parents. Il y a eu une très belle coopération des acteurs.

Sur le plan de la santé, comment le CCAS aide ces familles ?

C.M (CCAS) : Sur le plan de la santé, nous avons une volonté d’accompagnement par une association qui a mis à disposition des psychologues formés aux questions de l’interculturalité. Ça a permis d’avoir un soutien rapide, comparé aux délais habituels dans ce type de cas. Nous avons également la culture qui accompagne la famille sur un projet artistique. Et une interprète, qui au départ était bénévole et fait maintenant l’objet d’un contrat pour accompagner la famille dans toutes ces démarches. Il y a également la question d’une place petite enfance pour la petite de deux ans, une place en crèche ou à la halte-garderie pour permettre une démarche d’insertion et d’intégration. Évidemment, la question de la subsistance se pose car les ressources ne sont pas débloquées, ils n’ont pas reçu l’allocation d’attente car elle met 3 semaines minimum avant de se mettre en place. Donc le CCAS intervient sur l’aide alimentaire de manière régulière.

C.M.M (adjointe) : La question de la place en garderie est déterminante car chez cette deuxième famille qui ne maîtrise pas la langue française, la demande d’apprendre est grande. Il faut qu’ils aient du temps disponible. La démarche d’intégration au sens large, avec l’apprentissage de la langue française, nécessite aussi de pouvoir déployer des solutions pour leur petite fille.

Quelles seront les prochaines étapes dans le processus d’intégration de ces familles ?

M.C (CCAS) : Pour la famille artiste, ce sera le travail sur leur projet artistique. Cette famille doit retrouver une activité. Après, pourquoi pas un relogement. Une fois les ressources stabilisées, cela pourrait permettre de les reloger de façon plus durable et pourquoi pas réutiliser leur logement pour une autre famille. Nous sommes dans une notion de parcours. C’est cela qu’on travaille étape par étape avec le CTAIR.

C.M.M (adjointe) : Nous sommes en mesure de pouvoir réitérer cet accueil mais c’est l’État qui décidera, nous sommes en dialogue. Le sujet c’est l’évaluation du parcours de ces demandeurs d’asile. À partir de moment où certains auront leur statut de réfugié et souhaiteront s’installer sur le territoire, et notamment dans la ville de Tours, nous sommes encore davantage en première ligne car ce sont la ville et le CCAS qui sont le plus à même de travailler sur des parcours d’intégrations durables, que ce soit social, culturel, professionnel, etc. C’est tout l’objectif du CTAIR. Il a la question de l’urgence, de l’arrivée, du déclenchement des démarches du statut de réfugié et puis l’inscription plus durable sur un territoire. Nous souhaitons nous impliquer dans toutes les phases. Donc même s’il n’y a pas de nouvel accueil, il y a une communauté de réfugiés afghans et d’autres origines sur notre territoire, qui en application du CTAIR, doit mobiliser toute notre énergie avec les partenaires.

La contractualisation engagée avec les services de l’État pour l’Accueil et l’Insertion des Réfugiés, notamment via le CTAIR, vous a aidé à agir ?

C.M.M (adjointe) : Ce n’est pas un hasard qu’on s’exprime sur la situation de crise en Afghanistan au mois d’août, alors que ça fait des mois que l’on travaille sur la préparation d’un CTAIR. On l’a même, finalement, mis en œuvre en partie avant de l’avoir formellement signé le premier octobre avec le délégué interministériel. Mais ça prouve que le travail de préparation de ce contrat, qu’il s’agisse de toute la phase de diagnostic ou de formulation des priorités (qui sont pour notre territoire les sujets de logement, les questions de santé et la question de la parentalité). En effet, le lien est très fort entre ce travail mené depuis de nombreux mois et cette mobilisation sur un temps très court. Qui peut être a été facilité car le niveau de dialogue et d’interconnaissance étaient bons et qu’on se prépare à entrer dans le CTAIR. Ça démontre que les acteurs étaient prêts à changer de braquet sur la capacité à individualiser les réponses. L’enjeu, c’est qu’une situation n’est pas égale à une autre. En fonction des parcours de vie, des niveaux de qualification, des aspirations des personnes qui arrivent, on ne va pas déployer le même type d’accompagnement, les mêmes acteurs au même moment, de la même façon. Cet accueil, cette expérience autour de l’accueil des Afghans a démontré que nos partenaires sur le territoire aujourd’hui sont aussi en mesure de travailler différemment et c’est ce qu’on espérait avec la signature de ce CTAIR.

Avant l’opération APAGAN et l’accueil de réfugiés afghans, étiez-vous déjà engagé sur ces questions ? Qu’aviez-vous mis en place ?

C.M.M (adjointe) : Nous sommes élus depuis un an et demi. Le sujet d’être une ville accueillante, qui prend soin de la dignité de chacun, est une dimension importante de notre projet. Une des illustrations de cet engagement, en dehors du CTAIR, c’est un projet sur lequel nous travaillons depuis plus d’an un : la Maison de l’hospitalité. Elle consiste à faire éclore sur le territoire de la ville un lieu physique, d’accueil en horaire décalé, inconditionnel et chaleureux pour des publics exilés ou/et isolés. Ce travail sur la maison de l’hospitalité on l’a pris à bras-le-corps avec les associations, aussi bien structurées et conventionnées que militantes. Nous travaillons à ce que doit être cette maison, qui y intervient ? On va avoir un projet social d’ici la fin de l’année et une réalisation concrète l’année suivante pour créer ce lieu.

C.M (CCAS) : Nous avons, via nos missions en matière de domiciliation, des personnes sans domicile stable. Nous gérons en direct un centre d’hébergement pour homme, on domicilie 700 personnes. Donc nous avons une bonne approche du public à la rue et par rapport au public réfugié également puisque nous sommes impliqués dans les différents aspects de l’accueil des réfugiés afghans.

Comment ont réagi les habitants à cet accueil ?

C.M.M (adjointe) : Sur les réseaux sociaux, des propos extrêmes. Et puis, il y a eu une spontanéité très massive des citoyens de Tours. Les premiers jours, certains ont appelé le standard de la mairie pour formuler des propositions d’aides et beaucoup d’habitants renvoient de la fierté et de la satisfaction d’avoir accueilli ces familles. J’aurais tendance à dire que la majorité de nos concitoyens sont prêts, et même fiers, de pouvoir traduire cette solidarité dans leur commune. Évidemment ceux qui font du bruit sur les réseaux sociaux ont parfois l’air d’occuper toute la place mais moi je veux croire qu’ils sont minoritaires car ce qu’on observe dans la réalité, ce sont plutôt des élans de solidarités. Par exemple, une des voisines d’une famille, quelqu’un de très modeste, a acheté des jouets pour la petite fille. Il faut aussi raconter tout ça, car cette majorité solidaire est souvent silencieuse.

Comment faire pour apaiser les personnes réfractaires selon vous ?

C.M.M (adjointe) : Quand on voit les excès qui peuvent entourer l’arrivée de public étranger en exil (sur les réseaux sociaux ou la scène politique nationale et locale), je trouve que parler de la trajectoire individuelle des familles c’est une façon de dépasser ces caricatures et cette facilité d’opposer les fragilités entre elles. Il ne s’agit pas d’opposer les misères entre elles ou de les mettre en concurrence, ça n’a aucun sens. Il faut que nous ayons la capacité d’avoir une autre narration autour des parcours de ces personnes. Je pense à la famille d’artiste ou la jeune fille de 23 ans qui a été une défenseuse des droits des femmes, elle s’est exposée, a été décorée par l’ONU… Il y a des leçons à prendre et des expériences à partager. Il y a des enrichissements interculturels et tellement de points communs dans ces parcours. Le rôle des acteurs publics et des associations est de savoir rendre visible ces histoires pour dépasser une approche réductrice du traitement du sujet de l’exil et de la capacité d’accueil de notre territoire.

Par Léa Tramontin