CU Dunkerque : «Le plan de relance est un coup de booster pour favoriser les transitions et faire basculer le territoire du bon côté»

Patrice Vergriete est président de la Communauté urbaine de Dunkerque (59). Pour la série « Au cœur de la relance », développée par Territoires Audacieux et l’AdCF, il revient sur la volonté de son territoire d’accélérer sa mutation grâce au plan de relance. Que ce soit à l’échelle des industries, de la rénovation thermique des bâtiments publics ou des engagements pour les citoyens, il souhaite se saisir de ce moment charnière entre reprise économique et impératif écologique. Objectif : embarquer sa population dans la transition.

Qu’est-ce que la période de la relance a changé pour vous ? 

La dynamique était déjà lancée en amont. La lutte contre le dérèglement climatique ainsi que l’amélioration de la qualité de l’air avaient été anticipés. La relance, suite à la crise sanitaire, est venue modifier une chose : la possibilité d’accélérer les investissements. On ne pensait pas, avant la crise sanitaire et le plan de relance, à se dire que l’on pourrait peut-être augmenter un peu l’emprunt, en allant au-delà des critères parfaits de gestion financière (huit ans d’endettement). C’est peut-être le moment. Nous sommes à un moment charnière de l’histoire. Il y a d’un côté la transition et de l’autre la sortie de la crise sanitaire. 

Il y a de nouveaux leviers… 

Nous pensons qu’il ne faut pas rester sur des ratios de gestion classiques. Il faut peut-être aussi se tourner vers de nouvelles formes d’emprunts. Les emprunts verts par exemple avec des taux plus bas sur des durées plus longues, qui sont amortis sur des économies de fonctionnement. On s’est dit que c’était le moment de donner un coup d’accélérateur sur l’investissement public et l’accompagnement. Je pense par exemple à la rénovation des bâtiments publics. Il y a des enjeux énergétiques considérables ! On prévoyait de faire tout cela en 20 ou 25 ans. Avec la relance, nous avons l’idée de le faire sur dix. Il y a des opportunités de financements et de co-financements. La relance a eu un effet booster sur notre territoire…

Sur votre territoire, vous aviez des projets qui entraient parfaitement dans le fléchage souhaité par le gouvernement ? 

Oui. Dunkerque est exemplaire. Nous avons le label Cit’ergie Gold pour la partie transition énergétique. Mais c’est mieux que ça. Nous sommes l’agglomération la mieux notée et ce n’est pas par hasard. Nous avons voulu développer des politiques publiques innovantes au niveau de la lutte contre le réchauffement climatique. Nous souhaitons embarquer la population en favorisant les changements de comportement. C’est ce que nous appelons notre programme éco-gagnant à Dunkerque. Le bus gratuit en fait partie. L’idée, c’est, à travers des arguments de type « pouvoir d’achat »,  d’amener les gens à avoir des comportements plus vertueux. Nous ne souhaitions pas miser sur des arguments liés à la morale. Enfin, il y a tout un travail réalisé avec les industriels à l’échelle locale pour les accompagner dans la transition afin de rester un grand bassin industriel. Mais un grand bassin industriel du XXIème siècle, décarboné. 

Sur votre secteur, il est vrai qu’il y a un fort enjeu autour de l’industrie ? 

ArcelorMittal Dunkerque est le premier émetteur de CO2 de France. Une entreprise qui représente 1% des émissions françaises de CO2. Dunkerque produit 21% des émissions de CO2 industriel en France. L’enjeu est là. Nous avons aussi la première centrale nucléaire d’Europe occidentale. Six réacteurs pour 5,4 Gigawatts. Il y a aussi une ambition sur les énergies renouvelables. Nous avons par exemple un projet de champs éolien offshore au large des côtes de Dunkerque. Nous sommes la première plateforme énergétique d’Europe. La transition a commencé. Chez ArcelorMittal par exemple, dans quinze ans, il n’y aura plus de hauts fourneaux aux charbons. Tout fonctionnera à l’hydrogène. 

L’industrie a entamé sa transition ? 

Nous sommes fortement mobilisés. Nos acteurs industriels ont compris. Ils veulent survivre donc il doivent faire les investissements nécessaires. L’État, globalement, accompagne cette démarche et les collectivités locales aussi. Nous avons un port qui est très en avance sur ces questions environnementales et climatiques. Nous sommes par exemple, le premier port à avoir proposé le branchement à quai des navires. Ils n’ont pas à faire fonctionner leurs moteurs quand ils sont à quai. 

Qu’est-ce que le plan de relance a changé ?  

Le plan de relance change l’accompagnement des industriels. D’ailleurs, il est d’abord focalisé sur l’économie privée. Le plan de relance ne vise pas vraiment à accompagner les collectivités dans la rénovation de leurs bâtiments publics. C’est d’abord accompagner la transformation de l’économie privée. C’est le cas sur notre territoire avec des entreprises qui sont aidées pour se tourner vers une industrie bas carbone. En fait, le plan de relance a surtout débloquer des choses. Récemment, le plan national France 2030 a été annoncé. Il a totalement gardé l’esprit du plan de relance. Nous sommes à un tournant avec la sortie de la crise sanitaire, couplée aux enjeux de transition, c’est peut-être le moment d’aligner des moyens publics plus importants pour accompagner cette transition et pour rester une économie mondiale compétitive à l’échelle mondiale. La sidérurgie est un secteur très concurrentiel. Nous devons y arriver. 

Chez vous, la transition est plus globale que juste l’aspect écologique ? 

Nous venons de lancer les États généraux de l’engagement pour essayer de mobiliser tous les acteurs et la population afin de pouvoir dialoguer et débattre. La transition, c’est d’abord la lutte contre le changement climatique mais c’est aussi toute une réflexion autour de la disponibilité des ressources… Par exemple, vous ne pouvez pas faire de projets industriels si vous n’avez pas pensé à la question de l’eau. C’est devenu une question essentielle. Toutes les industries du futur sont des grosses consommatrices d’eau. Il y a aussi des débats autour de la biodiversité et de la qualité de l’air. La transition doit être globale. Regardez, en améliorant l’industrie et en la passant du charbon à l’hydrogène, on améliore la qualité de l’air pour nos habitants par exemple. Nous essayons aussi d’anticiper d’autres types de transition comme celle du numérique. 

Comment activez-vous différents leviers pour réussir à faire plus participer les habitants ? 

C’est vraiment dans l’Adn dunkerquois. Nous souhaitons, à chaque projet, associer la population. J’aime bien le mot embarquer. Le rapport à la population doit être dans les deux sens. Il y a un dialogue qui s’opère entre la population et ses représentants. Il peut être remontant. Nous devons, en tant qu’élu, être à l’écoute des préoccupations des citoyens. Nous avons, par exemple, lancé la démarche « changer la vie ensemble », une très large enquête pour savoir ce que pensait la population et quelles étaient ses préoccupations par rapport à l’avenir. L’environnement est arrivé très largement en tête , même par rapport à l’emploi. La population est dans la co-production des projets. 

Mais il faut aussi une dimension descendante ? 

À un moment, les représentants ont le devoir et la responsabilité de donner du sens aux politiques publiques menées. Quand nous développons le projet « éco-gagnant » par exemple, en tant que président de la communauté urbaine, j’informe les habitants qu’il y a un enjeu. Je leur dis qu’on arrivera pas à garder nos emplois, améliorer la qualité de l’air ou simplement à rester le territoire que l’on est, si on ne s’engage pas. C’est très important en démocratie locale que ce dialogue puisse avoir lieu. Les élus doivent assumer leurs responsabilités et les expliquer à la population. 

Cela passe par l’éducation populaire ?

Nous avons la plus grande structure d’éducation populaire liée au développement durable. Elle s’appelle la Halle au Sucre. Nous avons des expositions en continue, des conférences toutes les semaines, nous y menons tout un travail d’éducation populaire vis-à-vis de nos habitants. Il faut expliquer les transitions en cours. La transition énergétique, c’est compliqué à comprendre ! Nous avons la responsabilité de donner à la population des clés de compréhension. Il ne faut, en revanche, pas moraliser. Il n’y a pas de bons ou de mauvais citoyens. Le monde deS transitionS est un monde positif. Notre initiative du bus gratuit est un bon exemple. 

Avez-vous chiffré un coût de cette relance ? 

La communauté urbaine est en train de réaliser un exercice d’introspection. Nous avions un plan pluriannuel d’investissements. Nous suivions les ratios habituels. En ce moment, la CUD fonctionne beaucoup autour de la conférence des maires. C’est le lieu où nous parlons de la stratégie. Nous nous sommes réunis pour nous demander s’il ne fallait pas accompagner l’État et la Région pour aller plus loin en donnant une enveloppe complémentaire. Nous allons aller un peu plus loin que nos ratios de « bonne gestion » pour mettre le coup de pouce. Nous essayons maintenant d’identifier les projets et de donner un montant pour l’enveloppe. Est-ce que cela sera 100 millions d’euros sur dix ans ? 80 millions sur six ans ? Il y a un équilibre à trouver. Nous regardons aussi les futures recettes pour anticiper. Il faut que cela soit soutenable à moyen et long terme. Nous pourrons ainsi tenir nos objectifs et se donner un coup de booster. Il vaut mieux investir maintenant pour faire tomber le territoire du bon côté. 

Avez-vous signé un CRTE ? 

Cela n’a pas été très compliqué car nous avons eu juste à reprendre les objectifs du projet communautaire. Ce qui me déçoit un peu, et c’est ce que j’ai dit à l’État, c’est que l’on va être très vite d’accord sur le fond mais cela pose la question de l’enveloppe financière. Nous avions un programme sur vingt ans. Si je fais un effort exceptionnel au niveau de la communauté urbaine, on peut le faire en dix. Mais est-ce que l’État peut co-financer pour que l’on réussisse à le faire en huit ou que je m’endette un peu moins. Je trouve que dans les CRTE, on ne me répond pas. À Dunkerque les projets sont identifiés et nous savons ce que nous devons faire. Les intercommunalités sont au cœur des enjeux de transition aujourd’hui mais maintenant il faut parler argent. Nous avons été élus en 2020, nous sommes en 2021. Les projets communautaires sont réalisés et les PPI sont bouclés. La question n’est plus quel projet nous voulons réaliser mais plutôt est-ce qu’on peut les accélérer, ou pas. C’est la réponse que j’attends de l’État. 

Propos recueillis par Baptiste Gapenne

« Au cœur de la relance » est une série de Territoires Audacieux en partenariat avec l’AdCF – Intercommunalités de France  destinée à valoriser les initiatives des intercommunalités dans le cadre de la relance, à les accompagner : interviews de président.e.s d’intercommunalités, questions/réponses techniques, échange avec une personnalité qualifiée…

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