Lisieux Normandie (14) : supprimer le ramassage des déchets pour encourager les changements de comportement

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative de l’Agglomération Lisieux Normandie. En 2025, celle-ci ne ramassera plus les déchets en porte-à-porte. Des points de collecte collectifs seront mis en place et les habitants devront payer 90 centimes par sac de déchets ménagers déposé. Les déchets recyclables resteront gratuits. Cette mesure, votée dans une grande majorité, a un double objectif : inciter les habitants au tri des déchets tout en permettant des économies sur le budget structurel de la collectivité.

Pour en parler, nous avons interviewé le président de l’’Agglomération Lisieux Normandie, François Aubey. En introduction, retrouvez un pitch vidéo ci-dessous. Il a été enregistré lors de la convention d’Intercommunalités de France à Bordeaux.

Quelle problématique de votre territoire a déclenché cette décision d’ajuster votre politique déchet ?

L’Agglomération Lisieux Normandie a une problématique récurrente sur ses déchets ménagers : le coût du service n’est absolument pas compensé par les recettes liées à la taxe d’enlèvement des ordures ménagères. Nous avons un budget structurel déficitaire de l’ordre de 650.000 euros par an. Chaque année, notre budget général doit l’alimenter. Pendant trois ans de suite, nous l’avons augmenté de 8 à 10 %, mais cela n’est plus supportable pour les usagers. Nous avons donc décidé de renverser la table et de mettre en œuvre un vaste plan de traitement et de collecte des déchets ménagers sur l’ensemble du périmètre de l’agglomération qui est composé de villes moyennes (5 à 20 000 habitants) mais qui possède aussi un tissu très rural. Le premier objectif est financier ce plan avec une maîtrise des coûts. Le second objectif est fort et il est environnemental puisque ce territoire génère beaucoup trop de déchets. Nous devons donc apprendre à mieux trier.

Qu’est-ce qui va changer ?

Concrètement, à partir du 1er janvier 2025, nous allons cesser la quasi-totalité de la collecte des déchets en porte-à-porte. Aujourd’hui, sur l’ensemble du territoire, un camion passe une à deux journées, en fonction de la densité urbaine, à ramasser les déchets des habitants. Au premier janvier 2025, nous aurons un système d’apport volontaire.

Aujourd’hui, les gens amènent leur verre, demain, ils amèneront l’ensemble de leur production de déchets : cartons, verres, ordures ménagères biodégradables. Ce sera un flux totalement inversé où les habitants devront changer leurs habitudes.

Cela part d’un constat : il y a trop de dépôts sauvages et d’incivilités. Il y a beaucoup de résidences secondaires sur notre territoire, ce sont des gens qui, par exemple, partent le dimanche soir et déposent leurs poubelles au bout du chemin, qui finissent éventrées par les animaux. Cela n’est plus possible. Nous avons donc décidé de mettre en place ce système, qui sera disponible 365 jours par an, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 pour tous les habitants du territoire. Ainsi, il n’y aura plus à se soucier des jours de passage des camions. On sera dans un système permanent, à la disposition des habitants.

Cela va demander un petit effort pour les usagers, mais cela va aussi les pousser davantage vers le tri ?

Bien sûr. C’est d’abord l’ambition d’un meilleur tri. Les habitants ne trient pas assez. La TGAP (taxe générale sur les activités polluantes) nous pénalise, car c’est une indexation linéaire. Chaque année, quoiqu’on fasse, on l’augmentera. Cela est aussi lié à une augmentation très forte de l’indexation de nos contrats avec notre prestataire privé alors mécaniquement notre facture augmentera. Il faut donc diminuer les volumes traités en triant mieux.

Nous allons aussi désigner une dizaine d’ambassadeurs du tri qui iront dans les écoles et dans les entreprises.

Un autre pan de ce plan déchets concerne une redevance spéciale pour les entreprises. Il faut faire la guerre aux déchets et limiter nos tonnages de façon drastique, c’est le seul moyen pour revenir à des choses plus acceptables financièrement pour les habitants.

C’est un sujet sensible chez les habitants, quelles ont été les réactions sur votre territoire quand vous avez annoncé cette mesure ?

Je pense que nous ne sommes qu’au début d’un mécontentement des habitants. Ce plan sera effectif en janvier 2025. Nous avons fait des annonces et une pédagogie, mais on imagine qu’il y aura des habitants excédés ou mécontents : on paie plus pour moins de services.

Nous avons donc décidé de recruter en parallèle une brigade de l’environnement qui sera assermentée pour pouvoir verbaliser les personnes qui auraient la mauvaise idée de ne pas se diriger vers ces points d’apport volontaire.

Comment sera calculé le montant à payer pour les habitants ?

Au-delà de l’apport volontaire, nous nous dirigeons vers une démarche de pollueur-payeurs. Aujourd’hui, 100 % de la facture est recouverte par la taxe d’enlèvement d’ordures ménagères. Demain, 70 % de la facture des ordures ménagères sera sur une base fixe liée à la feuille d’impôts fonciers et 30 % seront modulables en fonction de la quantité déposée.

Concrètement, chaque habitant du territoire sera doté d’un badge. Lorsqu’il voudra déposer son sac noir – les sacs jaunes et autres recyclables seront gratuits – il badgera, le capot du container s’ouvrira, il jettera son sac et nous lui facturerons 90 centimes d’euros par sac. Plus les habitants trieront, moins ils paieront. L’ambition du projet est donc de devenir vertueux. Ce projet va inciter les gens à mieux trier, à mieux valoriser et à avoir une facture plus acceptable par la suite.

C’est donc une incitation par le biais du portefeuille ?

Tout à fait. Nous avons décidé de mettre des amendes de plus de 1000 euros pour les contrevenants identifiés. Ainsi, l’usager réfléchira deux fois entre aller déposer son sac en colonne et payer 90 centimes ou aller le jeter dans la nature et risquer l’amende. Nous sommes conscients que nous allons au-devant de ces problèmes, mais nous pensons qu’avec le temps nous seront capables de les neutraliser.

Il y a donc la peur de voir naître des décharges naturelles ?

Oui. Tout le paradoxe, c’est d’imaginer qu’il faut mettre ces colonnes d’apport volontaire à l’écart. C’est une erreur. Il faut les mettre dans des milieux urbanisés, car il y a une autorégulation. Et on la constate déjà. Au milieu d’un lotissement, les gens qui déposeront leurs poubelles savent qu’ils seront épiés par ceux qui y habitent. Il y aura donc une autorégulation sur les points d’apport volontaire, en tout cas, c’est l’espoir que nous fondons.

Où seront situés les points de collecte ?

Je pense qu’il ne faut pas raisonner en termes de distances. Sur notre territoire, nous avons 53 communes dont les plus petites ont 50 habitants. Les maires de ces toutes petites communes ne souhaitent pas avoir de containers puisque chez eux, il n’y a pas de commerces, et c’est dans les commerces que se trouvent les lieux de vie.
Par contre, l’usager qui passera tous les jours par le village à 5 kilomètres de chez lui ou qui se rendra sur son lieu de travail à 20 kilomètres, pourra en profiter pour jeter ses déchets. Le site d’apport volontaire peut très bien se situer dans ces lieux-là. Nous déciderons de ces lieux de collecte avec les maires et l’agglomération assumera la totalité de la dépense, de l’acquisition foncière aux places de retournement. C’est un projet pour lequel nous n’avons que trois ans. Il est ambitieux et très regardé par beaucoup de collectivités de France. J’ai été contacté par beaucoup de mes collègues qui sont un peu en surveillance pour savoir comment cela va se passer. Ils sont très surpris que nous ayons pu adopter à la très grande majorité cette révolution en termes de traitement des déchets.
Nous demandons aux gens de changer leurs habitudes pour, peut-être, ne pas payer moins, mais en tout cas, ne pas payer plus.

Justement, cela va faire économiser combien ?

Pour ce qui est de l’investissement, cela va nous coûter près de 8 millions d’euros. Je pense qu’il ne faut pas promettre aux usagers une économie, mais plutôt leur dire qu’ils ne paieront pas plus.
Il y a plusieurs axes dans ce projet : l’apport volontaire, la régulation des déchetteries – que nous allons multiplier-, une revalorisation via une ressourcerie et une redevance spéciale pour les gros pollueurs professionnels et publics.

Comment allez-vous inciter les entreprises ?

Aujourd’hui de très grandes entreprises ne sont quasiment pas impactées par la taxe d’enlèvement d’ordures ménagères. Ce n’est donc pas normal que les habitants paient pour ces entreprises. Il y a 64 entreprises sur le territoire, 46 privées et une vingtaine publiques. Aujourd’hui, les mairies et les écoles sont exonérées de cette taxe alors qu’ils produisent des déchets. Cela n’est pas normal. L’idée, c’est qu’ils en produisent moins grâce à une pédagogie faite dans les écoles puisqu’on sait bien qu’aujourd’hui, ce sont les enfants qui sensibilisent les parents. Clairement, la redevance spéciale va générer 300 000 euros de revenus supplémentaires auprès des entreprises et des personnes publiques pour mieux valoriser le travail en déchetterie.

Cela passe nécessairement par la prévention ?

Oui. Il faut que l’on diminue d’un tiers nos tonnages si nous voulons gagner notre pari. Et nous allons gagner notre pari. Tous ensemble, nous allons y arriver !