L’actualité montre une nouvelle fois, la nécessité de proposer aux Français des alternatives crédibles à la voiture pour leurs trajets du quotidien. La lettre de l’impact positif vous propose donc cette semaine de vous intéresser au travail de l’agglomération Foix-Varilhes. Située en zone rurale, elle a mis en place une stratégie pour essayer de modifier les comportements de transport. Celle-ci est issue d’un long travail de concertation avec les différents acteurs, notamment du secteur de l’emploi. Après avoir développé un réseau de bus reliant les points centraux de son territoire (gares, Centre hospitalier…), le territoire a travaillé avec les communes pour mettre en place un plan vélo et un service de transport à la demande.
Retrouvez ci-dessous l’interview de Thomas Fromentin, président de l’agglo Pays Foix-Varilhes. En introduction, nous vous proposons un pitch vidéo de cette initiative, enregistré à la Convention d’Intercommunalités de France le 7 octobre 2022.
Quelle est l’actualité de votre territoire concernant la mobilité ?
Lorsque les collègues élus m’ont accordé leur confiance pour présider la communauté d’agglomération, un des enjeux identifiés était d’améliorer significativement les mobilités du quotidien. Nous avons d’abord mis en place un plan vélo à l’échelle du SCOT, qu’est la vallée de l’Ariège. Puis faisant le constat de la difficulté qu’ont certaines de nos communes à aménager des pistes cyclables ou équiper des espaces de stationnement pour les vélos, nous avons mis en place un fonds de concours à hauteur d’un million d’euros pour les accompagner dans la réalisation de ces investissements. Il ne s’agit pas de faire plaisir ou d’être dans l’air du temps en faisant du vélo. Des chefs d’entreprises ont fait un constat. Ils ont pointé du doigt des manquements en termes de sécurité, pour arriver jusqu’à leurs entreprises à vélo. Le nombre de vélos augmente sur notre territoire avec la conscience d’être sur un territoire rural. Il faut alors créer des alternatives pour que tout un chacun puisse choisir son mode de déplacement, tout en gardant à l’esprit que la voiture individuelle demeurera pour certain un mode de mobilité incontournable sur nos territoires ruraux. Donner le choix, permettre à chacun de choisir sa mobilité c’est un élément important.
À quels enjeux cela répond-il sur votre territoire rural ?
Sur un territoire rural, il est parfois difficile de se déplacer autrement qu’en voiture. Le vélo peut répondre à une part des attentes. Mais l’une des réponses qui nous a paru plus appropriée est celle de construire un réseau de bus à notre échelle, avec des bus plus cadencés et plus réguliers, qui rejoignent les deux gares TER et qui desservent les principaux pôles générateurs de flux (centre hospitalier, centre universitaire, centre de formation, CFA, zones économiques).
Historiquement, sur notre territoire, le centre hospitalier était très peu desservi par les transports en commun. C’était une source d’importantes complications pour les patients et pour les personnels de santé. Cela nous semble donc être une réponse adaptée, une vraie alternative.
Nous avons lancé ce réseau de bus le 27 août 2022. Indéniablement, dans les premiers retours, nous constatons que cela fonctionne bien, et même mieux que ce que nous pensions. La crise énergétique, qui frappe durement les consciences et les porte-monnaie, fait que beaucoup d’habitants acceptent de passer un peu plus de temps dans les transports en commun que dans une voiture. Il y a une sorte de sacrifice. Les habitants essaient, peut-être 2/3 fois par semaine, ce système, car c’est moins cher.
Comment la mise en place de ce réseau de bus s’est-elle effectuée ?
Reconnaissons que c’est un temps long. Nous sommes d’abord passées par un plan global de déplacement à l’échelle du SCOT, vallée de l’Ariège. Il a fallu deux ans pour mettre en place ce plan. Cela a permis d’objectiver les besoins en matière de transports en commun et de mobilités alternatives. Cela pouvait être une réponse pour certains problèmes de notre territoire.
Nous avons ensuite décliné un plan de déplacement de manière plus fine, plus opérationnelle, à l’échelle de notre agglomération.
À cette étape, nous avons décidé de prendre la main sur la construction du réseau. Nous avons fait participer notre conseil de développement et les principaux acteurs concernés, tels que le centre hospitalier et les grands employeurs. Nous avons mis deux ans pour créer ce réseau de manière opérationnelle. C’est un temps court pour construire un réseau. C’était important de passer par cette phase de concertation et de participation pour que ce réseau soit le plus adapté au territoire. Nous avons évidemment travaillé avec les conseillers communautaires et les maires. Ensuite, plus classiquement, nous sommes passés par une procédure de délégation de service public.
Des surprises dans cette concertation ?
Ce qui nous a étonné c’est par exemple ce que la directrice du centre hospitalier a pu nous raconter concernant des personnels soignants. Ces derniers mettaient en œuvre des plans impensables pour se rendre au travail. Par exemple, certains achetaient une vieille voiture pour la laisser à la gare avant de prendre le train pour rejoindre le centre hospitalier. De plus, des patients qui mettaient plus de deux heures pour aller et revenir du centre hospitalier. Ces histoires nous ont convaincus de faire un effort supplémentaire vis-à-vis du centre hospitalier. Grâce à ce retour très fort du centre hospitalier, avec une desserte étendue et cadencée.
Je peux citer un autre exemple. Je passe beaucoup de temps à rencontrer des chefs d’entreprise et beaucoup me disent que les jeunes font très souvent leurs études en métropole, donc ils n’ont pas besoin de passer le permis. Le premier recrutement est alors très difficile puisque pour venir travailler dans nos territoires ruraux, il faut la voiture. On a vraiment une partie de la jeunesse qui ne passe plus le permis. Pour les apprentis, les stagiaires et les jeunes travailleurs, c’était un vrai problème. Nous avons donc cherché à construire un réseau qui permet d’arriver le matin sur ces lieux d’embauche, de faire un échange le midi, et de repartir le soir.
À quoi ressemble le réseau aujourd’hui ?
Aujourd’hui, nous sommes moins dans l’esprit navette, car nous avons fait le choix de vrais bus, confortables. Concernant les rabattements, ce sont de petites navettes, mais sur les lignes principales, ce sont des bus. La qualité du bus change vraiment la donne. Quand les gens voyagent dans un bus confortable, ça a un impact sur la perception du réseau. Nous avons nommé ce réseau « L’agglo-Bus » afin de montrer que nous fonctionnons vraiment à l’échelle de l’agglomération. « L’agglo-Bus », ce sont quatre lignes qui sont réparties sur le territoire.
Comment avez-vous maillé le territoire ?
Nous avons la chance d’avoir deux gares fortement cadencées. Nous avons donc pensé le réseau en fonction de ces deux gares existantes sur notre territoire. Bien sûr, nous avons densifié le réseau sur la ville-centre, Foix, qui avait déjà un système de navettes urbaines.
À partir de ces gares, nous avons créé des logiques de rabattement des bus en desservant les pôles les plus importants. Avec 42 communes sur notre agglomération, il était inconcevable de desservir chacune d’entre elles. Les bus auraient été vides. Nous avons donc mis en place un système de transport à la demande sur l’intégralité des communes. Le véhicule va jusque chez la personne et l’amène dans un des points de raccordement du réseau. Cela permet de faire des courses à la ville, ou d’aller à des rendez-vous médicaux, mais aussi d’utiliser le réseau de transport en commun pour aller plus loin comme à Toulouse. Il ne fallait pas que ce réseau ne desserve que les communes les plus
peuplées de notre territoire, même si la plus grande fait 9 700 habitants. Il ne fallait pas non plus donner l’impression de laisser des communes sur le chemin de cette ambition de mobilité. Tout est une histoire d’équilibre. Il y a des enjeux financiers qui font que nous ne pouvons pas faire plus.
Quel est le tarif de ce réseau de bus et combien cela vous coûte ?
C’est un euro par trajet. Nous avons fait ce choix simple. Cela nous coûte 1,2 millions d’euros, à la charge de l’agglomération pour la totalité du service: ligne de bus régulières et transport à la demande. Nous avons donc instauré le versement mobilité que nous ne levions pas préalablement. Aujourd’hui, Intercommunalités de France défend ce versement mobilité. Soyons honnête, il ne peut pas y avoir de réseau de transport s’il n’y a pas de versement mobilité.
Comment fonctionne le transport à la demande ?
Le délégataire utilise de petits véhicules et va chercher les gens. C’est très utilisé par les personnes âgées ou par les personnes avec des difficultés de mobilité, essentiellement pour rejoindre les marchés importants comme celui de Foix le vendredi matin. Il y a aussi d’autres utilisations comme pour se rendre aux rendez-vous médicaux ou aux rendez-vous administratifs.
Pour le transport à la demande. Il n’y a pas de choix du jour en revanche, qui sont définis de manière fixe selon les parties du territoire.
Quelle a été la logique du plan vélo ?
La logique a été de repartir d’un constat : à moins de 5 kilomètres du lieu à rejoindre, le vélo est une bonne alternative à la voiture individuelle. Sur notre territoire, des communes possédaient déjà leurs propres itinéraires cyclables. La logique a été de trouver une cohérence entre ces itinéraires pour assurer les connexions avec les gares, avec le réseau de transports et avec les pistes cyclables existantes.
Ce plan a d’abord pensé les logiques de connexion, mais on est allé plus loin. J’avais insisté sur la dimension opérationnelle du plan, autrement dit, au regard de la largeur de la route, est-ce qu’on peut faire une piste cyclable ? Cela nous a permis d’identifier des itinéraires sécurisés, d’autres que nous n’arriverons pas à sécuriser, car c’est impossible physiquement. On a essayé d’avoir le plan le plus pragmatique possible.
Cela accompagne un changement des mentalités ?
Oui tout à fait. Notre plan vélo a été lancé avant la crise covid et avant la crise énergétique actuelle. La pratique du vélo était réservée à quelques initiés ou convaincus. La dernière année, nous avons vu une évolution importante. Va-t-elle durer dans le temps ? C’est une autre question. Il faut proposer à ceux qui font l’effort d’acheter un vélo, de s’équiper et d’initier leurs enfants, un itinéraire sécurisé. C’est la limite de l’exercice. Il faut un minimum d’itinéraires sécurisés pour accompagner cette volonté. Avec l’arrivée de l’hiver, nous verrons si cet engouement tient. En tout cas, les utilisateurs de vélo ont progressé, indéniablement.
L’échelle de l’intercommunalité est-elle la bonne pour cela ?
Le plan de déplacement a d’abord été pensé à l’échelle du Scot, la vallée de l’Ariège. C’était donc une échelle plus importante, car cela représente 80 000 habitants. Il était important de se projeter d’abord sur un périmètre plus large que notre intercommunalité. Pour la mise en œuvre plus opérationnelle, la maille de l’intercommunalité est pertinente. C’est là où on peut débloquer des fonds de concours pour aider, ou de l’ingénierie pour les communes qui souhaitent se lancer. Le réseau de transport lui-même répond très bien à l’échelle de l’agglomération. Il faudra qu’il dépasse nos frontières, car il est un peu à l’étroit, notamment avec nos voisins du nord. C’est l’avenir.
Quelles mesures ont été mises mise en place pour les étudiants ?
L’abonnement est à 10 euros par an pour les moins de 26 ans. Nous avons des centres de formation, un centre universitaire ainsi que de jeunes travailleurs sur notre territoire avec une mobilité qui n’est pas évidente. C’est important d’avoir ce geste fort à l’égard de cette jeunesse qui cherche aussi parfois des alternatives à la manière de se déplacer. Avec l’espoir que si les jeunes prennent l’habitude de se déplacer de manière alternative, ils continueront de le faire dans leur vie d’adulte. C’est donc aussi un certain pari sur l’avenir.