Toulouse (31) : la bibliothèque humaine favorise la transmission des histoires personnelles

Cette semaine la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir une initiative réalisée à Toulouse, provenant de Copenhague : La bibliothèque humaine. Ce projet regroupe un ensemble de témoignages mis à la disposition des citoyens sous la forme d’une personne « empruntable » pour discuter. Un groupes de  » livres humains » sont invités à partager leurs propres expériences à des lecteurs motivés par une volonté d’apprendre et de comprendre les expériences singulières de chacun. La bibliothèque humaine regroupe des histoires portées par des individus souhaitant transmettre leur parcours personnel afin de sensibiliser et rendre visible l’invisible.  Ce projet a pour but d’informer et de diminuer les discriminations par le partage de récits intimes.

Nous vous proposons une interview de

Quelle fonction exercez-vous au sein du projet ?

Je suis un peu tout, je fais partie des membres-fondateurs de la bibliothèque de Toulouse donc dès le départ, j’ai été livré. Le fondateur se retire un peu du projet donc elle fait partie des personnes qui reste le noyau du projet, je suis un peu tout à la fois : organisatrice, livre humain, bibliothécaire à certains moments. Je travaille aussi sur la communication. Je crois énormément à ce projet donc je donne le maximum de mon temps.

Quelle est la genèse du projet de Bibliothèque humaine ?

La bibliothèque humaine, c’est un projet qui vient de Copenhague. Il existe dans plus de 96 pays. L’idée est de lutter contre les discriminations, les idées reçues, les préjugés que l’on peut avoir sur des personnes en les rencontrant. Quand on a des préjugés sur des gens différents de nous, le fait de rencontrer et d’échanger change notre regard sur ces personnes. Au cours de ces échanges, souvent, on se rend compte qu’on est plus proche que différent. Rencontrer une personne qui incarne cette différence change l’idée que l’on a d’elle.

Comment résumeriez-vous le fonctionnement ?

Nous reprenons le même jargon qu’une bibliothèque classique, sauf que les livres sont des humains. Ils incarnent une différence qui fait que la société les regarde différemment : la couleur peau, l’origine, l’orientation sexuelle, le fait d’être dyslexique, le fait d’être une femme dans un métier masculin, être en surpoids ou sous poids… Ces personnes ont pu faire face à des mots difficiles. L’idée, c’est qu’elles partagent leur expérience pour toucher les consciences.

Quelle est la motivation des lecteurs ?

Ils veulent être sensibilisés. Souvent, car une personne de leur entourage vit une de ces situations. Par exemple, on a eu des lecteurs qui ont des enfants homosexuels et qui souhaitent échanger pour connaître les difficultés qu’ils ont rencontrées dans leur famille, leur entourage. Sinon, c’est de la curiosité.

Dans quels lieux réalisez-vous ces échanges ?

En ce moment, nous sommes à la médiathèque José-Cabanis, à Toulouse, de 15h à 18h les troisièmes samedis du mois. Mais nous pouvons aussi être à un festival, où on met en place des espaces spécifiques. Ce sont avant tout des partenariats. Pour la médiathèque, nous sommes allés à des événements où nous savions que nous les trouvons, puis on leur a exposé le projet. On n’avait pas d’événements récurrents avant et une bibliothèque humaine dans une bibliothèque, c’est parfait. La médiathèque José Cavani a accepté de nous accueillir donc on y reste, car tous les troisièmes samedis du mois les gens peuvent nous trouver là, on peut communiquer là-dessus. On continue à participer à des festivals, on est assez connus dans le milieu associatif de Toulouse. Nous participons au festival « rencontre du papier et du livre » tous les ans. Ça nous permet de sortir un peu de l’entre-soi, car ça touche toutes les couches sociales. Le problème de la médiathèque, c’est que ça reste de l’entre-soi, des gens qui viennent pour se cultiver, qui ont un certain niveau socio-professionnel. Nous, on veut toucher tout le monde et sur le marché, on peut.

Comment les échanges se mettent en place ?

Dans une bibliothèque classique, on demande des conseils pour savoir quel livre lire et le bibliothécaire nous oriente. Ici, notre bibliothécaire dispose d’un catalogue de livres humains. Ce ne sont pas des livres écrits ou des biographies mais un partage sur nos histoires. Chacune a un titre, qui est réfléchi à plusieurs, et une quatrième de couverture, que tous les membres valident. Quand le lecteur arrive, le bibliothécaire lui explique rapidement chaque titre et en fonction de sa sensibilité, il peut choisir.

Et ensuite ? Comment se déroule un échange ?

On a toute une organisation. Le bibliothécaire vérifie que le livre n’est pas déjà emprunté. S’il est libre, il les met en contact. Ça se passe autour d’un café ou d’une table et de deux chaises. La discussion dure une trentaine de minutes. Le lecteur peut alors poser toutes les questions, sans tabou ni pudeur, mais dans le respect du livre humain. Si personne n’attend derrière, et que le livre et le lecteur souhaitent continuer l’échange, c’est possible. On essaie d’être assez souple. J’ai déjà eu des lecteurs de 1h ou 2h. 

Vous êtes vous-même livré, combien de livres avez-vous en réserve ?

C’est très variable, des gens viennent et partent. Globalement, nous sommes une dizaine de personnes présentes à chaque fois, avec plusieurs histoires chacun, en général. Nous témoignons de toutes les fois où on nous a traités différemment par rapport à nos différences. Je suis femme, je suis noire, d’origine étrangère, dans un mariage mixte. Le tout, c’est d’être intelligent et de trouver un moyen de vivre ensemble. On peut témoigner contre tous les sujets qu’on veut et si un jour, on ne veut plus communiquer dessus, on peut enlever ce livre. Par exemple, en France on parle beaucoup du parcours d’intégration en ignorant que ce n’est pas simple et parsemé d’embûches. Je témoignais à ce sujet. Puis, à un moment, je ne me sentais plus en phase avec ce sujet donc je l’ai enlevé. Je pourrais le remettre. Le principal, c’est d’être en phase avec le sujet, de vouloir le partager. 

Avez-vous des mesures pour sécuriser les échanges ?

Comme ce sont des humains que l’on met en relation, nous avons quand même quelques protocoles pour sécuriser les échanges. Nous allons d’abord questionner le lecteur pour connaître ses intentions et éviter que des personnes haineuses viennent les agresser. Nous avons aussi une charte et nous lisons les règles à chaque lecteur : être bienveillant, respecter l’autre, ne pas être injurieux, accepter que l’on puisse avoir une opinion différente… 

Quels sont les coûts engagés dans ce projet ?

Les coûts sont majoritairement pour la communication. Et quand on fait venir les livres, on leur offre le repas. L’association Yamaya nous épaule, elle nous prête tout ce qui est logistique : chaise, table, etc. La Médiathèque met à disposition ses locaux, un local pour stocker le matériel et ils parlent de nous dans leur journal, c’est gagnant-gagnant. Nous, on leur apporte une animation.

Quelles difficultés rencontrez-vous pour développer le projet ?

On manque de temps pour développer le projet. Nous n’avons personne à plein temps. Nous sommes tous bénévoles et salariés à côté. On n’a pas pu développer les partenariats avec les mairies ni des associations à cause de ça. Il faudrait aussi que l’on trouve d’autres livres pour enrichir notre catalogue. Nous avons aussi l’idée d’aller dans des écoles, mais nous manquons aussi de temps pour l’instant. Nous essayons de mettre les gens à l’aise, certains sont refroidis, car ils pensent qu’on est des militants.

Comment le projet a-t-il évolué ?

Nous avons eu plusieurs couvertures médiatiques, dont notamment un reportage réalisé par Arte. Ils repassent d’ailleurs prochainement pour couvrir la sortie d’un nouveau livre au sein de la bibliothèque humaine. Ils ont vraiment envie d’accompagner ce livre-ci qui résulte d’une histoire sensible et miraculeuse qui les avait touchés. Alors nous allons le découvrir tous ensemble et prendre le temps d’échanger cette histoire de façon collective. Ainsi, le projet avance bien. Prochainement, nous sommes invités dans un petit village près de Toulouse par la mairie qui organise un événement, afin de présenter le projet. Nous avons pas mal de demandes de création de bibliothèque humaine partout en France. C’est super, car cela signifie que la couverture médiatique a vraiment aidé. France inter s’est notamment intéressé au dispositif. Ce qui est vraiment intéressant avec la bibliothèque humaine, c’est qu’on ne se bat pas pour une unique problématique, mais toutes celles qui peuvent exister (racisme, validisme, transphobie). L’inclusivité est pour nous l’essence même du projet.

Y-a-t-il eu des changements notables dans le fonctionnement de la bibliothèque humaine ? 

Nous reprenons le projet tel qu’il est fait et dont il est issu à la human library de Copenhague, depuis environ deux ans, nous avons signé un partenariat avec Copenhague pour être identifié human library, donc on utilise leur conception et nous signons tout les ans une licence, car c’est une manière pour eux de veiller à que leur projet ne soit pas perverti. C’est d’ailleurs valable pour toutes les bibliothèques humaines qui existent dans le monde, elles sont dans le même format que Copenhague. Tout cela apporte aussi une légitimité, car ce concept existe tout de même dans plus de 96 pays désormais. Ça permet aussi de faire connaître de plus en plus le projet donc, nous avons beaucoup de personnes qui nous contactent peu à peu pour lancer ce projet. Nous les redirigeons vers Copenhague pour qu’ils soient accompagnés. Donc ils ont mis à disposition une plateforme pour informer et sensibiliser au projet qui le souhaite. Ils mettent à jour les bonnes pratiques et nous nous mettons à jour avec eux en parallèle. Nous prenons le temps de débriefer à chaque événement, on apprend à chaque événement. Tout cela permet aussi de partager cette expérience avec d’autres pays francophones. 

Propos recueillis par Léa Tramontin et Margaux Amice