Souffel 2027 : un programme en intelligence collective au secours d’un cours d’eau

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine au programme Souffel 2027. Développé sur le territoire de la communauté de communes du Kochersberg, il permet à de multiples acteurs de se retrouver autour d’un objectif : l’amélioration de la qualité d’un cours d’eau, la Souffel. Ainsi, les élus, techniciens, agriculteurs et habitants ont mis en place une véritable dynamique d’intelligence collective pour agir ensemble.

Nous vous proposons en introduction ce reportage vidéo réalisé par nos équipes dans le cadre des RNIT 2022.

Puis pour aller plus loin, nous vous proposons ci-dessous une interview principale, celle de Franck Hufschmitt, directeur de la gestion durable des bassins versants au Syndicat des Eaux et de l’Assainissement Alsace-Moselle (SDEA) qui coordonne le programme.

Nous vous proposons également quatre interviews pour celles et ceux qui souhaiteront compléter leur lecture :

« Ce n’est pas la hauteur de la muraille qui compte, c’est la volonté de la franchir. Le fait d’être ensemble permettra plus facilement de franchir cette nouvelle étape. Chacun apporte sa technicité. »

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« Nous travaillons aussi en amont des stations d’épuration au niveau des réseaux pour recueillir des eaux de meilleure qualité. »

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« C’est un tour de force. Il y a 10 ans cela aurait été impossible ! »

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« Il faut être patient. Je pense que l’on va y arriver. Il n’y a pas une méthode qui va faire que l’on va réussir. Il en faut plusieurs combinées. »

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– Interview Franck Hufschmitt, Directeur de la Gestion Durable des Bassins Versants au SDEA –

À quels enjeux répond le programme Souffel 2027 ?

Ce programme a été développé car nous étions en face d’une problématique de qualité d’un cours d’eau. Tout le monde s’est porté au chevet de celui que l’on appelle la Souffel. Il coule dans la petite région du Kochersberg. Les analyses montraient que sa qualité était médiocre. À la fois pour des questions de qualité de l’eau par rapport aux effluents. Mais aussi par rapport à la qualité physique du cours d’eau, ce que l’on appelle les berges. La Souffel avait été rectifiée pendant de nombreuses années, notamment des problématiques d’extension des exploitations agricoles. Il s’agissait donc de lui redonner un peu d’attention. 

Surtout qu’une rivière, c’est un bien commun… 

Je crois que c’était important de se dire que nous étions plusieurs acteurs. Nous devions nous retrouver pour essayer de faire mieux. La qualité de l’eau joue sur tout l’environnement. C’est aussi important pour l’Homme, pour des raisons sanitaires. Plusieurs catégories d’acteurs avaient “agressé” cette pauvre Souffel. Il s’agissait donc de rassembler l’ensemble de ceux-ci pour voir qui avait peu ou prou un rôle à jouer. 

Dans la dégradation… et sa reconquête ? 

Chacun a un rôle à jouer dans l’amélioration de la qualité de la Souffel et de ses affluents. L’idée était donc de rassembler l’ensemble de ces acteurs autour d’une table pour réfléchir ensemble à toutes les actions pouvant être menées pour améliorer la qualité du cours d’eau. En premier lieu, il y a bien sûr eu les collectivités locales, notamment la communauté de communes. Le SDEA, en tant que gestionnaire des réseaux d’assainissement et des stations d’épuration, a été missionné. Puis il y a eu la profession agricole au travers de la Chambre d’agriculture. Nous sommes un territoire éminemment agricole. Nos terres sont très riches. 

Le programme a été longuement réfléchi. Comment s’est déroulée la phase de réflexion ? 

Il y a eu des réunions plénières de sensibilisation. Sur la qualité du cours d’eau mais aussi sur le plan physique. Il s’agissait de sensibiliser l’ensemble des acteurs. Ensuite, nous avons fonctionné au travers d’ateliers thématiques sur chaque volet du programme. Chaque acteur était le pilote d’un atelier de co-construction d’un programme d’action complet sur l’ensemble des thématiques abordées pour aboutir à un plan d’action. 

C’est là où l’intelligence collective prend tout son sens… 

Il fallait se comprendre les uns les autres. Par exemple, la Chambre d’agriculture avait tendance à dire que la principale source de pollution provenait des collectivités car elles déversaient des grosses quantités de pesticides sur des espaces publics imperméabilisés. D’un autre côté, bien sûr, les collectivités fustigeaient la profession agricole avec les pulvérisateurs. 

Nous avons aussi une grosse problématique de coulée de boue et d’érosion des sols. Là aussi, les avis divergeaient sur les causes réelles. La première étape a donc été de se mettre d’accord sur un constat : l’ensemble des acteurs sont co-responsables de la situation dans laquelle nous étions. À partir de cette prise de conscience, chaque acteur a appris des difficultés de ses voisins avec qui il partage le territoire. Il s’agit de passer au-delà des différences et de travailler ensemble en intelligence collective. Pour y arriver, les ateliers étaient ouverts. Par exemple, la profession agricole pouvait assister aux ateliers sur le plan d’action de la réduction de l’utilisation des pesticides des collectivités publiques. C’est très utile car cela permet de se rendre compte des difficultés et des freins à lever pour aboutir aux résultats escomptés. 

Le programme a commencé en 2013, et doit aboutir en 2027 sur quel objectif ?

2027 était l’échéance ultime donnée par la directive-cadre sur l’eau. Elle va évoluer, on aura des échéances ultérieures parce qu’on est loin d’avoir atteint les objectifs. Mais effectivement l’idée était de se fixer des objectifs de qualité de cours d’eau, de linéaires de cours d’eau renaturé et de surfaces agricoles où l’on aura modifié les pratiques. Ensuite chacun a réfléchi dans son coin pour savoir ce qu’il peut amener dans ce plan d’action en faveur de la Souffel.  

Avec des actions concrètes ? 

Très concrètement, la profession agricole a proposé de réduire les doses d’intrants et de modifier les pratiques de travail du sol, notamment pour développer les techniques culturales simplifiées sans labour. Les collectivités ont acquis une balayeuse. Elle permet d’avoir des pratiques de nettoyage des espaces publics qui nécessitent moins d’intrants. Le SDEA, en tant que gestionnaire, a proposé la modernisation de ses équipements, notamment les stations d’épuration pour encore améliorer les effluents. Le syndicat de rivière a proposé de renaturer un certain linéaire de cours d’eau pour reconquérir la qualité des berges. 

Quelles ont été les étapes entre 2013 et 2027 ? 

Nous avons, classiquement, un comité de pilotage. Il se réunit une fois par an. Chaque acteur est invité à y présenter ses résultats. Nous y retrouvons à la fois des techniciens et des élus. On y valide l’ensemble des actions réalisées et on détermine celles à venir. Nous avons ensuite des comités techniques animés par chaque acteur. Nous y retrouvons des techniciens et des ingénieurs pour trouver de nouvelles pistes d’actions. Cette organisation était celle de la première phase du programme Souffel 2027. Nous sommes maintenant entrés dans la dynamique d’un contrat territorial eau-climat lancé par l’Agence de l’Eau Rhin-Meuse. 

Comment mesurez-vous l’impact ? 

Nous avons fixé un certain nombre d’indicateurs depuis le départ. Par exemple, le linéaire de cours d’eau restauré. Mais aussi l’amélioration du rendement des stations d’épuration. C’est également l’augmentation des surfaces agricoles avec des techniques alternatives aux techniques classiques. Enfin, nous avons développé des outils cartographiques pour suivre quatre cours d’eau. Il a été développé avec la Chambre d’agriculture et nous permet d’affiner nos conseils. Annuellement, nous surveillons ces indicateurs. Sachant que nous avons un indicateur final qui est la qualité de l’eau de la Souffel, en sortie de bassin-versant. Cela nous permet de suivre. 

Par qui le projet est-il porté ? 

C’est le SDA qui porte le projet. Notamment car avec la GEMAPI, nous avons récupéré de nombreuses compétences. Mais nous sommes réellement co-animateurs avec la communauté de communes. Elle finance la GEMAPI et complète les actions du contrat eau-climat (et du programme Souffel 2027) par d’autres actions un peu plus larges. Par exemple sur le compostage et de la communication vers le grand public.

– Justin Vogel, Président de la Communauté de communes du Kochersberg, Maire de la Commune Nouvelle de Truchtersheim –

Quel est l’intérêt d’un tel projet pour une communauté de communes ?

Nous avons décidé de placer cette nouvelle mandature sous le signe de la protection de l’environnement, de la protection des ressources humaines, de l’anticipation, du changement climatique et de la reconquête de la biodiversité. Ce contrat tombe merveilleusement bien. Il nous permet de penser le changement avant de changer le pansement. Autrement dit, de prendre les événements par la main avant qu’ils nous prennent par la gorge en matière d’environnement. Ce contrat se monte tout de même à 8,5 millions d’euros pour une trentaine d’actions.

Il était important de mener un projet en commun avec les autres acteurs ? 

Je crois qu’il était important de fédérer nos forces. De créer une force en marche. Antoine de Saint-Exupéry disait : “Dans la vie, il n’y a pas de solutions. Il y a des forces en marche, il faut les créer, les solutions suivent.” Le fait de nous fédérer avec l’agence de l’eau, avec le SDEA nous permet d’avoir cette trentaine d’actions pour reconquérir l’environnement, la biodiversité et protéger les ressources en eau. 

Chacun vient avec ce qu’il sait et peut faire ?

Le fait de mettre en commun nos moyens, aussi bien financiers qu’humains permettra d’avancer plus vite. En plus, il y a une volonté commune. Ce n’est pas la hauteur de la muraille qui compte, c’est la volonté de la franchir. Le fait d’être ensemble permettra plus facilement de franchir cette nouvelle étape. Chacun apporte sa technicité. Au niveau des collectivités, nous avons des solutions et des projets. L’appui technique et financier de l’Agence de l’eau et du SDEA nous permet d’avancer concrètement. 

Comment impliquer les habitants ? 

Nous avons décidé, dans le cadre de l’ensemble de nos actions, de consacrer une part importante de nos moyens à tout ce qui est lié à la communication. Notamment à travers les jeunes et les écoles. Nous devons sensibiliser la population et la préparer aux changements.

– Jean-Claude Lasthaus, président de la commission locale assainissement –

Quelles ont été les actions concrètes mises en place au niveau de l’assainissement ?

Sur notre territoire, nous avons construit ces dernières années quatre nouvelles stations d’épuration. Une station, plus ancienne, va être également en travaux pour améliorer son fonctionnement. Nous travaillons aussi en amont des stations d’épuration au niveau des réseaux pour recueillir des eaux de meilleure qualité. 

Quel a été le processus ? 

Nous avons, tout d’abord, procédé à une étude hydraulique sur l’ensemble des canalisations d’assainissement. Nous travaillons aussi sur les déversoirs d’orage. Mais nous allons également construire quatre bassins de pollution sur le territoire de la communauté de communes. Ils vont permettre lors d’événements pluvieux intenses de recueillir par décantations les pollutions, de manière à rejeter dans le réseau vers la station d’épuration des eaux de meilleure qualité. 

Le travail en commun semble impératif pour arriver à l’objectif final… 

Notre objectif final, c’est que l’eau rejetée dans le milieu naturel, une fois traitée par la station d’épuration, soit encore de meilleure qualité. Pour y arriver, nous devons travailler tous ensemble. Dans la partie gérée par les collectivités, il y a une partie invisible. Les canalisations sont souterraines. Tant que cela fonctionne bien, personne ne s’inquiète. Au niveau de l’assainissement, il y a beaucoup de travaux à faire. Dans ma commune, nous avons par exemple travaillé pour éviter l’infiltration d’eaux claires parasites. Ce genre de travaux contribue à l’amélioration du système… Mais les communes ne peuvent plus porter ces sujets qui sont très pointus. Il faut des collaborateurs avec des connaissances très fines. 

Quelle communication avez-vous vers le grand public ? 

Le SDEA est composé de plus de 1 000 délégués. Ils représentent leurs communes et peuvent être des vecteurs d’informations. Il y a également les différents bulletins communaux. Dans ma commune, j’explique toujours les interventions du SDEA. Quand on voit un chantier, on ne sait pas toujours de quoi il s’agit. Il faut expliquer la raison. Nous avons aussi des communications ciblées. Par exemple sur les lingettes à ne pas mettre dans les toilettes. Cela obstrue les systèmes de filtration des stations. Nous essayons de faire comprendre que c’est très néfaste. Les habitants font également beaucoup d’efforts sur l’utilisation de produits naturels pour leurs jardins.

– Pierre Luttmann, Président de la commission locale GEMAPI –

Dès le départ du projet, comment l’idée d’embarquer l’ensemble des acteurs s’est-elle concrétisée ?

Le projet était porté au départ par notre syndicat mixte local. Il y avait un fort soutien financier de la communauté de communes. Sans elle, il aurait été très difficile de porter le projet. Au niveau technique, le SDEA nous aidait beaucoup. En 2025, nous aurions dû atteindre un meilleur niveau écologique pour la Souffel. Mais nous avons eu une dérogation. Il fallait dynamiser le cours d’eau pour augmenter la dilution. Aujourd’hui, nous pensons à l’horizon 2027 pour améliorer le cours d’eau. Il faudra être patient pour atteindre les objectifs. Les travaux de renaturation et les actions avec les agriculteurs vont payer. Mais ce n’est pas facile car les conditions ne sont pas simples. 

Quelles actions peut-on retrouver ? 

Nous travaillons beaucoup avec les agriculteurs pour réduire les intrants. Nous essayons de mettre entre 5 et 10 mètres de bandes vertes entre les champs agricoles et le cours d’eau. Nous avons conventionné avec les agriculteurs sur une trentaine d’hectares pour qu’ils plantent de l’herbe ou des cultures non traitées. Nous continuons cette politique notamment dans le cadre de la politique liée au grand contournement de Strasbourg. Nous avons réussi à capter 60 hectares le long du cours d’eau. Nous allons en acquérir pour protéger la Souffel plus facilement. 

Est-ce facile de coopérer ? 

Ce n’est pas tous les jours facile. Il y a de la tension. C’est normal. Chacun défend un peu son église et ses convictions. Moi je suis au SDEA, à la communauté de communes et je suis agriculteur. C’est important pour avoir un peu de prise sur le terrain. Je pense que cela facilite le travail. Nous arrivons, en discutant, à de très beaux progrès. Quand on voit les 66 hectares renaturés le long des cours d’eau, il y a eu de belles discussions avec les syndicats agricoles, avec les politiques… C’est un tour de force. Il y a 10 ans cela aurait été impossible ! 

– Dominique Lux, Agriculteur au milieu du bassin de la Souffel –

Que font les agriculteurs dans le programme ?

Nous avons participé au constat. Nous avons repéré deux types de pollutions. Les pollutions diffuses et celles ponctuelles. Nous avons beaucoup travaillé sur les pollutions ponctuelles. Cela correspond à des cycles de lavages de nos pulvérisateurs par exemple. Il faut maintenant travailler sur le long terme au niveau du traitement des champs et les évolutions de techniques de traitement. 

Était-il important de participer à la dynamique collective ? 

Oui. Nous avons l’objectif d’améliorer la qualité de la Souffel pour 2027. Plusieurs actions sont menées. Il y a du conseil. Nous les multiplions sur la zone du bassin-versant. Nous agissons aussi en mettant en place des zones de remplissage et de lavage des pulvérisateurs. Cet aspect est maintenant terminé. Nous voulons maintenant améliorer nos techniques de culture. Les agriculteurs sont plutôt impliqués et conscients du problème. Je trouve que le principal problème se trouve dans le fait que les résultats sont très lents à venir. Pour éviter un découragement ce n’est pas facile. 

La transformation des habitudes n’est jamais simple… 

Le monde agricole est convaincu mais les recettes ne sont pas simples à trouver. C’est là que les agriculteurs ne peuvent pas être seuls. La recherche peut nous aider à trouver les solutions. Nous appliquons les idées données depuis toujours. Même si chacun, de son côté, fait des essais au niveau de ses cultures. Mais nos entreprises doivent avoir un bilan financier positif. Cela joue. 

C’est important d’être soutenu par le monde politique ? 

Il y a une forte concertation. Les comités de pilotage sont importants. Nous mettons en place des objectifs et des essais de nouvelles pratiques. Il y a la théorie et la pratique. Nous pouvons ainsi faire des bilans et voir ce qui fonctionne. C’est là que cela ne va pas toujours assez vite. Il y a parfois une inertie. Il faut être patient. Je pense que l’on va y arriver. Il n’y a pas une méthode qui va faire que l’on va réussir. Il faut en combiner plusieurs. Je suis convaincu que cela va marcher. Le système que nous avons adopté, dans l’émulsion entre agriculteurs, ingénieurs et politiques, va porter ses fruits.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne