La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine à une initiative de Pessac (33). Lors de la création de son premier Plan pluriannuel d’investissement (PPI), la ville a souhaité y intégrer un outil pour mesurer l’impact de ses actions. En travaillant avec l’AFNOR et en se basant sur les 17 objectifs de développement durable (ODD), elle a créé un référentiel. Objectif : rendre l’action publique plus lisible tout en permettant aux agents (et élus) de bien évaluer l’impact des différents projets tout au long du mandat. L’initiative a été récompensée par un Prix Territoria Or dans la catégorie Pilotage / Évaluation des politiques publiques.
Retrouvez l’interview de Stéphanie Grondin, adjointe aux finances de la ville de Pessac.
Sommaire:
– Mise en place du projet –
À quoi correspond votre initiative ?
On parle d’un PPI vert. C’est un plan pluriannuel d’investissement vert. L’objectif est d’évaluer l’impact de nos dépenses d’investissement sur l’environnement. Aujourd’hui, tout le monde parle de la transition écologique. Il y a aussi une volonté de développer des initiatives. Nous avions la possibilité de nous lancer dans une démarche de “budget climat”. Mais nous avons voulu aller plus loin dans cette idée en évaluant nos dépenses par rapport à cette transition écologique.
C’est une idée liée à l’évaluation ?
Le maire a défini la transition écologique comme une priorité du mandat. Nous souhaitions savoir comment cela se retranscrit au quotidien. Au-delà de mettre en place des panneaux photovoltaïques ou de développer des solutions au niveau des bâtiments pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Nous nous sommes aussi demandés comment on peut mieux évaluer notre impact. Nous voulions créer un outil. Certaines grandes métropoles ont lancé des budgets climats mais nous trouvions que c’était une grosse usine à gaz pour une évaluation uniquement des enjeux climatiques.
Selon vous, le budget climat est un outil incomplet ?
Nous avons mené un travail de documentation. Le budget climat évalue surtout les dépenses de fonctionnement. Au bout du bout, nous avons remarqué qu’il y avait entre 60 et 80% des dépenses qui n’étaient pas évaluables. Je trouvais que cela ne collait pas aux compétences d’une commune. Nous ne faisons pas que réduire nos gaz à effet de serre. Nous avons un rôle social et environnemental. Quand on parle transition écologique, ce n’est pas que le climat. Il faut réfléchir au développement durable dans son ensemble. Il s’agit de lier les enjeux climatiques à ceux de la biodiversité ou aux enjeux sociaux. Nous n’avons pas la vision d’une transition écologique rigide où l’on ne fait plus rien.
Quelles ont été les étapes pour arriver jusqu’à votre PPI ?
Nous avons voulu que les dépenses d’investissement et de fonctionnement soient représentées. Chaque projet doit avoir cette attention. Aujourd’hui, il faut tout penser en fonction de la transition écologique. Mais il fallait réfléchir de manière globale. Certains projets permettent de réduire les gaz à effet de serre directement. Après, quand vous construisez une école ou un bâtiment, vous avez un impact sur l’environnement. Il faut donc se poser la question du juste équilibre.
D’où l’idée de se focaliser sur les objectifs de développement durable ?
Je trouve que les Objectifs de développement durable (ODD) correspondent mieux à ce que fait une commune. On ne construit pas pour construire. On ne plante pas pour planter. Il faut mesurer l’impact de nos actions de façon systémique. Ce que l’on a fait reste un outil, ce n’est pas une finalité en soi. Il sert à mesurer notre impact et faire avancer les choses, trouver des axes d’amélioration.
C’est un outil interne ?
Il y a un double objectif. Pouvoir s’en servir en interne dans le montage de nos projets. Mais aussi pouvoir rendre nos actions visibles dans un souci de transparence. Il y a une logique pédagogique. Comment peut-on rendre compte aux habitants de nos actions ? Il faut une évaluation la plus objective possible. Il faut surtout coller à notre territoire. Chacun a des besoins et des leviers différents.
Revenons aux étapes de mise en place, comment avez-vous mis en place cette initiative ?
À Pessac, la ville a un agenda des solutions durables. Il a été construit avec les habitants. Il est basé sur les 17 objectifs de développement durable. Ils servent de référentiel universel car ils sont reconnus mondialement. Ils brassent l’ensemble de nos objectifs. Nous avons décidé de voir comment on pouvait construire avec ça. Nous avons décidé de partir sur notre plan pluriel d’investissement. C’est quand même 100 millions d’euros sur le mandat. C’est parlant. Nous avons donc voulu évaluer ce PPI au regard des 17 ODD.
– Le projet aujourd’hui –
Comment se déroule l’évaluation ?
Ce qui est intéressant dans ce dispositif, c’est que l’on a une évaluation en amont, à l’état de projet, au moment de la réflexion des services. Ils vont se servir du référentiel pour arriver à une note. Cela permet aux agents d’amorcer la réflexion pour rendre “meilleur” leurs projets par rapport aux différents critères. Souvent, il y a un coût supplémentaire. Si vous prenez par exemple les matériaux bio-sourcés. Mais si vous en avez conscience et que cela entre dans une démarche globale, c’est plus simple de l’accepter. À postériori, nous avons aussi une évaluation pour voir si cela a été efficace ou pas.
C’est vrai que ce n’est pas toujours facile de mettre en mouvement les services…
C’est intéressant effectivement. Je ne vous cache pas que quand nous avons présenté la méthode et qu’il y avait en plus un délai assez court (installation du conseil municipal en juillet 2020 et vote du budget en mars 2021), les services ont pris peur. J’ai eu la chance d’avoir un directeur général des services, Yvan Bregeon, qui était partant. Il a été moteur. En plus, c’était la première fois que nous réalisions un PPI. Nous ne voulions pas non plus d’une évaluation pour s’auto-satisfaire. Nous souhaitions une méthode qui puisse être reconnue.
D’où l’idée de travailler avec votre partenaire l’AFNOR ?
L’AFNOR, l’Association française de normalisation, travaillait déjà avec nous sur d’autres projets. Ils ont été emballés. Nous leur avons payé une mission de 15 000 euros. C’était le prix à payer car ce n’était pas possible de le porter en interne. Ils ont défini la méthode. Ils ont organisé des ateliers de travail avec les agents. Ils les ont répartis en fonction des projets. Nous sommes partis des projets phares du mandat. Sur chacun, nous avons défini la méthode avec des critères. Nous avons pris les 17 ODD et les avons séparés en quatre finalités. Mieux vivre la ville ensemble. Nature et Biodiversité. Modes de production et consommations. Climat. responsables Cela permet ensuite de fixer une note pour chaque projet.
Chaque projet passe au scanner de votre référentiel ?
Chaque projet et plus tard chaque action du fonctionnement sera regardé sous le prisme de ses quatre finalités. Ensuite, il s’agit d’équilibrer. Parfois un peu plus du côté des enjeux sociaux et d’autres fois plus climat. Même si, quand on regarde ce PPI, on est plus sur des enjeux climatiques que sociaux car les dépenses sociales sont sur le budget de fonctionnement.
Pour chaque projet, un atelier est organisé pour mixer les différents métiers nécessaires. Sur chaque ODD, il y a 120 paramètres. Le groupe est amené à mettre une note entre 0 et 3 pour chacun. L’idée est de savoir si le projet répond à l’enjeu de faiblement, moyennement ou fortement. Une fois l’ensemble des notes à disposition, vous savez les ODD que vous respectez le plus et ceux sur lesquels il y a plus de travail. Nous avons fait le pari de retranscrire cela via une note sur 20. Nous nous posons la question de savoir quelle est la meilleure méthode. Cela sera peut-être des pourcentages. Mais l’idée importante c’est que cela nous donne un outil pour évaluer et dégager des trajectoires d’amélioration.
Vous avez un exemple ?
On peut regarder la restructuration d’une école par exemple. Dans le groupe ayant participé à l’atelier, on a eu aussi bien des agents du service éducation que des personnes liées à la construction. La note finale est 13,8 sur 20. Cela donne une tendance. Nous pouvons rapidement voir, sur les quatre finalités, quelles sont les trajectoires d’amélioration. Ce qui est intéressant, c’est que cela permet une transversalité. Que ce soit au niveau de l’administration ou des élus. Tout le monde doit être autour de la table.
Il y a eu plus de dialogue ?
Il y a eu de la peur au départ mais je pense que tout le monde s’y retrouve. Il a fallu communiquer, discuter mais aussi re-fixer les priorités. C’est important de le faire car dans la transition écologique, il va être important de réussir à trancher entre différentes options. Cela permet aussi de mieux communiquer. Les villes font beaucoup de choses mais ce n’est pas toujours lisible. Nous allons d’ailleurs décliner cette méthode sur nos dépenses de fonctionnement.
Cette évaluation va-t-elle avoir lieu en amont et en aval du projet ?
On peut même l’avoir trois fois. Si on prend l’exemple d’une piscine. Pour inscrire le projet au PPI, il faut faire l’évaluation. L’évaluation intervient sur ce que l’on souhaite. Une fois que votre programme est prêt ou s’affine, vous pouvez à nouveau l’évaluer pour savoir si cela correspond aux attentes. Et bien sûr, il y a une évaluation quand le projet est livré. La phase la plus importante est celle entre l’imagination du projet et sa concrétisation. Pour moi, notre référentiel aide les agents pour défendre leurs projets en fonction des objectifs du mandat. Ils peuvent arriver et dire “voilà ce que la ville souhaite et comment mon projet entre en cohérence avec les 4 finalités”.
C’est intéressant car cela rend les objectifs de développement durable concrets ?
Oui. Nous nous sommes inspirés de certaines entreprises qui essayent de répondre à quelques-uns des 17 objectifs. Mais nous, nous souhaitons que chaque projet soit évalué sur l’ensemble des objectifs. Dans un rêve, j’aimerais aussi que les habitants puissent se saisir de cet outil et s’approprier les ODD. Cela pourrait aussi concerner les associations quand elles viennent nous présenter des projets. Plutôt que de défendre un budget, elles pourraient nous montrer que leurs finalités sont en accord avec les nôtres. Ce référentiel peut être un outil de discussion.
Vous essayez aussi d’appliquer cette méthode au niveau des achats ?
Oui c’est notre objectif. Cela existe déjà car nous devons suivre un règlement sur les achats durables. J’aimerais aussi aller plus loin et travailler au regard de nos quatre finalités et de notre trajectoire pour un peu plus orienter nos achats.
– Dupliquer le projet –
Pourquoi passer en externe pour la réalisation de ce référentiel ?
En premier lieu, il fallait obtenir de la crédibilité et un conseil sur la méthode. Nous aurions pu réaliser des ateliers mais avoir un regard extérieur a été important. L’AFNOR nous a apporté la méthode et ils ont pu nous dire que le travail réalisé nous permettait d’avoir une évaluation objective. L’AFNOR travaille beaucoup autour de la certification. À terme, l’objectif n’est pas qu’ils fassent tout. Ils vont former les agents pour que nous soyons autonomes sur le pilotage. Nous pensons aussi que cette méthode pourra être déclinée par d’autres collectivités. L’AFNOR est intéressée par l’idée de développer ce référentiel.
Quel a été le coût du projet ?
Nous avons payé l’AFNOR 15 000 euros sur la première partie. Cela comprend l’accompagnement et les ateliers organisés avec nos équipes. Maintenant, chaque fiche projets est associée à une fiche impact. La méthode est rodée. Nous avons, à nouveau, missionné l’AFNOR sur le fonctionnement. Après, il faut compter le temps de travail. Pour les services, c’est, au moment de la rédaction du PPI, 3 ou 4 ateliers sur des demi-journées. Il y a également un gros travail au niveau du service communication. C’est précieux en interne mais cela le sera aussi quand nous allons travailler pour faire connaître aux habitants la méthode.
Avez-vous un conseil à donner à des élus ?
Il faut se lancer sur ce type de projet. Cela crée une cohésion entre les élus et l’administration. Même si au début, il est impératif d’avoir en tête que cela va freiner des quatre fers. Nous avons eu de la chance ici que le DGS soit très impliqué. Il a dû porter le projet auprès des équipes. Notamment car certains services sont mutualisés avec Bordeaux métropole. Par exemple, le service finance. Le maire était également très partant pour le projet. Il faut accepter aussi que tout ne soit pas parfait. Deux jours avant le Conseil Municipal nous ne connaissions pas encore les notes.
Vous avez reçu un prix territoria pour ce projet ?
Oui nous avons été récompensés dans la catégorie “Pilotage / Évaluation des politiques publiques” Les gens nous parlent de cette initiative. Cela veut dire que notre outil est pertinent.
Propos recueillis par Baptiste Gapenne