Argonne ardennaise (08) : Un centre social itinérant pour recréer du lien dans les villages

La lettre de l’impact positif vous propose cette semaine de découvrir une initiative de la communauté de commune de l’Argonne ardennaise. L’idée ? Face à la disparition des lieux de vie dans ce territoire très rural, le centre d’action sociale de Vouziers a lancé « À plus dans le bus » : Un camion itinérant qui permet de recréer de la vie et du lien social dans les villages de la région.

Pour en savoir plus sur ce projet, l’équipe de Territoires audacieux a interviewé Mélanie Toussaint, chef du projet « À plus dans le bus ».

Sommaire:

– Mise en place du projet –

D’où vient l’idée de départ ?

Mélanie Toussaint : L’idée de « À plus dans le bus » est venue de quatre habitants. Ils ont constaté la disparition des lieux de vie dans les villages alentours. L’Argonne ardennaise est une communauté de communes très rurale est assez étendue. Il y a 95 communes et 18 000 habitants. La raréfaction des services publics, des transports et des commerces de proximité en a fait un territoire très propice à l’isolement. En tant que centre social, notre démarche est d’être toujours en lien avec les habitants, d’aller à leur rencontre, d’écouter leurs besoins et d’imaginer des projets ensemble. En échangeant avec les partenaires, les habitants et les élus, on a donc établit une nouvelle priorité : Mettre en place des actions itinérantes.


Quelle différence avec une maison de services publics itinérante ?

On s’en inspire, mais c’est bien plus que ça ! Au départ, la communauté de commune de l’Argonne ardennaise, basée à Vouziers, avait déjà un projet de services publics itinérants. La MSAP (Maison de services au public) de Vouziers se déplaçait sur rendez-vous dans les mairies avoisinantes. Le but étant de rapprocher les services publics des habitants. Mais on s’est rendu compte qu’il fallait plus que cela. Il y avait un besoin urgent de recréer du lien social dans nos villages. À l’origine d’ailleurs, le projet était destiné aux personnes âgées et aux personnes isolées. Mais au fur et à mesure que le projet se développait, le bus s’est destiné à tout le monde.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place du projet ?

Dès le début 2018, il y a eu un gros travail de conception et de présentation du projet aux élus, aux partenaires et aux habitants. Ce moment a été essentiel pour partager nos diagnostics et vérifier que le projet était bien adapté au territoire. La conférence des financeurs des Ardennes nous a suivi sur le projet initial, qui était destiné à l’autonomie des personnes âgées et des personnes isolées. Après ce travail de rencontres où nous avons pu présenter la démarche, le projet a pu être opérationnel. Les premiers ateliers ont pu se dérouler le 1er septembre 2018.

– Le projet aujourd’hui –

Aujourd’hui, le camion se déplace sur toute l’Argonne ardennaise…

Tout à fait. La force de l’Argonne ardennaise, c’est notre réseau, qui permet d’œuvrer collectivement pour faire vivre notre territoire et le rendre attractif. On a donc rencontré beaucoup de maires du territoire. On se rend ainsi sur les anciens chef-lieux de cantons : Monthois, Machault, Buzancy, Grandpré, Le Chesne et Vouziers. Cela nous permet de pouvoir mailler l’ensemble du territoire et d’être accessibles aux communes aux alentours. On a un deuxième véhicule qui nous permet d’aller chercher des personnes dans les communes avoisinantes et de les ramener chez elles à la fin de la journée. On trouve des alternatives.

Concrètement, comment se déroulent vos interventions ?

Aujourd’hui, on essaye de se rendre au moins une fois par mois dans chaque commune. On est présents sur 8 communes, ce qui fait à minima 2 animations par semaines. Dans chaque commune où nous nous rendons, la mairie nous met une salle à disposition, notamment en hiver. Et enfin, on a mis en place différents supports d’activité. Généralement, il y a un atelier cuisine, un pôle petite enfance, des activités créatives… On essaye de multiplier des outils ludiques pour permettre une rencontre  conviviale entre les habitants. C’est un lieu d’animation et de partage. C’est aussi un lieu où on peut, nous, identifier des problématiques sociales, et ainsi, potentiellement pouvoir y répondre. C’est une sorte de centre social ambulant.

Quelles sont les différentes personnes à l’œuvre ?

Dans le centre social, nous sommes deux salariées. On travaille sur le projet avec l’aide de cinq bénévoles qui nous aident beaucoup pour l’animation, la logistique… Ensuite, nous avons un ou deux bénévoles sur chaque lieu d’intervention. Ces habitants « ressource » sont chargés de faire le lien, d’amener de nouveaux habitants et de proposer de nouvelles activités et des nouveaux projets. Et enfin, on travaille toujours en lien avec la MSAP de la communauté de communes.

Comment l’initiative a-t-elle été reçue par le territoire ?

Au début d’« À plus dans le bus », on se retrouvait à 8 ou 10 personnes sur la place du village. Aujourd’hui, nous arrivons à rassembler parfois 45 personnes. La fréquentation s’est amplifiée très rapidement. En 2019, on a fait 98 animations sur 7 communes différentes avec 1200 participations. C’est là qu’on s’est rendu compte qu’il y avait un réel besoin. Dans beaucoup de petits villages, les habitants ne se connaissaient même pas. Et on a constaté que cela recréait de la solidarité, des projets entre les habitants. Ça permet vraiment de réduire les disparités sur le territoire. La rencontre avec les habitants nous a montré qu’il fallait toujours pouvoir proposer des choses car il y a toujours des besoins. Les élus ont très rapidement compris l’intérêt du projet. Et sans eux, le projet n’en serait pas là. La communauté de communes est un des facteurs clés de la réussite de l’initiative.

Aujourd’hui, votre public n’est plus limité aux personnes âgées et isolées…

Effectivement, à l’origine, on visait plutôt un public senior. Mais au bout de quatre mois de fonctionnement, nous nous sommes rendu compte que le public était très familial. Cela va de 3 mois à 99 ans ! Cela permet un véritable échange intergénérationnel d’échange et d’expériences. Après les rencontres, on reprend contact avec les personnes présentes. Et nous voyons que cela a créé des liens parfois assez forts, de la solidarité entre des gens qui ne se connaissaient pas. Le confinement mis en place pour lutter contre le Covid-19 nous a permis de mesurer l’impact réel de notre projet. Par exemple, certaines personnes se sont mobilisées pour aller faire les courses des personnes âgées.

– Dupliquer le projet –

Cette initiative demande-t-elle beaucoup d’investissements ?

Oui, quand même. On a dû investir dans un camion aménagé type « food truck ». Nous sommes deux salariés à temps plein et il y a, en plus, les frais de fonctionnement. En terme de coûts, nous étions au début à environ 60 000 € par an. Aujourd’hui, le coût du projet pour 2020 est évalué à 115 000 €. Nos mettons beaucoup d’énergie à rechercher des fonds et à répondre à des appels à projets. Nous sommes suivis par la région Grand-Est, le conseil départemental, la communauté de commune, la conférence des financeurs, la CAF, l’agence régionale de santé, la Fondation de France et l’État. Les mairies qui nous reçoivent contribuent déjà en mettant gratuitement des salles à notre disposition.

Quelles sont les difficultés rencontrées au cours de la mise en place du projet ?

Nous n’avons eu aucun problème quant à la réception du projet par les habitants. Les principales difficultés concernaient davantage la recherche de financement ou la logistique. Les premières animations étaient assez compliquées à mettre en place. Nous étions sur la place du village. Il fallait sortir les tables, les chaises, préparer tout cela en amont et rapidement. Bref, ce sont toutes les difficultés liées à la logistique de l’itinérance. Il ne faut pas avoir peur de prendre le temps d’ajuster les choses au fur et à mesure.

Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui souhaiteraient dupliquer un tel projet ?

La première chose qui me paraît essentielle est de prendre le temps de rencontrer tous les acteurs d’une telle initiative. C’est à dire les élus, les partenaires, mais surtout les habitants. Il faut étudier les besoins et adapter une solution au territoire. C’est la bonne réception du projet qui fait que cela fonctionne. Et cela bien en amont. Ensuite, il faut pouvoir être présents un peu partout. Nous sommes allés dans les villages, sur les marchés, les évènements festifs des alentours pour discuter et échanger avec les habitants et écouter leurs besoins.

Comment voyez-vous l’avenir d’« À plus dans le bus » ?

Nous nous sommes rendu compte que sur notre territoire, les besoins étaient assez différents en fonction des lieux d’interventions. Certains lieux demandaient plus d’accompagnement à la parentalité. D’autres, plus de lien intergénérationnel. On a pu évaluer certains besoins spécifiques. Maintenant, l’enjeu est de savoir comment peut-on y répondre. Enfin, cette année, nous allons essayer de nous rendre dans de nouvelles communes. On pourrait également être amenés à embaucher d’autres personnes en fonction des besoins et des financements.

Propos recueillis par Théo Debavelaere