
La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine au dispositif « Paysages Nourriciers » déployé à Nantes (44). Une cinquantaine de parcelles ont été cultivées en pleine ville de juin à novembre 2020. 25 tonnes de légumes ont ainsi été récoltées et distribuées aux familles en précarité alimentaire. Initié par le service des espaces verts et de l’environnement pendant le premier confinement, le projet a réuni les associations, les citoyens et les élus autour d’un même but. La Maire de Nantes, Johanna Rolland, a annoncé en octobre qu’elle prévoyait de lancer une 2ème saison des Paysages Nourriciers dès le printemps 2021.
Nous avons interviewé Julie LAERNOES, 2e adjointe de la maire de Nantes, déléguée aux Prospectives et résilience et vice-présidente de Nantes Métropole, pour en savoir plus sur leur démarche.
– Mise en place du projet –
Quelle est l’origine du projet ?

L’idée est venue des Services des Espaces Verts et de l’Environnement (SEVE). Habituellement ils plantent des fleurs, mais pendant la crise sanitaire ils constataient la précarité alimentaire de certains habitants. Donc ils ont eu l’idée de planter de la nourriture.
Vous partagiez ce constat de précarité alimentaire ?
Oui, les associations tiraient la sonnette d’alarme. Elle distribuaient des colis alimentaires composés d’invendus mais elles n’avaient plus de surplus. En plus, certaines familles ont basculé dans la précarité alimentaire notamment car il n’y avait plus les cantines des écoles. Des personnes qui n’avaient jamais frappé à la porte des associations ou de la collectivité se sont manifestées. Donc la demande augmentait mais la matière se faisait rare.
Quelles ont été les étapes de mise en place pour créer les Paysages Nourriciers ?
La crise sanitaire a un peu transgressé tous les codes dans la prise de décision et dans l’exécution. En temps normal, un projet comme celui-ci prendrait des mois de discussion avant sa mise en place. Or ici, nous sommes allés assez vite pour produire le plus rapidement possible. Le service des espaces verts de la ville a inventé de toute pièce le projet en un temps record. Les agents ont commencé à planter et mettre en culture une cinquantaine de sites sur la ville de Nantes dès le mois de juin pour pouvoir récolter dès l’été.
Pendant que les plantes poussaient, nous avons utilisé la plateforme que la ville de Nantes a créé pendant le confinement, Nantes Entraide, pour mettre en relation les personnes dans le besoin et ceux, comme les restaurateurs, qui pouvaient les aider. Nous avons lancé toutes ces initiatives avant même le deuxième tour de l’élection municipale.
Pensez-vous que cette manière d’agir, plus rapide, va rester dans votre politique ?
Oui et non. Parfois il ne faut pas aller trop vite non plus. Il ne faut pas bousculer tout le monde. La période fait que dans tous les domaines, il y avait la nécessité d’agir vite pour nourrir ceux qui étaient en grande précarité. Dans ce cas, on ne se pose plus trop la question des délais ni du rôle de chacun. Tout les acteurs (les associations, la collectivité, les agents de la métropole) ont un objectif commun et inventent un dispositif pour y parvenir. Étant élue à la résilience, j’ai constaté qu’elle n’est pas seulement technique mais elle est aussi liée à l’adaptation des systèmes urbains face aux changements climatiques. Le confinement a fait ressortir les liens humains et sociaux qui permettent de faire des projets qui ont du sens sur le territoire. Ainsi nous inventons des actions qui ne verraient pas le jour si nous étions seuls.
– Le projet aujourd’hui –
Où sont les plantations et qui s’en occupe ?

Nous avons 54 sites repartis dans les 11 quartiers de Nantes. Cela représente 2,5 hectares au total. Les parcelles appartiennent à la ville. Ce sont des parcelles de jardins partagés, des massifs et terrains engazonnés non occupés comme des bas d’immeubles. Nous avons aussi deux terrains plus grands avec des serres et une pépinière. Pour planter les légumes, les 250 agents qui s’occupent des jardins de la ville se sont mobilisés. La phase de plantation a duré deux semaines. C’était surtout des légumes d’été, que nous avons pu récolter dès juillet. Il y a différents produits donc plusieurs récoltes, nous sommes dépendants de la saisonnalité. La première récolte a eu lieu de fin juillet à mi octobre pour les légumes d’été et de début septembre à fin octobre pour les légumes d’automne. Le service des espaces verts et de l’environnement a été aidé par les bénévoles des associations nantaises de quartier et des habitants pour la récolte. Les associations et les relais de quartier ont ensuite fait en sorte que les paniers soient distribués.
Comment et à qui sont distribués les légumes ?

Le CCAS et les associations de quartiers ont identifié les familles précaires qui en avaient besoin. L’action a vraiment été délocalisée entre les 11 quartiers de la ville. Ensuite, les associations, dont une part majoritaire d’acteurs classiques comme le Secours Populaire, ont organisé la distribution. Souvent, la nourriture distribuée est industrielle, le fait de proposer des légumes frais a créé de l’échange car il faut les cuisiner.
C’était un peu la panique au début, en commission locale de quartier les gens ne savaient pas quels sites étaient pour eux, ce qu’ils devaient aller récolter avec les associations ou pas, le calibrage, etc. Toutes ces questions se sont réglées au cas par cas grâce aux savoir-faire du CCAS et du SEVE.
Le dispositif a-t-il été actif pendant le second confinement ?
Oui car nous avons continué à distribuer les derniers légumes de saison aux bénéficiaires via les distributions dans les quartiers. La fin du stock de légumes a été donné aux associations partenaires (Resto du Cœur, Secours Populaire, etc.) Nous n’avons pas relancé la production de nouveaux légumes à l’occasion de ce confinement, tout simplement parce que ce n’est pas la période de plantation.
Quelle est la prochaine étape ?

Le dispositif pourrait essaimer dans les 24 communes de l’agglomération. Aujourd’hui nous nous demandons si cette expérimentation était un one shot ou si nous allons pérenniser le projet. Nous analysons les retours d’expériences. Tout le monde est d’accord pour dire que c’est un projet qui fait sens et qui a globalement bien fonctionné. Il faut quand même ajuster certaines choses pour le pérenniser. Par exemple, certains bas d’immeuble n’ont pas produit grand chose et ont nécessité beaucoup de main d’œuvre, car il faut passer sur les 54 sites pour récolter en fonction de ce qui est mûr ou non. Nous regardons comment pérenniser le projet avec le même volume de production. On réfléchit aussi à comment continuer de transmettre l’enthousiasme qu’à susciter ce projet. Nous pensons notamment à la cantine scolaire. Il peut être bénéfique pour les enfants de contribuer à faire pousser leurs aliments, de voir comment pousse leur nourriture, ça a plus de sens.
Ce dispositif ne permet pas de nourrir l’ensemble des habitants de la ville, réfléchissez-vous à développer le projet, notamment en périphérie de Nantes pour permettre à plus de personnes d’avoir accès des légumes frais et bio ?
Nous ne sommes pas sur une extension du projet et nous ne disons pas que nous allons nourrir toute la ville de cette manière. D’une part, nous n’avons pas les volumes nécessaires et d’autre part, ce n’est pas souhaitable. Aujourd’hui, la situation des agriculteurs sur le départements est assez terrible. Nous perdons 300 agriculteurs par an. Il est vital d’avoir des terres. Pour cela, nous avons besoin que les urbains se ré-approprient le lien avec leur alimentation. Mais nous avons aussi besoin de conforter notre lien avec les agriculteurs, ceux déjà en place et ceux que nous voudrions installer, d’autant plus sur des zones que nous ne voulons pas artificialiser en dehors de la ville.
– Dupliquer le projet –
Combien de paniers ont été distribués ?

Pendant la période de confinement, quand nous venions à peine de planter les légumes, nous avons distribué plus de 9 000 colis. Ensuite, grâce à Paysages Nourriciers, nous avons produit 25 tonnes de légumes frais. C’est difficile de dire à combien de famille cela a profité car tout est très décentralisé et la taille des paniers est variable. Par exemple, il y avait trois femmes en grande précarité dans un foyer, elles venaient régulièrement chercher de quoi se nourrir pour la semaine. Il n’y avait pas d’uniformisation de la distribution. Mais nous estimons que nous avons touché environ 2 500 foyers nantais, qui ont reçu un ou plusieurs paniers.
Quel impact ce dispositif a eu sur le territoire ?
Les porteurs du projet étaient très enthousiastes. Ce dispositif permet de créer du lien. Il apporte aussi la fierté de distribuer des aliments frais et sans pesticides plutôt que des paquets de pâtes ou de gâteaux. Il permet également de recréer du lien entre la terre qui nous nourri et le monde urbain. Les habitants voient dans l’espace public les légumes pousser, ça fait sens dans notre politique de ville.

Quel a été le coût du projet ?
Le bilan de cette première expérimentation montre que le budget global est de 61 200€ au total. Pour détailler : 7 000€ ont servi à analyser les sols des pépinières et des autres autres sites où nous avons planté les légumes et analyser les légumes récoltés, afin de s’assurer qu’ils étaient comestibles avant de les distribuer. 38 000€ ont permis l’achat de matériel agricole pour les plantations (engins agricoles, substrat, plants et semences végétales…) et 9 500€ pour le matériel agricole nécessaire à la récolte (achat d’outils et de cagettes pour stocker et transporter les légumes). Nous avons aussi acheté du matériel pour réaliser la signalétique sur les sites et réalisé des supports de communication pour 1 500€. Et enfin, 5 200€ pour organiser l’évènementiel et les animations avec les associations et notamment « la grande récolte festive » qui a eu lieu fin octobre.
Quel(s) obstacle(s) avez-vous rencontrés ?
Au début il a fallu convaincre que le projet était réalisable et rassembler tous les acteurs. Je crois beaucoup au changement par des actions très concrètes. Après il y a eu des freins. Par exemple, nous n’avons pas eu le temps de faire des études de sol pour voir la qualité des endroits de plantation. Donc nous avons acheté de la terre pour cultiver en butte. Ce sont des freins techniques de ce genre que nous avons su lever pour aller vite sur cette édition-là.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à des communes qui souhaitent mettre en place un projet semblable au Paysages Nourriciers ?
D’y aller. Nous avons besoin de projets qui font sens et qui fédèrent. Il faut lever les freins, c’est l’action qui nous rassemble et qui fait avancer. C’est par l’action qu’on se convainc et qu’on créé des liens dont on aura besoin dans les années à venir.
Propos recueillis par Léa Tramontin.