Saint-Jean-de-Braye (45) : un tiers-lieu, en gouvernance partagée, permet de dynamiser la commune

Dans la commune de Saint-Jean-de-Braye, située dans le Loiret (45), un tiers-lieu a été créé par l’association 6-10 Pôle ESS en partenariat avec la commune. Situé dans un bâtiment innocupé depuis dix ans, il permet de dynamiser le territoire et de renforcer la cohésion sociale tout en développant des initiatives économiques et durables. Les six structures qui portent le projet facilitent la mise en lien des porteurs de solutions engagés dans la transition.

Pour en savoir plus, les équipes de Territoires Audacieux ont interviewé Alicia Gomis, coordinatrice du 6-10 Pôle ESS.

Cette initiative a été repérée suite au « Concours : initiatives coup de cœur » co-organisé avec Villes au Carré

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Qu’est-ce que le « 6-10 Pôle ESS » ?

Créé par six structures (1-Terre-actions, Artefacts, les Amis de la Coopérette, le Crépi, le Repair Café et la Ressource AAA) le 6-10 Pôle ESS est un tiers-lieu. C’est-à-dire, un lieu dédié à la pratique d’activités diverses touchant à de multiples domaines : l’emploi, l’économie circulaire, l’alimentation, la culture, l’éducation en sont des exemples. Il est ouvert à divers publics tous liés à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) . C’est-à-dire, les associations, coopératives, les fondations, les entreprises agréées, les entrepreneurs ou les citoyens… C’est un centre de coopération facilitant la mise en lien des porteurs de solutions engagés dans la transition écologique, économique et sociale. Il est totalement investi dans une logique de mutualisation et de partages des ressources entre les différents résidents.

Qui peut investir ce tiers-lieu ?

Les espaces partagés sont disponibles en priorité pour les structures membres de l’association 6-10 Pôle ESS. De plus, toutes associations, structures, collectifs ou citoyen∙nes qui adhérent à nos valeurs sont admises. Nous travaillons à être un lieu ouvert, incluant la participation concrète des habitant∙es aux projets et à l’accueil de leurs propositions d’animation.

Quelles sont les dynamiques des structures membres de l’association ?

Les structures présentes dans l’association répondent à des problématiques transversales. Dans le domaine de l’économie circulaire, il y a la Ressource AAA, qui relaie de la sensibilisation au réemploi et à la réduction des déchets via sa boutique d’objets de seconde main et ses ateliers créatifs. Le Repair Café permet lui d’apprendre aux personnes à réparer leurs objets pendant un moment convivial. L’association 1-Terre-actions promeut l’usage du  vélo au quotidien grâce à ses ateliers d’auto-réparation de vélo. Les Amis de la Coopérette, association de consommateurs, gère une épicerie d’alimentation durable (biologique, participative, locale et équitable, sensibilisations) .
Dans le domaine de l’emploi, nous avons la coopérative Artefacts qui accompagne les porteurs de projets liés à la culture et Le Crépi (Club Régional des Entreprises Pour l’Insertion) . Ce club permet de faire du lien entre les demandeurs d’emploi et les entreprises avec différentes actions tels que des « Rallyes pour l’emploi ». Ces structures sont membres de la gouvernance collégiale qui pilote l’association 6-10 Pôle ESS. Une douzaine d’autres structures de l’ESS sont membres utilisatrices mais pour l’instant, n’ont pas intégré la gouvernance.

Quelle est l’histoire de votre association et de ce tiers-lieu ?

Les locaux du Pôle ESS étaient vacants depuis près de 15 ans. Ils ont été réaménagés par le bailleur 3F suite à une demande de la ville en 2016. Cette dernière était confiante en ce qui concerne l’utilité de la réhabilitation du lieu, en pôle ESS pour le quartier prioritaire du Pont Bordeau. Suite à un appel à projet réalisé par la ville, six structures ont été retenues. Afin de réhabiliter le lieu, de lourds travaux ont été réalisés. L’investissement total (par le bailleur 3F et la ville) est à hauteur de 260 000 euros. Suite à l’inauguration du pôle ESS le 18 octobre 2018, les locaux ont été mis à disposition par la Ville à notre association 6-10 Pôle ESS.

Pourquoi la ville a décidé de créer un pôle ESS sur ce lieu ?

Considérant l’économie et l’emploi comme un pilier fondamental du Contrat de Ville, la municipalité abraysienne a mené un diagnostic des cellules commerciales au sein du périmètre du Pont Bordeau. En plus du faible nombre de commerces (particulièrement au sud de la ligne de tramway), un ensemble de quatre cellules commerciales vides en rez d’immeuble situé 6-8-10 rues François Rabelais a été identifié. D’une surface totale de 332 m², cet ensemble appartenant au bailleur 3F s’avère particulièrement complexe à revitaliser sur le plan commercial, comme en atteste son inoccupation depuis plus de 10 ans. Alors que d’importants efforts sont consentis par les différents acteurs du territoire pour redynamiser le quartier du Pont Bordeau, l’absence d’activités dans cet ensemble commercial lui confère une image peu attractive. Ainsi, par sa capacité d’innovation et son engagement vis-à-vis du tissu citoyen, l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) constituent un levier de développement sur lequel la Ville a souhaité s’appuyer. Avec pour objet de revitaliser cet ensemble commercial et participer à la redynamisation du Pont Bordeau en alliant l’économie, l’emploi et le développement durable. A cet effet, il a été visé la transformation de ces cellules commerciales en un pôle d’activités dédié à la création d’emplois (incubateur), à la citoyenneté et à l’économie circulaire. La création de ce « Pôle ESS » fait l’objet d’une coopération entre trois acteurs clé : la Ville de Saint-Jean de Braye, le bailleur propriétaire des locaux Immobilière Centre Loire, la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire Centre-Val-de-Loire. Cette coopération s’est matérialisée par une convention de coopération en avril 2017. 

Comment s’est organisée cette coopération ?

Dans un premier temps, la Ville et le bailleur 3F rénovent l’ensemble des cellules commerciales pour pouvoir accueillir dans de bonnes conditions les futurs occupants. Le bailleur 3F demeure propriétaire et loue l’ensemble à la Ville. La Ville gère ensuite l’occupation des locaux via un bail de sous-location. Ce bail de sous-location sera d’une valeur symbolique d’1€ par mois, seules les charges resteront dues par les futurs structures occupantes. Sélectionnées sur appel à candidatures par un jury transverse (Ville, Bailleur, Orléans Métropole, CRESS, Conseil Citoyen) qui s’est réuni à l’été 2017, six structures ont été retenues pour se partager les 332m² de cellules commerciales afin d’y développer leurs activités sur un territoire dont ils étaient absents.

Pourquoi l’association 6-10 Pôle ESS a-t-elle été créée ?

Cette coopération des six structures permet de développer leurs activités et d’animer le tiers-lieu. Elles coopèrent ensemble et avec d’autre structures : associations, entreprises et collectivités, collectifs de citoyens. L’association permet d’accompagner les porteurs de projet dans l’ESS, en partenariat avec la Ville de Saint-Jean de Braye et les structures partenaires. La coopération permet au 6-10 Pôle
ESS d’anticiper son avenir. En effet, les structures présentes
actuellement ont vocation à se développer et potentiellement à quitter
le pôle. De nouvelles structures peuvent rejoindre le 6-10 Pôle ESS. L’avantage d’une association chapeau est de gérer plus
facilement les flux (entrée/sortie) de structures sans modifier le
bail.

– Le projet aujourd’hui –

Quels sont les objectifs de votre association ?

L’association 6-10 Pôle ESS a différents objectifs pour le tiers-lieu 6-10 Pôle ESS. D’une part, elle souhaite favoriser les interactions et le développement de projets entre les structures présentes grâce à une bonne gestion. Elle a également un rôle de coordinateur afin de développer une offre de services appropriée dans le lieu (location du « living lab », accompagnement des projets de l’ESS, mise à disposition de salles…) . En outre, elle a pour objet d’animer en participant au développement des initiatives dans le champ de l’ESS. Par exemple, avec l’accueil et l’accompagnement des porteurs de projet pour la mise en œuvre de leur activité. L’association vise aussi au développement du lieu. En effet, notre « laboratoire » de recherche-action dans le champ de l’ESS vise à être essaimé par les porteurs/ses de projet dans les territoires où cela est pertinent. Enfin, elle permet d’apporter plus de solidarité, de convivialité, de créativité pour et avec les habitant∙es du quartier qui participent au développement de ces services.

Combien de projets ont été réalisés au sein du 6-10 pôles ESS ? Ont-ils eu un coût ?

Jusqu’alors, le projet du 6-10 Pôle ESS concerne le projet global, car c’est un projet transversal (cohésion sociale, emploi, alimentation, mobilité, économie collaborative, gouvernance participative…). Son coût global a été de 50 000 euros à 60 000 euros (entre 75 000 et 85 000 avec les contributions volontaires). La collectivité, nous demande de rentrer dans les cases des dossiers alors nous développons des projets spécifiques. Cependant, je tiens à préciser que notre action est beaucoup plus vaste que cela, car elle vise la transversalité. Par exemple, nous avons mis en place le projet « Emploi ». Ce projet, comporte trois actions. D’une part, la mise en place d’information de premier niveau vers les partenaires adéquats. D’autre part, la mise en lien entre, porteurs de projet pour permettre la création de réseau. Et entre porteurs de projet et institution, entreprises. Enfin, le projet « Emploi » a une fonction d’incubation. C’est-à-dire, un accompagnement des porteurs de projet qui utilisent l’espace pour tester ou lancer leur activité. Le coût de ce projet est estimé à 33 000 euros sans les contributions volontaires, 61 000 euros avec les contributions volontaires.

Quels types de projets sont développés au sein du tiers-Lieu ?

Des projets communs sont créés petit à petit au sein du lieu. Sous la forme de projets manuels tels que des ateliers communs de réparation d’objets entre le Repair Café et la Ressource AAA. Ou bien, avec la confection de sacs à pain pour une boulangerie suite à la mise en lien de l’association Sauvé des Eaux et le collectif Zorro Déchet au 6-10 Pôle ESS. Nous développons aussi des projets sous forme de prestations communes de sensibilisation à l’ESS avec de la réparation d’objets (vélos, jeux coopératifs…) auprès de divers publics entre structures, membres du tiers-Lieu.


Au sein de votre association, 6-10 Pôle ESS, avez-vous pu développer des projets ?

Tout à fait, en septembre 2019, nous avons par exemple ouvert un espace de coworking, le « 6-10 CO » . Ce dernier est destiné aux structures de l’ESS et aux entrepreneurs dans la transition écologique, sociale et économique. D’autre part, le living lab est un ensemble de mobiliers numériques. Il permet de réaliser des animations. Par exemple nous l’avons utilisé afin de réaliser avec des groupes scolaires un questionnaire sur l’ESS. Enfin, notre association effectue des prestations de sensibilisation à l’ESS auprès de divers publics (personnes en formation, demandeurs d’emploi…) .

– Dupliquer le projet –

Avez-vous pu mesurer les impacts ? Quels retours avez-vous depuis le commencement de l’initiative ?

Depuis le commencement de l’initiative, la communication par différents canaux apporte de plus en plus de visiteurs et participant.es aux ateliers ou aux activités du 6-10 Pôle ESS et de ses structures membres. Toutefois, nous avons une grande marge de progression pour inclure encore plus les habitants de Saint-Jean de Braye (surtout ceux du quartier prioritaire du Pont Bordeau) et plus largement d’Orléans Métropole. Nous souhaiterions aussi nous améliorer sur l’accompagnement des entrepreneur.es en coworking et sur l’intégration d’autres structures de l’ESS dans la gouvernance collégiale.

Quels ont été les différents coûts de la mise en place du tiers-lieu ?

Afin de réhabiliter les locaux, nous avons dû débourser 241 690 euros. L’aménagement de ce dernier, malgré du réemploi et des dons, nous a coûté 1500 euros. Les travaux de finition (peinture, carrelage, sols, installation des équipements de base) quant à eux ont été réalisés par les bénévoles du 6-10 Pôle ESS. Pour les coûts extérieurs, ils s’élèvent à 31 000 euros pour le salarial, 12 000 euros pour charges locatives, qui sont payées au bailleur 3F enfin 3 400 euros ont été nécessaire pour faire appel à un expert comptable et à des outils de télécommunications.

Pourriez-vous me préciser les différents acteurs ayant financé le projet du 6-10 Pôle ESS ?

D’une part, Orléans Métropole a investi dans le mobilier numérique et d’accueil. D’autre part, nous avons reçu des financements de la part de L’État à travers le CGET ( 15 000 euros la première année, puis 7 500 euros, la deuxième et 7 000 euros la troisième). Cap Asso de la région Centre et le Fonjep, nous ont donné respectivement sur 3 ans 48 000 et  7 000 euros. Enfin, la ville nous a versé 12 000 euros en 2020. Cependant, tous ces financements ne suffisent pas à pérenniser la structure (pourtant très économe), nous recherchons donc d’autres pistes de financements.

Comment et par qui l’initiative continue d’être financée au quotidien ?

Nous avons des ressources propres avec le développement de nos services. Tel que l’utilisation des salles par les structures, l’espace de coworking, la location du « living lab », des prestations ESS (accueil d’entreprises, sensibilisations à l’ESS auprès de scolaires ou public des centres de formation). Ces services nous rapportent pour l’instant 4 400 euros. D’autre part, l’adhésion des structures membre du 6-10 Pôle ESS, nous rapportent 360 euros. 

Pourquoi avez-vous eu envie de vous investir dans ce projet ?

Personnellement, parce que ce projet a du sens, il développe une action cohérente. D’un côté, socialement avec mise en lien entre acteurs divers, la mixité des publics, l’accompagnement des porteurs de projet pour l’emploi et le renforcement de lien social avec la proximité des habitants. D’un autre côté, écologiquement, grâce a sa sensibilisation à la transition écologique, sociale et économique. Ainsi que sa valorisation des structures et collectifs mettant en place des actions vertueuses pour l’environnement et les humains. D’autre part, j’ai eu envie d’investir ce projet, car nous mutualisons un espace, en premier lieu non pas pour réaliser une coopération efficace. Mais plutôt pour réaliser la transition sociale, écologique et économique sur le territoire, nécessaire à la construction de la résilience face aux chocs en cours et à venir. Tels que la sécheresse, les inondations, la pollution, le délitement du lien social et économique… En effet, nous construisons des solutions concrètes et nous les mettons en lien : alimentation durable, déplacements doux, réemploi, lien social, économie collaborative… Cependant, il reste à trouver le modèle pour le pérenniser économiquement. Au sens, premier du terme, le projet est économiques. En effet, il permet la préservation des ressources avec l’utilisation de matières premières locales et construction participative, aménagement du lieu avec les structures du réemploi du territoire… Pour les structures membres, cela permet de développer leur activité auprès du public de Quartier Prioritaire de la Ville et de coopérer pour rendre plus visibles leur structure en particulier et l’ESS en général.

Quels conseils donneriez-vous à un élu souhaitant se lancer dans la même initiative ?

Tout d’abord, je conseillerais à un élu de fédérer les différents acteurs du projet du territoire. Tels que : les structures de l’ESS en place, les habitant.es, les porteurs/ses de projet, le bailleur. D’autre part, il est primordial de mettre en place des éléments pour soutenir sur le long terme le projet. Par exemple, la mise en place d’une convention (objectifs communs, des enjeux stratégiques) , a permis de formaliser le partenariat entre le 6 – 10 Pôle ESS et la ville. La mise à disposition de locaux et les subventions permettent également de faire durer le partenariat ville/tiers-lieu dans le temps. Cela donne vie à un quartier, dynamise un territoire et renforce la cohésion sociale tout en développant des initiatives économiques durables !

Propos recueillis par Maëlle Alibert