Série « Les Hyperlieux Mobiles, une solution face à la crise ? » : introduction

Pour entamer la série « Les Hyperlieux mobiles, une solution face à la crise », Territoires Audacieux vous propose une interview de Christine Chaubet, cheffe de projet à l’Institut pour la ville en mouvement – VEDECOM. Elle revient sur la définition des hyperlieux mobiles. Ces dispositifs (hôpitaux, banques, tribunaux, commerces…), mobiles et de plus en plus connectés, destinés aux collectivités locales et leurs habitants, existent depuis bien longtemps mais sont en plein essor avec la crise du Covid-19, notamment pour pallier la carence d’infrastructures et pour aller vers les populations les plus en difficulté. Depuis 2017, L’Institut pour la ville en mouvement / VEDECOM mène une réflexion autour de ce thème.

Quelle définition mettez-vous derrière le terme « Hyperlieux mobiles » ?

Hyperlieux mobiles1 est à la fois un concept et un dispositif concret au service des collectivités locales et de leurs habitants. En tant que dispositif, il est un outil de préfiguration pour tester de nouvelles formes d’activités mobiles multifonctionnelles et connectées, co-construites avec les acteurs locaux (publics, économiques, académiques, associatifs, habitants…) dans des contextes urbains variés.

C’est un dispositif connecté, il rapproche besoin et demande, service et usager, ici et ailleurs en même temps. Il est souple, il peut être programmé et expérimenté dans des délais courts et à peu de frais. Il est reconfigurable, on peut imaginer prodiguer des soins certains jours, livrer des denrées ou fournir des conseils administratifs à d’autres moments de la semaine ou du mois, faire évoluer l’offre au fil des saisons. Et enfin, il est léger et donc réversible, il peut être testé et évalué in itinere pour définir le service le plus approprié, au bon moment et dans les bonnes conditions.

Quelle innovation est portée par ces hyperlieux mobiles ?

L’innovation de ce dispositif repose sur la valeur ajoutée fonctionnelle et sociale apportée au lieu qu’il occupe créant un nouveau repère urbain intense et éphémère. Hyperlieux Mobiles est un quelque sorte une nouvelle génération 3.0 de l’activité mobile que nous connaissons depuis toujours, mais qui, aujourd’hui, est transformée par les nouvelles technologies (miniaturisation des objets, autonomisation énergétique des véhicules…) et la connectivité (wifi, applications, réseaux sociaux, géolocalisation…) Ces nouvelles modalités de fonctionnement permettent à Hyperlieux Mobiles d’interagir plus intensément avec les lieux et les usagers. En tant que concept2, il est une clé de lecture pour comprendre les transformations en cours et à venir dans nos pratiques mobiles bouleversées par notre hyper connectivité, par l’internet des objets, la généralisation de la couverture 4G (bientôt 5G) et, par le véhicule autonome et connecté.

Pourquoi est-il particulièrement intéressant de les évoquer pendant la période de crise que nous traversons ?

L’analyse des activités mobiles qui émergent actuellement met en lumière leur pertinence dans le contexte de crise aigüe que nous subissons mais aussi pour l’après. En effet, les activités mobiles existent depuis toujours, partout dans le monde, et n’ont cessé de se renouveler et de se moderniser3. Cela dit, depuis le début de cette crise COVID-19, nous assistons à un déploiement massif et inédit de solutions mobiles d’une extrême diversité. Certes, ces services mobiles répondent à des besoins nouveaux liés à un contexte sanitaire exceptionnel (hôpital de campagne, train médicalisé, drive de dépistage…), au confinement avec un service qui vient à soi (épicerie mobile, banque mobile, robot autonome de livraison…) et à la distanciation physique nécessaire (drive alimentaire, drive cinéma ou concert, drive messe ou confession…) Mais, la crise COVID-19 révèle aussi des inégalités sociales et territoriales pré-existantes, par exemple l’accès au réseau internet. Dans ces temps de confinement, en l’absence de réseau efficace, notre relation au monde est brisée.

Pouvez vous nous donner quelques exemples ?

En temps normal, ceux qui n’ont pas internet à domicile se déplacent à la bibliothèque, à l’école ou dans les parcs. Aujourd’hui la fermeture de ces lieux et le confinement prive la population d’un service précieux. C’est pourquoi des bibliobus ou des camions-relais viennent stationner dans des quartiers sous-équipés ou des territoires dépourvus de réseau pour diffuser le wifi et permettre aux habitants de se relier au monde, de s’éduquer, de travailler et de se divertir. Les solutions mobiles peuvent être des réponses rapides, flexibles et légères, elles ne nécessitent pas la construction d’infrastructures lourdes et elles sont réversibles. Quand la situation le permettra, elles pourront être redéployées dans d’autres endroits ou pérennisées si besoin.

Au-delà de l’extrême diversité, la capacité d’agir diligemment des collectivités locales grâce à leur connaissance fine du territoire prenant en compte la particularité des situations et la diversité des besoins de la population interpelle. Cela peut paraître paradoxal alors que la crise est mondialement partagée et que nous constatons par ailleurs un certain mimétisme des solutions de Chine aux Etats-Unis en passant par le Moyen-Orient et l’Europe (par exemple avec les centres de dépistage mobile ou les messes drive). Il semble que deux échelles agissent simultanément : celle de l’international qui permet d’anticiper et de regarder comment les autres pays réagissent, quelles solutions sont adoptées, et celle du local qui s’approprie, adapte et met en œuvre des services qui viennent parfois de très loin avec une relative agilité et rapidité.

Comment se positionne la France par rapport à ce concept ?

Aujourd’hui, en France et comme partout dans le monde, de nouvelles formes de services mobiles se réinventent et se déploient tous azimuts pour répondre à un besoin réel et urgent. Ces dispositifs profitent du constat commun d’un intérêt général qui permet d’emporter l’adhésion et de faciliter les négociations. Aujourd’hui, l’intérêt sanitaire et social érigé en priorité permet des reconfigurations que l’on n’aurait pas pu imaginer autrefois en France (par exemple en fermant une rue à la circulation pour permettre à un laboratoire de produire du gel sur la voie publique). Cependant, en France comme ailleurs, le déploiement massif de ces activités mobiles dans l’urgence montre déjà qu’un manque d’anticipation, de préparation, de régulation et d’expérience (des unités mobiles elles-mêmes, des personnes pratiquant le service et des autorités régulatrices) qui conduisent à une certaine inefficacité des dispositifs voire même à leur inutilité.

Dans quel cadre légal ces dispositifs s’insèrent-ils ?

En temps normal, les lois et les règlementations françaises rendent difficile la mise en œuvre de services ou activités mobiles. De la technologie de pointe du camion communicant avec un service médical spécialisé sillonnant les campagnes au foodtruck bricolé dans des milieux denses, de la laverie itinérante pour SDF en Australie au bus-yoga pour New-Yorkais branchés, les activités mobiles présentent non seulement une diversité d’initiateurs, mais également de techniques employées, de publics cibles et d’espaces desservis. Dans tous les cas, ils ont en commun de s’inscrire dans des marges, des entre-deux qui viennent perturber le fonctionnement en secteurs ou services qui est celui de l’institution publique. Il ne s’agit pas de faire fi de toute réglementation, d’ailleurs les dispositifs mobiles non encadrées présentent des risques et posent question. Quelles normes et règlementations doivent s’imposer à ces activités en mouvement ? Celles du fixe, du mobile ou la combinaison des deux ? Comment encadrer leur présence dans l’espace public déjà fortement contraint pour éviter l’encombrement, la surexploitation et la privatisation de celui-ci ? Comment permettre la cohabitation entre acteurs et réguler les formes de concurrence avec les activités fixes ? Comment et à quelle condition leur donner accès aux réseaux (d’eau, d’énergie, de communication) ? Lesquels autoriser, favoriser ou interdire ?

Les autorités publiques locales auraient tout à gagner à s’accorder avec les porteurs de projets pour définir ensemble les modalités d’implantation d’activités mobiles efficientes. En effet, il paraît primordial de développer une expertise dans la mise en place de ces dispositifs « à la marge » dans des moments plus sereins. D’autant plus que toute innovation porte en elle de nouvelles formes d’exclusion qu’il est nécessaire d’évaluer pour les anticiper et atténuer leurs effets. Il y a ainsi à espérer que les solutions déployées actuellement seront au rendez-vous au-delà de la situation de crise car elles peuvent être adaptées aux enjeux du moment, comme à ceux des lendemains incertains.

En collaboration avec L’Institut de la Ville en Mouvement, Territoires Audacieux vous propose d’aller plus loin dans cette réflexion autour des hyperlieux mobiles en lisant la série intitulée « Les Hyperlieux mobiles comme solution à la crise » :

Épisode 1 : Solutions mobiles sous régime viral : une ressource au-delà de l’urgence

Épisode 2 : Réseau, média ou grid : le véhicule comme nouveau hub social ou des plugs qui créent des hubs… en attendant les hugs

Propos recueillis par Baptiste Gapenne

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* 1 Projet international de recherche-action coordonné par l’IVM-VEDECOM depuis 2017 en partenariat avec Transdev, La Poste, Michelin, PSA, Valeo, 6-t, Université Gustave Eiffel, Telecom Paris Tech, Université Polytechnique de Barcelone et les chaires IVM Brésil, Amérique Latine et Chine. https://www.mobilehyperplaces.com/

*2 Ce concept s’inscrit dans la veine des travaux de François Ascher et de Michel Lussault sur l’hyper lieu, espace multifonctionnel et support d’interactions multiples, réelles et virtuelles

*3 Le projet a recensé plus de 600 cas d’activités mobiles dans le monde. Ces cas ont été répertoriés et ont permis de créer une typologie des activités mobiles.