"L'agriculture et moi" : Didier Margouti, paysan à Saint-Antoine-de-Breuilh
En marge de la crise agricole, le Grand Bergeracois Audacieux a rencontré des acteurs du territoire afin de recueillir leurs points de vue sur la situation et sur les remèdes existants. Premier épisode de la série « L’Agriculture et moi » avec Didier Margouti.
Didier Margouti est paysan à Saint-Antoine-de-Breuilh. Producteur de canard gras, de lait bio et de farine bio sur un système de polyculture-élevage, il nous partage sa vision de la crise agricole et des solutions éventuelles pour soigner les maux de ses pairs. Des engagements pour lesquels il milite au sein de la Confédération paysanne de Dordogne.
Quel est votre regard sur la situation actuelle de l’agriculture en France ?
C’est un vaste sujet. À la Confédération paysanne, nous partageons le mal-être et la problématique globale des agriculteurs. Notre vision est qu’il existe une multitude de modèles d’agriculture. Selon nous, l’amélioration du cadre global des agriculteurs passe principalement par une vision de l’alimentation et de ses enjeux mieux comprise par les citoyens. En tout cas, nous lions la crise agricole à une problématique de politiques publiques dans laquelle les gouvernements successifs se sont fourvoyés depuis une cinquantaine d’années, car ils ont confondu le projet alimentaire et la balance commerciale. Aujourd’hui, le modèle français favorise des productions industrialisées et délocalisées vouées à l’export et a oublié son projet d’alimentation locale de qualité.
Quelle solution importante pourrait permettre d’améliorer les choses ?
C’est un problème complexe et il est difficile une réponse simple. Notre vision est que l’agriculture doit être une mosaïque mélangeant les petits et les gros systèmes de production agricole. Or, à cause du libéralisme et du capitalisme galopant qui nous poussent vers l’industrialisation et la spécialisation, nous sommes en train de tuer des systèmes de petites tailles qui produisent à échelle locale. Les plus petits sont bien moins performants en termes d’économie d’échelle et ont donc beaucoup de mal à contester une politique de prix dictée par le marché. La compétitivité économique, qui est le credo du modèle actuel, peut pourtant être rejointe par la compétitivité environnementale, la compétitivité sociale. Pourtant, ces mots-là sont difficilement audibles, et par les politiques publiques et par les citoyens. Il faut vraiment comprendre que la consommation de produits locaux peut, certes, coûter plus cher, mais être extrêmement valorisante pour des systèmes économiques bien plus efficaces.
Il y a donc un véritable enjeu du rôle du citoyen dans la résolution de la crise agricole ?
Le citoyen constitue l’une des réponses. Il est essentiel de prendre conscience que la crise agricole cache une crise plus globale de la société et de la manière dont nous considérons la production de l’alimentation. L’agriculture ne doit pas être au service des échanges mondialisés entre des Airbus et du soja, mais bien servir un projet alimentaire respectueux de l’environnement de production et de l’humain qui produit.
Quel regard portez-vous sur les contestations – parfois virulentes – qui ont pris place en France ces derniers mois ?
Le monde agricole qui cède à la violence, aux dégâts voire à des méthodes fascisantes, ça ne nous convient pas. À la Confédération paysanne, nous privilégions la désobéissance civile en montrant notre mécontentement par des opérations fortes et symboliques, mais qui restent respectueuses de la démocratie et de la citoyenneté et des valeurs humaines.
Quelle est donc la manière la plus efficace de faire savoir votre ras-le-bol ?
Il est plus convenable d’enrayer des modèles symboliques de la malbouffe ou des supermarchés qui continuent à prôner le prix le plus bas au détriment de la qualité. Nous avons par exemple organisé une opération à Pau (NDLR : le 3 février au Carrefour de Lescar, en Pyrénées-Atlantiques), où nous étions nus dans un supermarché pour faire comprendre que l’agriculture se fait mettre à nu par ces pratiques. C’est des opérations choc qui font sourire, mais qui permettent de faire passer nos messages sans aller vers des comportements dangereux.
Propos recueillis par Valentin Nonorgue.