En Dordogne, Second Souffle brise le tabou de la difficulté chez les entrepreneurs
À Bergerac, l’association Second Souffle vient en aide gratuitement aux entrepreneurs éreintés pour leur permettre de se relancer. En plaçant l’écoute et l’aspect humain au cœur des galères administratives, la structure agit comme un bol d’air frais.
Ancien chef d’une entreprise portée sur le numérique, Vincent Greco est arrivé il y a 3 ans à Bergerac. Très vite, son souhait de s’engager bénévolement en Dordogne autour de l’entrepreneuriat l’a mené vers la structure Second Souffle. Découvrez son interview.
De quel constat l’association Second Souffle est-elle née ?
Second Souffle est une association nationale d’utilité publique créée en 2010 par Dimitri Pivot. Il était chef d’entreprise et, lorsqu’il a subi une liquidation judiciaire, il s’est rendu compte du peu d’accompagnement dont il disposait au cours de ces épreuves difficiles. En dehors des temps d’aide administratifs, il était compliqué de trouver une ressource d’appui pour l’entrepreneur en tant que personne.
Pourtant, derrière chaque grande difficulté d’entreprise se trouve un homme ou une femme qui peut être impacté sur les plans moraux, financiers et familiaux. En somme, il n’est pas normal que des gens investissent autant en argent, en temps et en énergie pour l’économie et qu’ils ne soient pas vraiment accompagnés au moment des difficultés.
Pourquoi la création de Second Souffle était-elle pertinente selon Dimitri Pivot ?
Une difficulté ne naviguant jamais seule, les meilleurs aidants sont des entrepreneurs qui auraient déjà eu des difficultés. On se rend compte que l’accompagnement est plus facilement accepté lorsqu’il est prodigué par un pair, qui connaît les phases par lesquelles on passe en tant qu’entrepreneur.
Écouter, analyser et définir un plan d’actions
Comment se met en place l’accompagnement auprès des entrepreneurs en détresse ?
Nous accompagnons l’être humain dès les premières difficultés et jusqu’au rebond. Le rebond peut être soit une sortie d’affaires avec son activité initiale, soit une sortie d’affaires sans son activité (via une liquidation par exemple) mais avec une nouvelle création d’entreprise ou vers du salariat. Les entretiens d’accompagnement sont gratuits car nous sommes bénévoles.
Tout démarre par une phase d’accueil. C’est le moment le plus important car il faut créer un lien de confiance. Ce sont souvent des personnes qui ont été seules face à des cas compliqués (la perte d’un gros client, un non-paiement important, etc.). Ces signaux faibles doivent nous alerter avant d’en arriver aux situations très brûlantes où les personnes n’ont plus de trésorerie ou sont à la limite du redressement judiciaire. Nous défrichons les difficultés éventuelles, nous les questionnons sur leur état de santé. Cela peut les amener à livrer leurs doutes. La deuxième phase, c’est l’analyse en profondeur du problème actuel. Nous enchaînons ensuite sur la proposition de différentes pistes de solutions et accompagnons la création d’un plan d’actions. C’est alors au bénéficiaire de se lancer dans l’accomplissement de ces actions.
Comment les personnes entrent-elles en relation avec Second Souffle ?
Les entrepreneurs en difficulté peuvent se présenter à nous par le bouche à oreille et peuvent entrer en contact par le Portail du Rebond. Nous intervenons dès les premières difficultés jusqu’à la liquidation. Certains clubs d’entreprise locaux font le relais. Les services de santé, notamment celui de la prévention de la santé au travail, dirigent les entrepreneurs en situation de stress ou de burnout vers nous.
Quels sont les moyens déployés par Second Souffle pour mener ses actions ?
L’association compte 47 antennes en France pour près de 1 000 bénéficiaires l’an dernier.
La structure nationale de Second Souffle emploie 3 personnes pour gérer les relations avec les institutionnels et certains ministères. Sinon, tout se fait via le bénévolat.
En Dordogne, l’antenne départementale s’agence principalement autour des pôles d’activité que sont Périgueux, Bergerac et Sarlat. Nous sommes cinq bénévoles depuis début 2023 et avons aidé une trentaine de bénéficiaires l’an dernier. Nous nous dispatchons les dossiers selon notre proximité géographique ou selon les expertises des bénévoles. Par exemple, nous sollicitons souvent l’aide d’un bénévole de Marmande qui est expert-comptable. Je travaille aussi avec une bénévole de Perpignan qui est avocate en droit social.
Chez les entrepreneurs, “la honte d’être considérés comme des losers peut dominer”
Quels résultats constatez-vous à la suite des accompagnements ?
Selon les derniers chiffres, deux tiers des bénéficiaires arrivent à rebondir. Sachant que c’est à eux que revient la tâche de nous dire qu’ils n’ont plus besoin de nous. En moyenne, entre 7 à 8 mois chez les hommes et entre 8 et 9 mois chez les femmes. Pourquoi un peu plus longtemps pour les femmes ? Car elles ont souvent plus de charge mentale que les hommes dans leur vie quotidienne.
La difficulté dans le secteur de l’entrepreneuriat peut être un sujet tabou…
En France, l’échec est souvent mal vécu et les entrepreneurs communiquent peu sur leurs difficultés. Soit ils sont dans le déni, soit ils craignent de nous appeler et de chercher de l’aide. Ils remettent la faute sur d’autres acteurs et espèrent que la barre va vite être redressée. Sauf que s’ils tardent, ils peuvent emmener leur famille avec eux vers le bas et veulent encore moins en parler car la honte d’être considérés comme des losers peut dominer. Cette solitude vient aussi du fait que très peu d’entrepreneurs rejoignent des clubs de chefs d’entreprise. Autre explication spécifique au Grand Bergeracois : le territoire est très rural et les distances compliquent vite la logistique pour se rejoindre et partager entre entrepreneurs.
Qu’est-ce qui peut constituer un obstacle dans votre activité ?
La première difficulté est que les entrepreneurs viennent vers nous assez tard dans le processus de leurs déboires. Le but d’aller informer les entrepreneurs est que cela puisse leur servir à eux-mêmes, mais aussi – et peut-être surtout – à certaines de leurs autres connaissances qui pourraient avoir montré des signaux faibles de difficultés.
Le grand besoin de Second Souffle : de la visibilité auprès des entrepreneurs
Avez-vous des besoins particuliers pour améliorer l’efficacité de vos actions ?
Les clubs d’entreprise du territoire ont tous été contactés. Or, seul celui du WorkInB nous a invités à témoigner sur notre activité et à expliquer les tenants et aboutissants de l’échec et de la manière de rebondir. Pourquoi un seul ? Car l’échec n’est pas sexy. Pourtant, il est primordial d’expliquer aux entrepreneurs qu’ils peuvent trouver un appui pour les aider dans leurs difficultés. Nous avons aussi besoin de nouveaux bénévoles pour accompagner les entrepreneurs car notre activité augmente et que le nombre de dossiers grimpe assez rapidement.
Avec qui serait-il intéressant de travailler pour créer une dynamique vertueuse ?
Nous avons besoin de renforcer nos liens avec les clubs d’entreprise, avec la chambre du commerce et de l’industrie ou avec les chambres des métiers. En somme, tous les acteurs qui touchent de près ou de loin au secteur de l’entreprise.
Propos recueillis le 10 avril 2024 par Valentin Nonorgue.