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Bergerac : après le séisme au Maroc, le collectif « La Caravane de l’Espoir 24 » prépare un convoi humanitaire le 9 octobre

Photo du collectif franco-marocain La Caravane de l'Espoir 24 à Bergerac.

Face au séisme de magnitude 7 qui a frappé le Maroc dans la nuit du vendredi 8 au samedi 9 septembre, les Bergeracois se mobilisent. Le collectif “La Caravane de l’Espoir 24” organise une collecte de fonds et de matériel de première nécessité. Départ le 9 octobre vers les villages de montagne, dont certains sont complètement détruits, et où le froid s’apprête à sévir.

Hafid El Kihel, Aziz Haizour et Issam Afquir, trois des membres du collectif franco-marocain, nous éclairent sur la situation au Maroc et sur la préparation de ce convoi. Entretien.

(Pour faciliter les dons, plusieurs points de collecte ont été établis à Bergerac : le restaurant “O’Coup de Food”, le restaurant “SnacKing”, la boucherie “Univers Orient” et la mosquée qui se situe Rive Gauche.)

Comment peut-on qualifier l’ampleur des dégâts au Maroc ?

Hafid El Kihel : Il y a donc eu un séisme de magnitude 7,2 sur l’échelle de Richter. Du jamais vu au Maroc. L’épicentre était dans une région à 60 km de Marrakech, mais les secousses ont été ressenties sur l’ensemble du Maroc, même en Espagne, en Mauritanie et en Italie. C’est simple : des villages ont été complètement détruits. La catastrophe a eu lieu vers minuit, bon nombre de personnes ont été surprises dans leur sommeil et, de manière générale, ils n’étaient pas préparés à un tel drame.

Aziz Haizour : Les pertes humaines et matérielles ont surtout frappé les villages des montagnes marocaines. Certains ont été complètement effacés de la carte et on décompte environ 3 000 morts. C’est dans ces villages enfoncés dans les montagnes, donc coupés du reste de la civilisation, que le besoin d’aide humanitaire est le plus urgent. Les routes sont bloquées par des éboulements. Il y a quelques jours, un groupe de jeunes venus de Bordeaux pour aider sont même décédés récemment.

Expliquez-moi comment s’est initiée la démarche que vous menez ?

H.E. : La Caravane de l’Espoir s’est faite au travers d’initiatives personnelles. Le soir du séisme, j’ai directement discuté avec Aziz. Il m’a connecté avec Issam, que j’ai eu au téléphone le soir-même. Nous étions trois ou quatre à vouloir agir individuellement, alors nous avons décidé de regrouper nos forces et nos actions. Certains d’entre nous voulaient se rendre de suite au Maroc. Mais après concertation, nous avons réalisé que l’urgence était certes présente aujourd’hui, mais qu’elle serait encore plus importante au mois d’octobre, période où le froid s’installe dans les montagnes. Nous avons alors établi la liste des produits dont nous aurions besoin. Nous avons parlé de vêtements et les gens nous ont donné de tout. Nous aurions dû préciser qu’il faut des polaires, des vestes chaudes, etc. Car beaucoup des dons reçus ne correspondent finalement pas aux besoins.

Quelles sont donc les denrées dont vous avez le plus besoin dans cette collecte ?

H.E. : Il nous faut en priorité des vêtements chauds d’hiver, des tentes, des couvertures, des duvets. S’ajoute aussi le matériel médical. Mais, en grande priorité, il nous faut des dons d’argent. Pourquoi ? Car le matériel qu’on ramènera par notre convoi, aussi qualitatif soit-il, ne passera peut-être pas la douane. De plus, le transport du matériel a un coût. Coût qui se déduit des fonds qui pourront être utiles sur place aux sinistrés. Avec l’argent, nous pouvons aller sur place et acheter les éléments qui sont réellement importants. Car il y a des matelas, des tentes, des vêtements sur place. En plus, les personnes locales savent exactement le type de produits qu’il faut cibler. Donc donner de l’argent facilite l’action humanitaire dans son ensemble.

Issam Afquir : Avec du recul, lorsque nous avons lancé la Caravane de l’Espoir, nous étions très optimistes. Nous pensions faire un convoi d’une dizaine de camions. Mais la réalité est qu’aujourd’hui, vu le matériel qu’on a reçu et l’argent dont on dispose, les charges du camion et du trajet (gasoil, péage…) seront plus élevées que la valeur totale des biens que nous amènerons au Maroc. Voilà pourquoi il vaut mieux faire un don en argent.

Comment organisez-vous les différentes étapes de l’opération La Caravane de l’Espoir 24 ?

H.E. : Une première collecte d’urgence a été faite directement après le séisme. Deux personnes de notre collectif se sont rendus sur place pour amener les denrées de première nécessité : couvertures, tentes, médicaments, groupes électrogènes. Mais aussi pour nous servir d’éclaireurs quant à la situation et aux besoins précis à combler. Nous avons aussi lancé deux cagnottes en ligne. Pour faciliter les dons, nous avons établi plusieurs points de collecte : mon restaurant “O’Coup de Food”, le restaurant d’Issam “SnacKing”, la boucherie “Univers Orient” et la mosquée qui se situe Rive Gauche. Nous stockons donc les denrées dans ces lieux. La Communauté d’Agglomération Bergeracoise (CAB) nous a aussi prêté un hangar à l’ESCAT, où nous réunissons et trions tous ces produits. Pour le voyage, les camions affrétés doivent être mis à disposition par des personnes qui feront partie du convoi. Pour passer la douane dans un véhicule, il faut que le propriétaire du véhicule soit présent.

A.H. : Maintenant, nous sommes dépendants des informations et réglementations venant du Maroc. Aujourd’hui, les données évoluent au quotidien. Il y a eu tellement de denrées qui ont afflué vers le Maroc que les autorités bloquent certains convois à la douane. Nous avons donc besoin d’informations venant du Maroc pour nous adapter.

I.A. : Chaque jour, un nouvel élément arrive. Un jour, le gouvernement annonce que les médicaments en provenance de l’étranger ne sont plus acceptés. Le lendemain, on apprend que les vêtements usagés ne sont plus admis… Nous devons constamment nous adapter.

Quel regard portez-vous sur la mobilisation des Bergeracois et Bergeracoises pour les victimes de ce désastre naturel ? Comment la compassion se manifeste-t-elle ?

I.A. : J’ai eu plusieurs personnes qui étaient en pleurs au téléphone. Les gens sont concernés par le malheur des Marocains.

A.H. : Oui. Objectivement, les Bergeracois et les gens des alentours répondent présents et sont mobilisés. On sait qu’il y a une importante communauté maghrébine dans le coin. Hier [NDLR : mardi 20 septembre] encore, j’ai reçu du matériel médical de qualité venant d’un centre de santé de Mouleydier. Dans cet élan de générosité, on déplore quand même des comportements de mauvaise foi. Certaines personnes se débarrassent de vêtements qu’ils ne mettraient plus, en mauvais état. Nous avons même retrouvé des médicaments périmés dont les cachets datent de 2017.

I.A. : Il faut aussi dire que certains ont donné sans savoir que cela ne serait pas convenable. Un autre sujet concerne les initiatives individuelles et non informées. En partant d’une bonne volonté d’aider, beaucoup de gens ne passent pas par les organismes structurés et vont directement dans les villages ou donnent ce qui leur semble logique. Or, on ne peut pas donner les mêmes médicaments à un diabétique ou à un malade cardiaque.

Alors que faire des denrées non utilisables ou non acheminables au Maroc ?

H.E. : D’abord, il y a une grande phase de tri. Puis nous allons devoir laver un grand nombre de vêtements. Pour résoudre une partie du dilemme, nous avons pensé organiser une petite braderie. Nous y vendrions les vêtements en état, mais non adaptés aux besoins des sinistrés, pour récupérer davantage de fonds pécuniaires. Nous sommes aussi en contact avec le Secours populaire et le Secours catholique pour fournir les denrées qui sont valables aux personnes qui sont dans le besoin ici.

Pour faire connaître votre opération, comment procédez-vous ?

I.A. : Nous sommes intervenus à la radio Bergerac 95. Nous avons aussi créé un compte Snapchat, qui cible le public jeune. De plus, un imprimeur nous a fait des affiches informatives avec les besoins ciblés, les personnes à contacter pour effectuer des dons. Ce vendredi [22 septembre], le cinéma Grand Ecran de Bergerac diffuse un film marocain. Ils nous ont donc contactés pour intervenir et faire un appel aux dons en marge de la diffusion.

Quels sont les éléments dont vous avez le plus besoin pour que l’opération soit la plus efficace possible ?

H.E. : Trois mouvements distincts se sont créés en même temps sur le Bergeracois. Il y a du positif, mais aussi du négatif là-dedans. Le fait de ne pas unir nos forces autour d’un seul mouvement peut créer de la confusion. Certaines personnes nous ont dit qu’elles nous avaient déjà fait des dons. Mais elles avaient en fait donné à un autre collectif. Certes, tout sera déversé dans la même rivière, mais nous aurions préféré construire un seul collectif hyper solide à Bergerac.

Nous sommes vraiment ouverts à tout. Nous sommes preneurs d’une réunion avec d’autres initiatives locales. Le but est de faire honneur à Bergerac et de montrer que c’est une ville qui se mobilise.

I.A. : Nous avons bâti ce mouvement dans un élan de solidarité immédiate et dans l’urgence. Aujourd’hui, nous avons plus de recul et il est sûrement temps de construire une opération plus structurée. Mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Nous pourrions faire un repas pour récolter des fonds. Ou, comme l’urgence va s’étendre dans le temps, nous pouvons imaginer une sorte de Téléthon. Mais nous voulons que ce type d’opération ait un minimum de crédibilité. Alors peut-être organiser quelque chose avec l’appui de la mairie.

Comment les collectivités et organismes locaux s’impliquent-ils dans cet élan de solidarité ?

H.E. : Comme évoqué plus tôt, la CAB nous a proposé un espace de stockage à l’ESCAT. La mairie de Bergerac nous a également offert un lieu de dépôt, nous les en remercions aussi. Par souci de logistique, nous avons privilégié celui de la CAB. Nous avons également l’association de jumelage entre Bergerac et la ville marocaine de Kénitra qui nous soutient. Plusieurs lycées nous ont appelés et sont prêts à effectuer des collectes de dons et de matériel. Ce qui est sûr, c’est que tout le monde se sent concerné.

Le voyage du 9 octobre marquera-t-il la fin de l’opération ? Ou prévoyez-vous d’autres convois étalés dans le temps ?

I.A. : Aujourd’hui, le Maroc a reçu une grande quantité de denrées. Or, l’urgence n’est pas maximale tout de suite mais le sera aux mois de novembre et décembre. L’hiver et le froid seront rudes dans les montagnes. Nous sommes même en train de réfléchir à décaler notre convoi ou, en tout cas, à organiser d’autres voyages plus loin en cette fin d’année.
Le gouvernement a débloqué des fonds pour commencer à reconstruire les infrastructures touchées, voire rasées. Mais les médias marocains estiment que la situation sera critique pendant au moins un an.

Propos recueillis à Bergerac, le 21 septembre 2023, par Valentin Nonorgue.