Barrage de Mauzac : les secrets du chantier qui abaisse la Dordogne de plus de 3 mètres
Gérard Garigues est responsable du groupement d’usines EDF de Tuilières (Dordogne). Depuis juin 2024, l’entreprise mène d’importants travaux d’entretien sur le barrage de Mauzac, pour la première fois depuis 1986. Conséquence de cet acte “indispensable” : le niveau de la Dordogne a été abaissé de plus de 3 mètres.
Fort d’une expérience de cinq ans à la tête du groupement de Tuilières, Gérard Garigues est hydraulicien de formation. Il nous explique les objectifs du chantier sur le barrage de Mauzac. Il aborde aussi les aménagements nécessaires et l’importance du dialogue avec les acteurs locaux. Anticiper et expliquer, les clés de la sérénité.
Quel est l’objectif des travaux ?
Ces travaux de maintenance sont effectués par EDF pour entretenir ses outils de production. Voilà plus de 40 ans que des travaux aussi importants n’avaient pas eu lieu au barrage de Mauzac. Le chantier est porté sur les vannes-toits (pour laisser passer ou retenir l’eau en fonction des besoins).
En quoi le barrage de Mauzac est-il important dans le secteur ?
Ce barrage, présent depuis 1849, alimente l’usine de production électrique de Mauzac. Sans le barrage, ce sont 15 000 personnes qui manqueraient de courant. Par ailleurs, le site de Mauzac est joint à celui de Bergerac et de Tuilières qui amènent de l’énergie pour près de 70 000 consommateurs. Comme nous avons baissé de 3,27 m le niveau local de la Dordogne, le canal de Lalinde n’a plus été alimenté pendant les travaux. Pourtant, ce canal est ultra-important pour les agriculteurs, pour les grandes entreprises Polyrey (Baneuil) et Ahlstrom Munksjo (Lalinde) ou encore pour le centre pénitentiaire de Mauzac.
Pourquoi est-il nécessaire de faire des travaux ?
L’idée est de renforcer la sécurité des 5 vannes-toits du barrage de Mauzac. Nous les remettons à neuf afin que leur fonction de retenue d’eau soit efficace. Ainsi, lors des crues ou des afflux d’eau, nous les abaissons. Elles empêchent que la rivière inonde les quais de Mauzac. Nous profitons de cette période de chantier pour inspecter la partie génie civil de l’ouvrage, qui est immergée en temps normal.
La Dordogne, un centre de vie à préserver
Qui est mobilisé pour mener ces travaux ?
Le service d’ingénierie HydroStadium, une filiale du groupe EDF, assure la maîtrise d’œuvre. Nous travaillons aussi étroitement avec la Communauté de communes des Bastides Dordogne Périgord, chargée de l’exploitation du canal de Lalinde. D’autres partenaires nous ont permis de sécuriser la biodiversité, les poissons de la rivière et la qualité de l’eau. Pendant l’abaissement, ils vérifient que la qualité de l’eau dans la rivière ne soit pas dégradée. Le marché des travaux est aux mains d’Eiffage Métal qui sollicite de nombreux sous-traitants.
Ce chantier, qui a nécessité une préparation de deux années, a débuté au mois de juin 2024 et court jusqu’à la fin octobre. Le budget, de l’ordre d’un million d’euros, permet de financer les travaux, les échafaudages, le système de réalimentation du canal de Lalinde, les actions de pêche de sauvegarde pour les poissons. Il y a aussi une grande partie dédiée à la qualité et l’état de l’eau.
Quel est le rôle de la rivière Dordogne dans le territoire ?
Elle représente la seule rivière de France qui est encore classée au patrimoine de l’UNESCO. C’est un centre de vie pour l’humain ainsi que pour la faune et la flore, une source d’énergie pour nos activités. Tout cela doit donc être préservé avec précaution.
En quoi est-elle essentielle au fonctionnement des activités locales ? Qui est concerné ?
Avec l’arrivée de ces travaux, on prend vraiment conscience de son importance pour produire de l’énergie. Que ce soit à Mauzac ou jusqu’à Trémolat, elle apporte aussi une attraction touristique (clubs de canoë, de navigation, etc.).
Quel est l’impact d’EDF et du barrage dans la vie quotidienne des Périgourdins ?
Depuis 1849, il fait partie intégrante de l’aspect paysager du territoire. Notre rôle est donc de pérenniser l’état du barrage de Mauzac. Et pour préserver cela, il est essentiel d’effectuer l’entretien du barrage.
Comment jugez-vous le timing dont vous disposez pour les travaux ?
En six mois, nous arrivons à tenir le planning prévisionnel. Nous sommes une quinzaine de personnes à travailler sur l’entretien. On retrouve des mécaniciens, des échafaudeurs, des ouvriers pour le métal et des charpentiers maritimes pour la partie en bois des vannes-toits. Nous sommes aussi accompagnés de génies civilistes pour assurer le suivi des travaux.
Le barrage de Mauzac, un incontournable dont les derniers travaux datent de 1986
Qu’est-ce qui change en conséquence des travaux ?
Lorsqu’on abaisse le niveau de l’eau de 3,27 m, on assèche certains plans d’eau de la rivière. Il faut prendre des précautions pour éviter que des poissons se retrouvent bloqués. De plus, l’abaissement crée des zones de sable mouvant où les gens pourraient être en danger et s’enliser. La préfecture a pris des arrêtés pour interdire l’accès au lit de la rivière. Nous avons mis en place des panneaux d’information sur une cinquantaine de points stratégiques. Nous avons aussi demandé à ce qu’il n’y ait pas de navigation dans la retenue du barrage de Mauzac pour éviter les accidents.
Comment réagissent les citoyens ?
Je pense que les locaux ont bien reçu nos campagnes de sensibilisation lancées depuis le début de l’année auprès des citoyens, des élus des villages voisins, des professionnels qui utilisent l’eau du canal de Lalinde. Il y a sûrement des personnes insatisfaites vis-à-vis de l’impossibilité de mener certaines activités touristiques. C’est pour cela que nous avons planifié l’abaissement à la fin août. Pour leur laisser un maximum de marge pour leurs activités estivales. Attention, on ne peut pas trop retarder l’échéance car on risquerait de tomber dans la période de crues, en novembre.
De quelle manière avez-vous géré le dialogue avec les acteurs locaux, peut-être soucieux de l’impact de ces travaux ?
L’important était de montrer que nous faisons tout pour gêner le moins possible, que ce soit pour les activités touristiques ou pour les exploitations agricoles. Nous avons par exemple rencontré les irrigants locaux pour les rassurer à propos de la réalimentation du canal de Lalinde.
Comment leur expliquez-vous la nécessité des travaux ?
Il faut bien intégrer que ce barrage doit fonctionner en toute sécurité pour les personnes et pour l’environnement. D’autant plus que ces travaux n’avaient pas été faits depuis 1986. C’est donc un incontournable.
Quel a été le principal point de vigilance à négocier en amont du chantier ?
La seule chose qui devait être réglée était les nombreuses fuites présentes dans le canal de Lalinde. Pourquoi ? Car en 1986, le canal n’avait pas été abaissé en marge des travaux. Cette fois-ci, nous l’avons abaissé pour que la communauté de communes fasse les travaux d’entretien puis puisse remplir le canal à nouveau. Or, avec toutes les fuites actuelles, nous avons du mal à passer au-delà de ces énormes brèches. Nous avons dû mettre le double de pompes prévues afin de réalimenter correctement le canal de Lalinde.
“L’anticipation”, clé du bon déroulement des travaux du barrage de Mauzac
Quel est le rôle de la communauté de communes sur cette période de travaux ?
Si nous travaillons en étroite collaboration avec la communauté de communes pour réalimenter le canal de Lalinde. EDF est indépendant sur le sujet de ces travaux. Nous n’intervenons pas sur leurs parcelles mais il y a besoin d’intelligence collective afin de ne pas impacter le canal et que ses utilisateurs puissent disposer d’un volume d’eau minimum.
Quelles sont les embûches auxquelles vous êtes exposés pendant ces travaux ?
Honnêtement, notre seule contrainte actuelle est d’effectuer les travaux pour les achever en temps et en heure. Nous devons être très vigilants sur le timing pour n’avoir qu’une seule phase d’abaissement et ainsi éviter de refaire des travaux l’an prochain. Nous prions aussi pour que l’hydrologie nous soit favorable.
Qui peut vous aider à les surmonter ?
Notre propre service de génie civil est très actif sur le chantier. Des collaborateurs analysent les données et nous permettent de les solliciter en cas de moindre doute. Parmi eux, nous avons la préfecture, la DDT, la DREAL et la Police de l’eau.
Quel conseil donneriez-vous à des structures ou collectivités qui ont du mal à se lancer dans ces énormes travaux ?
L’anticipation, c’est la clé. Avec les services de l’Etat, avec les élus locaux, l’idée est de prendre du temps en amont pour partager et apprendre à bien communiquer entre nous. En fait, si on expose bien les problématiques et la nécessité de faire ces travaux, cela suffit pour mener le chantier dans la sérénité.
Propos recueillis en septembre 2024 par Valentin Nonorgue.