Agriculteurs et France rurale : les revendications de Thierry Boidé, président de l’intercommunalité Montaigne Montravel et Gurson
À l’origine d’une pétition en ligne pour soutenir les agriculteurs en janvier dernier, Thierry Boidé, président de la communauté de communes Montaigne Montravel et Gurson, déplore le mépris des élites envers le monde rural.
Amas de normes et revenus insuffisants pour les agriculteurs, manque de liberté pour les élus ruraux : le maire de Saint-Géraud-de-Corps, commune de 250 habitants à l’extrémité sud-ouest de la Dordogne, exprime son ras-le-bol sans langue de bois.
Qu’est-ce qui vous a poussé à lancer une pétition pour défendre la ruralité, le 27 janvier dernier ?
Je voulais surtout dire qu’il ne fallait pas laisser les agriculteurs seuls. Aujourd’hui, ils représentent moins de 400 000 exploitations agricoles alors qu’il y en avait 2 millions en 1960. La ruralité, c’est 22 millions d’habitants pour 90% du territoire français. Si les agriculteurs disparaissent, il n’y a plus de monde rural tel qu’on le connaît. Or, l’histoire de la France est rurale. Toutes les normes et les taxes qui frappent la paysannerie m’ont poussé à réagir.
Dans votre lettre ouverte au Président de la République, vous écrivez “Nous ne sommes pas révolutionnaires, mais nous sommes révoltés”. Qui est ce “nous” ?
Le “nous” définit les gens du monde rural, dont les agriculteurs. Nous sommes révoltés car nous sommes souvent oubliés dans un pays qui marche sur la tête. Pourtant, les jeunes agriculteurs avaient commencé depuis un moment à retourner les panneaux d’entrée d’agglomération pour alerter. C’est dommage de devoir en arriver à faire des barrages et des manifestations pour que des négociations débutent.
“La passion est là. Les agriculteurs ne sont pas usés car ils n’aiment plus leur travail. Mais ils ont besoin de revenus décents.”
Vous êtes maire de Saint-Géraud-de-Corps, commune de 250 habitants, où exercent 3 agriculteurs qui ont tous passé les 50 ans. Quel regard portez-vous sur l’attractivité du métier d’agriculteur en France ?
La passion est là. Les agriculteurs ne sont pas usés car ils n’aiment plus leur travail. Mais ils ont besoin de revenus décents et il faut arrêter de les emmerder avec tous les contrôles. Il y a quelques années, lors d’un contrôle de traçabilité, mon premier adjoint à la mairie qui est aussi producteur laitier, a été réprimandé pour un défaut de boucle d’identification sur l’une de ses vaches. Or, une vache peut facilement perdre sa boucle, par exemple en s’accrochant à un barbelé. En voyant la lettre qu’il a reçue, je pense que ça n’aurait pas été pire s’il avait commis un horrible crime. On marche sur la tête.
MOINS DE NORMES ET DE CONTRÔLES, PLUS DE RETENUES D’EAU : LES PRÉCONISATIONS DE THIERRY BOIDÉ
Que préconisez-vous pour améliorer le sort des agriculteurs ? Un arrêt complet des normes et des contrôles ?
Soit on arrête les normes, soit on harmonise les normes et les prix sur toute l’Europe. En Italie et aux Pays-Bas, les exploitations n’ont pas des restrictions aussi importantes qu’en France. Pourtant, nous importons leurs produits et nous les faisons consommer à nos citoyens. Nous faisons bouffer des produits immondes aux consommateurs. Et ils ne le voient pas. Les poulets ukrainiens sont incorporés dans les plats cuisinés mais pas exposés sur les étals.
En Vendée, il y a quelques jours, les agriculteurs ont arrêté un semi-remorque rempli d’œufs qui arrivait du Portugal vers une entreprise de brioche vendéenne. En magasin, on ne voit pas que les brioches sont faites avec des œufs produits à bas coût par des poules pondeuses élevées dans de mauvaises conditions au Portugal.
À l’heure des épisodes de sécheresse et de l’épuisement progressif des ressources naturelles, vous défendez les retenues d’eau. Quel regard portez-vous sur leur impact environnemental ?
Sur ce sujet, il y a l’extrémisme de l’écologie. Lors d’une réunion de gestion territoriale de l’eau, en novembre 2023, l’Office français de la biodiversité nous a présenté des photos de petits cours d’eau complètement asséchés. Or, le vrai problème actuel est le manque d’eau pour arroser les cultures en juillet ou en août. Aujourd’hui, on préfère perdre des cultures pour soi-disant préserver des petits cours d’eau qui auraient quand même été à sec en septembre et en octobre. Capter l’eau de pluie pour permettre aux agriculteurs d’arroser leurs cultures en été, c’est du bon sens et c’est tout à fait naturel. La question qu’il faut se poser est simple : est-ce qu’on veut sauver n’importe quel crapaud, grenouille et libellule ou est-ce qu’on veut continuer à donner à manger aux gens ?
AMAS DE NORMES ET MÉPRIS DE L’ETAT : LE RAS-LE-BOL DES MAIRES RURAUX
Comment gérez-vous le climat actuel en tant qu’élu de la ruralité ?
Nous sommes aussi révoltés. Notamment par rapport à la sur-administration qui devient épouvantable. En matière d’urbanisme par exemple, il faut des normes, des études et des diagnostics pour tout. On dépense une énergie et un pognon fou dans des démarches qui ne servent à rien à cause de normes qui nous sont imposées et que n’importe quel administré est incapable de comprendre. Et à la fin, c’est toujours le maire qui prend, comme si cela relevait de sa responsabilité. Si demain, nous, les maires de France, avions le courage de tous monter à Paris et de déposer nos écharpes pour dire qu’on n’en peut plus, cela ferait peut-être réagir nos élites qui sont totalement déconnectées du monde rural.
Vous estimez que la ruralité n’est pas assez représentée dans les strates de décision nationales ?
Le territoire rural est même méprisé. Pourtant, c’est une vraie chance pour la France. Lors de la visite d’Emmanuel Macron à l’usine du timbre de Boulazac, le 7 novembre 2023, je lui ai rappelé que sans la crise des Gilets Jaunes, il nous aurait ignorés sur toute la durée de son premier mandat. Or, il s’est souvenu de nous en nous demandant d’ouvrir un cahier de doléances et de faire des réunions citoyennes. En bref, d’éteindre les incendies.
En tant que vice-président de l’Union des maires de Dordogne, je ne connais pas un maire qui se lève le matin avec la volonté de faire n’importe quoi dans sa commune. Pour une indemnité de 600€ par mois, c’est quasiment du bénévolat. On ne coûte presque rien à l’État et on s’efforce à faire voter des bilans municipaux équilibrés tandis que le pays essuie une dette de plus de 3 000 milliards d’euros. Alors il faut qu’on nous donne les moyens d’agir avec liberté et autonomie.
EN GRAND BERGERACOIS, SE RASSEMBLER POUR DÉFENDRE LA RURALITÉ
Dans votre lettre ouverte, vous entendez réunir la France rurale. En quoi est-il important de s’allier entre territoires ruraux ?
J’ai toujours prôné l’union. En revanche, s’unir ne veut pas dire avoir une pensée unique. C’est aussi garder ses idées et ses sensibilités politiques. Chaque mois, nous nous réunissons avec les trois autres présidents d’intercommunalités du Grand Bergeracois (NDLR : Thierry Boidé est le président de la communauté de communes Montaigne Montravel et Gurson). Nous avons harmonisé la taxe de séjour sur nos territoires, nous essayons de travailler sur le prix de l’eau, sur la gestion des cours d’eau, sur le tourisme, sur l’urbanisme. De nombreux sujets transversaux sont des motifs pour nous rassembler. Le maître mot, c’est la défense de la ruralité.
“Avec la loi Zéro Artificialisation Nette, on ne veut plus qu’il y ait de terrains constructibles dans nos campagnes.”
Sur quels points-clés y a-t-il besoin d’avancer vite pour le bien du territoire ?
Sur l’urbanisation. En France, quand tout se passe bien, une entreprise peut obtenir son permis de construire en cinq ans. Entre la préservation des sites de fouille archéologique et d’autres raisons, c’est un véritable parcours du combattant. Avec la loi Zéro Artificialisation Nette, on ne veut plus qu’il y ait de terrains constructibles dans nos campagnes. Mais les jeunes couples de 25 ans ne peuvent plus se payer les maisons déjà construites. À la sortie de la crise Covid, les prix ont flambé lorsque tout le monde a découvert que vivre à la campagne était vertueux et qu’on y respirait bien.
Pourtant, le territoire du Bergeracois dispose d’un Schéma de cohérence territoriale (SCoT) signé par toutes les intercommunalités du Grand Bergeracois, à l’exception de la vôtre. Quelle est votre position à ce sujet ?
Il n’a de cohérent que le nom. On compte 1h30 de route entre Biron (NDLR : commune au sud-est de la Dordogne, intégrée à la communauté de communes des Bastides Dordogne-Périgord) et Minzac, qui est située sur ma communauté de communes. Où est la cohérence de territoire entre ces deux communes ? Qu’apporte le Schéma de cohérence territoriale administrés des territoires qui en font partie ? À part une structure supplémentaire, avec les frais et la lourdeur administrative qui l’accompagnent… Lors de ma première élection en 1995 et jusqu’en 2004, il n’y avait aucune règle d’urbanisme. Pour accorder un permis de construire, le conseil municipal s’assurait simplement qu’une future construction n’allait gêner ni le voisinage ni les exploitations agricoles. Nous sommes ensuite passés aux cartes communales, puis au Plan local d’urbanisme intercommunal, puis au SCoT. Il faut maintenant y ajouter le SRADDET à l’échelle régionale. Voilà exactement ce qui rend la situation insupportable pour les élus intercommunaux.
Selon vous, quelle est la bonne échelle pour organiser un territoire ?
Si elle est constituée à taille raisonnable, l’intercommunalité est la bonne échelle. Ensuite, la délégation du Grand Bergeracois permet aux élus d’établir des conventions sur des sujets plus larges. Nous avons tous cosigné un courrier pour expliquer à la Région Nouvelle-Aquitaine l’intérêt pour nos territoires du projet de centre événementiel du Bergeracois, même s’il n’est pas directement implanté sur notre propre intercommunalité.
Avec la Chambre de commerce et les quatre intercommunalités, nous avons aussi mis en place un guichet unique aux entreprises à Bergerac pour faciliter leurs démarches.
Pour finir, comment définissez-vous le Grand Bergeracois ?
Un territoire riche par sa diversité. Il y a d’abord un patrimoine touristique important, avec cette magnifique rivière Dordogne qui le traverse et la Véloroute. Le Grand Bergeracois, c’est aussi une belle viticulture et des pépites parmi les entreprises locales. Nous avons un problème de déserts médicaux sur lequel nous essayons de trouver des solutions. Je considère que nous avons des atouts. Il faut maintenant qu’on nous laisse les mettre en œuvre.
Propos recueillis par Valentin Nonorgue, le 20 février 2024.