Communauté de communes de Montesquieu (33) : un biolab et un fablab pour favoriser les transitions

Cette semaine la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative menée par la Communauté de communes de Montesquieu (33). Située dans une zone viticole, la collectivité a décidé de créer un biolab réunissant agriculteurs et start-up liées au bio afin de leur permettre de collaborer. Les viticulteurs se retrouvent ainsi à la pointe des avancées (bio)technologiques et les entreprises bénéficient de terrains d’expérimentations. Ce biolab vient compléter un dispositif, composé notamment d’un fablab, qui permet à ce territoire d’être dans une véritable démarche d’innovation.

Pour en parler, nous avons interviewé Bernard Fath, 1er Vice-Président de la Communauté de communes de Montesquieu.

Pour commencer retrouvez notre reportage vidéo d’introduction.

Sommaire:

– Introduction –

– Mise en place du projet –

Comment cette idée vous est-elle venue ?

Nous avons eu l’idée suite à un constat. Nous observons aujourd’hui qu’il y a beaucoup d’évolutions technologiques dans notre société. De plus, il y a également des évolutions climatiques importantes. Tout cela bouleverse notre société. Nous nous sommes demandés comment notre territoire pouvait être un acteur face à ces révolutions. Pour nous, il était clair qu’il fallait intervenir dans l’innovation. En réfléchissant, nous avons voulu être partie prenante dans les laboratoires qui préparent les métiers futurs et l’économie de demain. C’est assez original mais opportun pour la résilience de notre territoire face aux événements qui viennent le traverser.

Comment votre engagement a-t-il débuté ?

La communauté de Communes de Montesquieu est un territoire engagé dans le soutien à l’innovation économique depuis 30 ans. Nous avons créé dans les années 90, une Technople. C’était un projet d’une belle envergure sur 60Ha, destiné à l’accueil et l’accompagnement d’entreprises innovantes dans les domaines de la biotechnologie, des écotechnologies, de la vitiviniculture, du numérique et de l’électronique. Nous avons eu des résultats concrets puisque, aujourd’hui, nous comptons sur ce site une centaine d’entreprises pour 1500 salariés.

Votre idée (de fablab et de biolab) n’est donc que la continuité de cette démarche ?

Oui. Depuis 2017, nous avons lancé une nouvelle phase dans notre stratégie d’innovation. Elle est se matérialise par le projet Eurekapole. Notre objectif est de structurer cette initiative autour des nouvelles technologies de conception, de production, d’information et de communication. Très concrètement, Eurekapole se matérialise avec un fablab dédié au numérique et plus particulièrement aux Sciences de l’ingénieur. Mais aussi avec un biolab dédié aux Sciences de la vie et plus particulièrement au bio-contrôle.

Quel est l’objectif du biolab ?

Nous sommes situés sur un pays de vignes au cœur de l’appellation Pessac-Léognan. Nous voulions donc nous brancher sur toutes les techniques liées aux bio-technologies. Notamment ce qui est lié au bio-contrôle. Nous voulons participer à l’émanation de nouvelles solutions contre le « tout chimique ». Cette particularité est liée à notre terroir et nous avions de nombreux acteurs susceptibles d’être intéressés sur notre territoire.

Le biolab avait pour objectif de répondre aux acteurs viticoles de votre territoire ?

Je crois que la meilleure idée, ce n’est pas d’être dans l’agribashing comme on peut le voir un peu partout. Ce n’est pas la solution. Il faut regrouper tout le monde pour trouver des solutions ensemble pour faire en sorte que notre viticulture puisse continuer à produire une agriculture d’exception mais dans des conditions éminemment respectueuses de notre environnement. Beaucoup de choses ont été faites. Le vin produit n’a plus rien à voir avec ce qui a été fait 10 ans en arrière. Beaucoup de progrès ont été fait mais paradoxalement il y a une crispation autour des problématiques environnementales. Au contraire, nous devons tous travailler à l’émergence de solutions pérennes et beaucoup plus propres pour notre environnement. Nous vivons tous sur ce territoire.

L’idée du Biolab, c’était de favoriser les expérimentations ?

Notre idée était de travailler autour du bio-contrôle. Nous sommes en partenariat avec la région Nouvelle-Aquitaine. Nous souhaitons des solutions pratiques. Pour y arriver, nous sommes obligés de faire des essais dans les vignes. Pour cela, il faut des contacts. Les élus locaux ont la possibilité d’aller facilement voir des producteurs et d’expliquer un dispositif. Nous pouvons présenter ceux qui expérimentent ! Nous faisons en sorte que les tests soient faits dans les vignes afin de trouver des solutions rapidement. Nous voulons avoir des résultats très liés aux pratiques le plus vite possible.

C’est le rôle d’une collectivité locale que de rassembler les acteurs de son territoire ?

Oui. L’action publique par définition, c’est rassembler tout le monde autour de la « Res publica », c’est-à-dire de la chose publique. Cela peut prendre la forme d’une collectivité territoriale mais aussi d’une communauté de communes. C’est un peu plus récent dans notre histoire. L’idée, c’est de rassembler les bonnes volontés avec pour objectif de faire immerger des idées propres à l’ensemble des habitants du territoire.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place du biolab ?

Le biolab a été fait en complément de la dynamique entamée par notre territoire. Nous avons mené une réflexion sur une seconde phase pour notre technopole en 2015. Il s’agissait de redynamiser le site. Nous avons dégagé deux axes. Le premier concernait une extension immobilière au nord de la technopole. Le second était lié au développement de services pour les entreprises cibles de la technopole. Nous avons mené un travail pour mieux comprendre les besoins de ces acteurs. Nous sommes notamment allés voir les créateurs d’entreprises dans le domaine des bio-technologies afin de mieux comprendre leurs difficultés. Mais aussi le milieu universitaire. Il est apparu que la première complication quand vous créez une start-up dans le domaine des sciences, c’est la barrière financière. Notamment pour l’acquisition de matériel et la création du laboratoire. Il faut souvent au moins 100 000 euros. Notre idée a été de développer une plateforme avec un laboratoire mutualisé où les porteurs de projets peuvent démarrer leur entreprise sereinement. Nous voulions mettre à leur disposition toute la partie liée au matériel générique et qu’ils puissent se concentrer de leur côté sur du matériel spécifique. Nous avons mené ensuite une étude de faisabilité en 2018. La Région nous a poussé à nous engager. Et l’étude a pu nous permettre de définir l’équipement à acheter. Nous sommes désormais sur la dernière partie du lancement du biolab puisque nous sommes en train de constituer la communauté collaborative qui gérera le lieu. Elle sera un centre de ressource en terme de compétences pour ceux qui viendront profiter du biolab.

Quelle a été la démarche autour du Fab lab ?

La transition numérique est travaillée au niveau de notre Fab Lab. Ce qui nous a semblé opportun, c’est de se positionner comme un lieu ressource afin de permettre à tout un chacun d’être en phase avec le numérique. Cela concerne les particuliers mais aussi les entreprises. Celles qui sont de taille modeste peuvent avoir des difficultés. Aujourd’hui, notre Eurekafab est constitué d’un espace de 250m2. Il contient des équipements technologiques professionnels de dernière génération. Ce sont des imprimantes 3D, des découpeuses laser, des imprimantes textiles… Ce que nous proposons, c’est un espace où les entreprises peuvent venir réaliser des travaux de prototypage. Cela peut même être la production des premières séries de leur innovation. Le tout est géré par une Communauté Collaborative d’Innovation constituée de six start-up spécialisées dans des domaines très différents (drones, imprimante 3D, énergies renouvelables…). Elle sont hébergées sur place et apportent les compétences nécessaires au développement des projets innovants.

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionne le biolab au quotidien ?

Le biolab va progressivement monter en puissance pendant le premier semestre 2020. Nous allons être dans une phase expérimentale. Il sera situé dans un espace de 130m2 au sein de notre bâtiment Eurekapole. L’objectif est de le doter d’équipements et d’instruments de laboratoire pour permettre aux porteurs de projets et aux entreprises de venir réaliser différentes expérimentations et programmes de recherche et développement dans des domaines aussi divers que la biologie moléculaire, la biologie cellulaire la chimie verte ou le bio-contrôle. Nous allons également mettre en place une communauté collaborative d’experts avec des start-up, des équipes de l’université de Bordeaux et des centres (publics et privés) de recherche. Cette communauté sera chargée d’encadrer le développement du projet et les travaux réalisés.

Comment allez-vous travailler avec les viticulteurs ?

Historiquement, sur le site de notre technopole, il avait été décidé que notre territoire serait dédié aux Sciences du vivant, côté végétaux. Nous avons donc cette histoire. La Région nous a encouragé pour nous lancer et nous avons pu recruter une collaboratrice ponctuelle afin d’aller voir les viticulteurs. Nous avons pu voir que cela correspondait à une véritable demande. Le plus important pour nous, c’est d’être à la jointure entre la recherche et l’application. Si demain, il faut aller dans un rang de vigne, nous trouvons le viticulteur qui accepte de faire un test chez lui. Ce partenariat et l’esprit de communauté fait le charme du travail de proximité.

Comment les échanges entre les entreprises et les agriculteurs vont-ils se faire ?

Le biolab doit permettre de mettre en réseau les différents acteurs. Il y a des viticulteurs et des entreprises qui travaillent autour du bio-contrôle. Ce qui compte c’est l’animation afin d’aller chercher la bonne personne rapidement. Nous n’avons pas les instruments de recherche les plus sophistiqués. En revanche, nous avons une véritable carte à jouer pour ce qui touche à la mise en relation, la création de partenariats et le partage. Notre job est là aujourd’hui et c’est déjà très important.

La viti-viniculture est un domaine très important de notre territoire. Il compte 159 établissements actifs. Notre idée a été de développer un projet, avec la Région Nouvelle-Aquitaine, qui puisse permettre à tous ces acteurs de profiter de cette dynamique d’innovation que nous sommes en train de mettre en place à la technopole. La Région avait postulé à l’appel à projet Territoires d’innovation lancé par l’ État avec la Caisse des dépôts. La région Nouvelle-Aquitaine a construit tout un projet autour du monde du vin. Nous avons proposé que notre projet puisse en faire partie. C’est de là qu’est né Eurekawine, notre initiative de médiation technologique des acteurs de la filière vin. Concrètement, nous allons détecter des gisements d’innovation au sein des propriétés viticoles. Cela peut-être des idées liées aux nouvelles technologies ou au bio-contrôle par exemple. Mais aussi des bonnes pratiques utilisées au quotidien par les professionnels. Au quotidien, chacun agit. Il faut pouvoir garder une trace et leur proposer un appui scientifique pour aller plus loin.

Quel a été l’accueil des viticulteurs ?

Il y a eu un accueil très positif. Pour eux, ce qui a compté, c’est de voir qu’il y a des collectivités qui se préoccupent de solutionner le fond des soucis qu’ils ont. C’est plus important que de dire « On arrête le traitement des vignes à cinq, dix ou quinze mètres des habitations. ». Ce sont des réponses ponctuelles. Nous souhaitons de notre côté nous pencher sur le fond et cela nous a permis d’être très bien reçus.

Vous avez voulu ouvrir votre projet vers l’extérieur ?

Nous avons répondu à un appel à projet de la Caisse des Dépôts afin d’aider des commerçants et des artisans lorsqu’ils ont besoin de franchir une étape liée au numérique. C’est un projet qui va nous occuper en 2020. Nos Fab Lab sont ouverts à ceux qui en font la demande. Les habitants peuvent demander à utiliser les équipements que nous avons acquis. Ils sont à disposition. C’est le cas des imprimantes 3D ou des découpeuses laser. Dans un troisième temps, nous aimerions que les ateliers soient un lieu de compréhension et d’ouverture pour les jeunes. Nous travaillons aussi beaucoup avec le monde de l’éducation. Il est possible de leur donner envie de s’engager en faisant des démonstrations de drones ou en montant un club de robotique. Pour mettre tout cela en place, il y a besoin de moyens humains. Avec nos agents, la Communauté Collaborative d’innovation gère l’animation. Les start-up qui fréquentent régulièrement notre fablab paient leur loyer en heures mises à disposition des publics qui viennent. Cela permet un véritable échange. Notamment avec ceux qui cherchent à monter leur propre entreprise.

– Dupliquer le projet  –

Combien a coûté votre projet ?

Quelques dizaines de milliers d’euros si on ne compte pas le bâtiment. Pour toute la technopole, il y a eu 3,7M d’euros d’investissements. Pour notre Fab Lab, il y a trois agents qui ont été dédiés au projet. Ponctuellement, nous avons l’apport de compétences extérieures et l’achat de matériels (environ 250 000 euros). Notre dispositif tourne autour de ces sommes-là. Ce qui nous préoccupe, c’est que nous sommes au commencement d’une révolution sur le rôle des collectivités locales et de l’intercommunalité. Nous avons longtemps été pour financer une salle de spectacle, une piscine ou un club de sport. C’est très bien et nécessaire. Aujourd’hui, face à l’évolution du monde nous devons aussi nous impliquer dans la résilience territoriale.

Pour le biolab, le coût de l’investissement matériel est de 258.000€ environ, ceci sans parler du coût de l’immobilier puisque la version du biolab qui va sortir au deuxième semestre de cette année est une version test. La version finale du biolab ainsi qu’un certain nombre de services aux entreprises (bureaux, laboratoires, auditorium, restaurant interentreprises, etc.) sont prévus dans le nouveau bâtiment « Centre de Ressources Technopolitain », un bâtiment d’un peu plus de 3000m² qui verra le jour à horizon 2021-2022 et qui fera l’objet d’un investissement de près de 10 millions d’euros pour la Collectivité.

Aux coûts d’investissements du biolab viennent d’ajouter des coûts de fonctionnement correspondant aux moyens humains (1 ou 2 personnes) et aux charges de gestion courante.

Comment financez-vous les différents coûts ?

Pour la réalisation du biolab, nous sommes accompagnés financièrement pour l’investissement par l’État (d’une part, à travers la Dotation d’Equipements aux Territoires Ruraux ou DETR gérée par la Préfecture de Gironde et d’autre part, à travers le projet EUREKAWINE financé dans le cadre de l’appel à projets Territoires d’Innovation lancé et géré par la Caisse des Dépôts et des Consignations) et d’autre part, par la Région Nouvelle-Aquitaine (à travers le Contrat d’Attractivité signé entre la Région et la CCM).

Au total, sur les 258000€ d’investissements, nous sommes à 61 % de subventions externes venant de ces trois dispositifs de financements et un apport financier de notre Communauté de communes correspondant à 39 % de ce montant.

Quel a été l’impact du projet sur le territoire ?

Nous comptabilisons près d’une centaine de structures (structures privées, entreprises et structures publiques comprises) dans notre base de prospects des utilisateurs potentiels du fablab depuis son installation en juin 2019. La véritable entrée en phase opérationnelle est arrivée à la fin de l’année (mi-novembre) avec l’arrivée d’un fabmanager à temps plein. Nous nous laissons quelques mois de plus avant d’avoir un véritable recul sur les utilisations.

Pour le biolab, en termes de résultats attendus, l’ambition est la même en termes de chiffres. Les équipes de la CCM ont commencé à mener les prospections dans l’écosystème d’une part, pour identifier les usagers potentiels du biolab mais aussi, d’autre part, pour faire partie d’une Communauté Collaborative d’Experts apportant des compétences pour pouvoir encadrer les expérimentations réalisées au sein du biolab. La base de prospects compte actuellement une quarantaine d’entreprises de différentes tailles (start-ups, porteurs de projets individuels mais aussi grandes entreprises souhaitant externaliser leur R&D et éviter des coûts d’investissements trop importants) et une dizaine de structures ciblées pour intégrer la Communauté Collaborative d’Experts.

L’impact est très simple. Nous souhaitions avoir un totem économique sur notre territoire. À travers, les différentes actions que nous avons pu faire nous sommes désormais identifiés de loin. Nous avons un petit aérodrome et nous recevons régulièrement des personnes qui viennent de Paris pour réfléchir à s’implanter.

Quels conseils donneriez-vous ?

Le développement de ces projets d’innovation technologique a été possible grâce à la réunion de trois ingrédients majeurs. Une vision portée par des élus et une volonté d’aller vite vers du concret. Une adhésion des acteurs économiques du territoire qui ont ouvert leurs portes aux équipes techniques de la Collectivité et qui ont exprimé leurs besoins ainsi qu’un certain nombre de pistes ayant alimenté la réflexion. Un appui des partenaires de l’écosystème dont notamment la Région, l’État et les partenaires universitaires, clusters et pôles de compétitivité qui ont aidé à structurer les projets. C’est grâce à ce grand travail partenarial que les projets de ce type peuvent prendre forme et passer d’une dimension locale, à l’échelle de l’intercommunalité, à un positionnement plus large, à l’échelle régionale.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne