Saint-Quentinois (02) : comment l’agglomération améliore les conditions de travail de ses agents d’entretien et d’hygiène

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine aux agents d’entretien et d’hygiène de l’agglomération du Saint-Quentinois. Depuis mars 2019, plusieurs mesures ont été adoptées afin d’améliorer leurs conditions de travail. Désormais, ils interviennent en journée grâce aux horaires de travail regroupés. Les produits ménagers ne sont plus toxiques et les machines protègent des Troubles Musculo Squelettiques (TMS).

Découvrez notre reportage à ce sujet :

Territoires-Audacieux.fr a également interviewé Marjorie Dussard, responsable du service hygiène et propreté à l’agglomération du Saint-Quentinois, pour en savoir plus sur ce projet.

Cette initiative a été le coup de coeur de la rédaction lors de la remise des prix Territoria 2019. Elle a également remporté un Territoria d’Or 2019 dans la catégorie Qualité de vie.

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?

L’idée est surtout venue des agents d’entretien. Ils avaient des horaires fractionnés, c’est-à-dire commencer tôt le matin et finir tard le soir, jusqu’à 22h. Nous savions qu’ils avaient souvent des difficultés pour lier leur vie pro et perso. Les allers-retours permanents dans la journée avaient un impact sur leur vie de famille, ils ne voyaient jamais leurs enfants. Au niveau professionnel, c’était une vie à l’écart de tout le monde puisqu’ils intervenaient dans des bâtiments vides.

Nous nous sommes alors demandé ce que nous pourrions modifier pour améliorer leurs conditions de travail. Assez naturellement, nous nous sommes penchés sur leurs horaires. Pourquoi ne pas les faire intervenir sur les horaires du personnel de bureau ? Nous leur avons posé la question, ainsi qu’aux agents d’entretien, il fallait que tout le monde soit d’accord pour mettre en place le projet. Les retours ont été très positifs donc nous nous sommes lancés. 

Assez rapidement, vous êtes allés plus loin que la simple modification des horaires ?

En effet, cette idée a engendré d’autres modifications. Les interventions des agents sur des horaires de bureaux où d’autres travaillent, devaient être discrètes. Nous avons donc pris le parti de modifier complètement la manière de travailler du service. Nous avons intégré de nouveaux dispositifs, de nouvelles machines, qui permettent un nettoyage du sol avec un séchage ultra rapide. Nous avons également changé les produits d’entretien car certains pouvaient être dangereux lorsqu’ils étaient trop ou mal utilisés.

Par qui a été initié le changement des produits ménagers ?

Produits ménagers utilisé par les agents de l’agglomération du Saint-Quentinois.

C’est une volonté de notre part et de notre direction générale, qui est dans une démarche éco durable. Nous entamons un nouveau projet, donc tant qu’à faire, autant qu’il soit plus durable, plus à l’écoute, plus moderne sur toutes les problématiques actuelles. Il y a aussi le coût qui entre en jeu. Dans une collectivité territoriale, ce sont des fonds publics. Nous trouvions aberrant de rejeter de l’eau avec des produits chimiques à l’intérieur. Nous nous sommes dit qu’il fallait trouver un fonctionnement plus économique et écologique. 

Quelles ont été les étapes de mise en place ?

Nous avons proposé l’idée à notre hiérarchie en décembre 2018, et nous l’avons mise en place en mars 2019. C’est allé très vite car nous avons eu des retours positifs rapidement. La première étape a été d’avoir l’avis de nos agents, car ce sont eux qui allaient être impactés et intervenir dans des bureaux. Au départ, ça n’a pas été simple pour eux, c’était une vraie crainte pour certain. Ensuite, nous sommes partis à la rencontre du personnel dans les bureaux pour savoir ce qu’ils en pensaient. Il y a eu un réel travail de communication avant de mettre en place le projet. Puis, il a fallu revoir toutes nos pratiques. Par exemple, passer l’aspirateur quand quelqu’un est au téléphone ça peut poser problème, donc nous avons acheté des machines silencieuses. Nous avons fait une étude pour savoir quel aspirateur acheter. En plus d’être silencieux, ils sont sans fil, pour éviter les accidents. Après le matériel, nous avons changé les produits. Nous avons fait toute une étude à ce sujet pour savoir s’il existait des produits qui veillaient à la santé de nos agents et des occupants des bureaux. 

Enfin, il a fallu former nos agents à ces nouvelles pratiques. Quand nous avons été prêts à mettre le projet en place, nous avons fait une grande campagne d’accompagnement auprès de nos agents d’entretien. Bâtiment par bâtiment, des agents de maitrise ont été aux côtés des agents d’entretien pendant toute une journée. Ils sont rentrés ensemble dans chaque bureau pour les présenter, leur donner confiance, car certains n’osaient pas entrer, ils étaient encore sur d’anciennes pratiques. Ils ont répondu aux questions des agents de bureaux : comment je me comporte ? Est-ce que je me pousse de mon bureau ? En général, une semaine d’accompagnement a suffi pour que tous les agents apprennent à cohabiter.

D’autres agglomérations ont déjà mis ce système en place ?

Le projet de travailler en horaire de co-présence existe dans les collectivités, mais peu l’ont mis en place. Je sais qu’il y en a certaines, importantes, comme Nantes. Dans les Hauts-de-France, nous sommes les seuls pour le moment. C’est un système qui fonctionne plus dans les hôpitaux. Nous avons d’ailleurs pris ce modèle, où les agents interviennent en présence des médecins, des familles etc. Nous sommes allés plus loin dans le projet en améliorant les pratiques, les produits et les machines. 

Pour l’instant ce sont souvent de grosses métropoles qui mettent ça en place via des entreprises privées. Dans notre cas, ce sont vraiment nos agents de régie, de la fonction publique, donc ça a nécessité plus de communication et l’aval de pas mal de personnes. Il fallait que tout le monde valide le projet. 

– Le projet aujourd’hui –

Aujourd’hui, quelles sont les horaires des agents de propreté et d’hygiène ?

Actuellement, nous avons deux équipes. Une commence le matin à 6h. Il faut qu’il y ai un petit laps de temps avant l’accueil du public. Ils terminent ensuite à 12h45. Les agents d’après-midi font 13h-19h30. En moyenne, une intervention dans une bureau dure 5 à 15 minutes.

Avant, les horaires étaient plus tardifs et il y avait une coupure dans la journée. Maintenant, c’est en continu, et quand ils ont terminé ils rentrent chez eux, pas d’allers-retours. Ça leur permet d’être à la maison aux heures de repas. C’est tout bête mais participer au coucher des enfants et au repas du soir n’était pas possible avant. Ils ont aussi accès aux transports en commun. Avant à 22h il n’y avait plus de bus pour ceux qui n’ont pas de voiture. 

Où sont appliqués ces horaires ? 

Sur tous les bâtiments sur lesquels nous intervenons. Il y en a 42, où sont repartis une cinquantaine d’agents. Ce sont des bâtiments communautaires comme les piscines ou le siège de l’agglomération. Mais nous avons aussi appliqué ce dispositif sur les bâtiments à notre charge pour la ville. Il y a donc des bibliothèques municipales, des centres sociaux, un circuit automobile, etc.

Quelles modifications avez-vous pu faire au niveau administratif ?

Les plannings étaient calés sur des horaires particuliers, en fonction de l’absence des occupants. Il y a eu un gros travail de réorganisation de notre service au niveau des horaires et du circuit d’intervention. Les fiches de postes ont donc été modifiées. Tout cela a dû être validé par le comité technique et les personnes qui interviennent sur le cadre de travail et sur la sécurité. Puis, il a fallu faire valider ça à notre direction, à notre directeur général et à d’autres organismes avec lesquels nous travaillons, comme la ville.

Et pour le changement des produits ménagers ?

Nous avons tout revu, cela a nécessité un gros travail de réécriture des marchés. Le nôtre était historiquement un marché de produits chimiques classiques. Nous avions des critères clair et défini donc il a fallu trouver un fournisseur en capacité de nous répondre. Nous ne voulions pas que les produits soient uniquement bio. Nous ne voulions plus aucun pictogramme qui indique un danger pour la santé, ni pour nos agents ni pour nos occupants. Nous voulions aussi que le fournisseur s’implique dans la réduction des TMS (Troubles Musculo Squelettiques). Avant, nos agents avaient des bidons de 5 litres, qui pesaient lourd, nous voulions des contenants adapté à l’utilisation de nos agents. Aujourd’hui, ils sont plus faciles à transporter. À l’intérieur, il y a un système de pré dosage, nos agents n’ont plus à se demander quelle quantité mettre. Ça réduit aussi la gestion de nos coûts, ce qui n’est pas négligeable. En plus, notre fournisseur est des Hauts-de-France. Nous réduisons aussi les coûts de transports et augmentons la réactivité. Nous voulions vraiment aller au bout de la démarche dans ce projet. Nous avons fait attention aux ports de charges, au respect de l’environnement et au coût. 

– Dupliquer le projet –

Quel(s) impact(s) cela génère-t-il sur votre territoire ?

Nous faisons un bilan, qui est en cours. Notre première préoccupation était de savoir si l’entretien que nous faisions dans les différents bâtiments était aussi efficace qu’avant. Les retours que nous avons depuis quelques mois nous confortent dans cette idée. Il n’y a pas eu de dégradations, certains ont même trouvé que c’était plus propre, étant donné qu’il y a un agent en permanence sur le terrain. 

L’autre enjeu est de réduire, si nous le pouvons, les arrêts des agents d’entretien. Les horaires tardifs étaient fatigants pour eux, des arrêts en découlaient. Le matériel aussi était inadapté aux corps. Cela provoquait des problèmes de canal carpiens, de dos, qui étaient inhérents au travail d’agent d’entretien. Nous allons faire en sorte de réduire ces problèmes de santé. Par exemple, faire le sol avec une auto laveuse, où la personne est debout, dans une posture droite et marche, est préférable à la position courbée sur un manche à balai, avec des gestes qui mobilisent toutes les articulations. Pour l’ancienne génération, c’est améliorer leurs conditions de travail. Mais pour la nouvelle génération, nous espérons que ça aura un réel impact sur leur condition physique. Idem pour les produits d’entretien, nous espérons que les agents ne développeront pas de problèmes respiratoires ou de peau. Cette partie humaine et médicale représente une réelle amélioration de notre côté. Mais pour l’instant, c’est trop tôt pour que nous puissions évaluer ce genre de retour.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Nous avons fait attention à bien communiquer avec l’ensemble des services. Donc ceux qui pouvaient être réticents au départ ont rapidement vu qu’il n’y aurait pas de problème. Au final, nous n’avons pas eu de difficulté particulière.

Combien vous a coûté le projet ?

Modifier les horaires des agents c’était purement administratif, ça ne nous a rien coûté. Là où nous avons eu des dépenses c’est pour le matériel. Nous en avons changé une bonne partie. Nous achetons petit à petit, nous n’avons pas terminé donc nous n’avons pas les coûts totaux. Les nouveaux chariots coûtent environ 500€, comme les anciens, puis il y a eu les autolaveuses, les brosses nettoyantes MOP. Un effort a dû être consenti de la part de la collectivité. Mais ce sont des investissements, nous n’aurons pas à racheter tout ça avant plusieurs années. 

Au niveau des produits d’entretien, nous sommes conscients qu’ils sont plus cher que les anciens. Avant, un bidon de 5 litres était à 6€, aujourd’hui c’est 30€. Mais ils sont beaucoup plus concentrés ! Sur une même quantité d’utilisation, on a la même somme dépensée. En plus, il y a moins de rejets d’eau donc nous faisons des économies sur d’autres plans. Les agents sont encore en formation sur ces produits, nous améliorons le système, mais à terme, nous pensons arriver à faire de réelles économies.

Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un territoire qui souhaite mettre en place les mêmes dispositifs ?

Il faut se lancer, c’est tellement facile à faire ! Ça parait énorme au départ, nous avons l’impression que ça va tout changer et créer des problèmes. Les agents ont des craintes mais à partir du moment où il y a une bonne communication, tout se met facilement en place. C’est vraiment le point clé du projet, la communication avec les agents d’entretien et les employés de bureau. 

Propos recueilli par Léa Tramontin