Dracénie (83): un pacte TPE/PME pour faciliter l’accès aux marchés publics aux entreprises locales

La lettre de l’impact positif s’intéresse cette semaine au pacte TPE/PME développé en Dracénie. À travers différentes mesures, cette agglomération ouvre ses marchés publics au plus grand nombre. Les démarches sont facilitées, notamment pour les plus petites entreprises. Le tissu local est ainsi valorisé.

Les équipes de Territoires-Audacieux.fr ont interviewé Anthony Patheron, directeur de la commande publique durable au sein de l’agglomération Dracénie Provence Verdon.

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment l’idée vous est-elle venue ?

L’idée nous est venue en 2014. La crise financière de 2008 était encore présente et notre président, Monsieur Audibert-Troin, se questionnait sur l’accès à nos marchés publics. Il se demandait ce que nous pouvions faire très concrètement pour faciliter leurs accès aux entreprises. Sans tomber dans des délits de favoritisme, évidemment. Nous avons choisi d’utiliser au maximum la réglementation pour faciliter l’accès du tissu artisanal à notre commande publique. 

Donc le projet a pour but de faciliter les procédures ?

Oui, mais aussi de prendre connaissance des marchés publics : qu’est-ce qu’un contrat public ? Quels sont ses enjeux ? Nous essayons de faciliter l’accès, la compréhension et l’exécution des marchés publics auprès du tissu artisanal.

Comment avez-vous construit le projet ? 

À partir de cette interpellation de notre président, nous avons voulu proposer une méthode. Mais pas à l’initiative de l’administration. Nous ne voulions pas qu’elle y réfléchisse dans son coin et qu’elle propose ses solutions, auxquelles tout le monde devrait adhérer. Ça c’est une vision du XXe siècle. Nous voulions élaborer un projet qui soit voulu, compris et pris en compte par l’ensemble des acteurs économiques et publics. Il y a donc eu une concertation très large auprès des acteurs économiques et des acheteurs publics de notre territoire. Nous ne voulions pas être les seuls à mettre en place des mesures pour le tissu économique local. Nous avons entraîné avec nous l’ensemble du service public : les 23 communes de l’agglomération et les acheteurs publics avec lesquels nous dialoguions très peu comme les centres hospitaliers, les pompiers, les syndicats mixtes, etc. L’idée était de mettre en synergie l’ensemble des acteurs publics mais aussi d’avoir une co-construction avec les acteurs économiques. Un panel d’entreprises (de l’artisanat au grand groupe international) nous a d’ailleurs accompagné pour construire ces mesures.

Est-ce qu’il y avait une demande de la part de ces acteurs ? 

Pas nécessairement du côté des acteurs publics. Tout le monde travaillait un peu dans son coin, avec ses politiques et ses problématiques. La demande venait plus des acteurs économiques. Les fédérations de professionnels du bâtiment aiment bien taper à la porte des élus pour se rappeler au bon souvenir, notamment quand l’activité privée est un peu moindre, et c’était le cas en 2014. Le soutien de l’activité publique économique était important, il y avait une demande. Mais c’était aussi dans l’air du temps de passer d’une culture juridique des achats publics à une culture véritablement d’achat avec des objectifs de politique publique, de développement économique, d’insertion sociale et de respect des enjeux climatiques. À l’époque, les acteurs économiques nous ont interpellés mais nous avions déjà dans l’idée de proposer aux élus une solution qui donne du sens à l’achat public.

– Le projet aujourd’hui –

Comment le projet fonctionne au quotidien ?

Au quotidien, le pacte est notre instrument de dialogue avec les directions opérationnelles concernées pour préparer et faciliter les dossiers de mise en concurrence. Par exemple, nous obligeons nos directions opérationnelles à cadrer leurs questions systématiquement au travers d’un formulaire de réponse que l’entreprise peut saisir directement. Pour les achats de moins de 40 000€, nous estimons qu’en nous répondant, l’entreprise atteste qu’elle a la capacité d’y répondre. Nous prônons une culture de la confiance plutôt que des documents prouvant la capacité de l’entreprise. Par ailleurs, nous essayons de travailler tous nos documents pour qu’ils soient compréhensibles pour tous, quelque soit le niveau d’étude. Nous facilitons aussi les avances de trésorerie dès 20 000€, nous proposons aux nouveaux élus que ces avances soient exigées sans garantie ou caution. Nous diffusons également cette culture auprès d’acheteurs publics moins experts pour essaimer. Nous diffusons des guides à l’attention des professionnels pour expliquer notre démarche et donner envie de répondre aux marchés. Enfin, nous organisons régulièrement des réunions et des formations.

Et est-ce que tout se déroule correctement ?

Il y a des mesures en place depuis longtemps. Par exemple, nous avons beaucoup utilisé le numérique et ainsi anticipé la question de la dématérialisation. C’est un outil de facilitation. Nous avons une obligation réglementaire pour tous les acheteurs publics depuis 2018 donc pour moi, c’est derrière nous. Certains points ne fonctionnent toujours que moyennement. Nous mettons en place des avances de trésorerie, mais nous demandons des cautions qui sont problématiques pour les plus petites entreprises. Nous avons encore un travail de pédagogie à mener. En interne d’abord, auprès de la direction finance. Il faut expliquer que c’est possible d’accorder une avance car nous avons les moyens de récupérer cet argent. Et en externe auprès des entreprises, pour leur dire que nous allons leur faciliter la tâche, mais il va falloir que nous changions de culture. 

Quels acteurs participent à ce projet ? 

Nous avons un réseau d’acheteurs publics avec lequel nous faisons un point annuel sur les mesures : ce qui fonctionne ou pas, ce qui est compliqué ou non, etc. Les communes du territoire dracénois vont de 120 habitants (sans ingénierie ni expertise juridique pour aider à monter des marchés publics) à des communes de 40 000 habitants où des services d’aide existent et sont en capacité de bien utiliser la réglementation. Donc l’idée de ce réseau c’est de faire un partage de savoir-faire et d’aider les petites communes à créer des projets qui soit juridiquement valables et économiquement fiables. Le pacte TPE/PME a été adopté, c’est un acte politique fort pour les achats publics de ces collectivités. 

Quels sont les avantages pour les entreprises ? 

Avoir des documents plus clairs et moins nombreux. Par exemple, nous utilisons le numérique pour récupérer les attestations fiscales des entreprises. Un document qu’elles devaient nous fournir auparavant. Nous avons également facilité l’accès des marchés publics aux petites entreprises et aux consultations de moindre importance financière. Nous éditons des demandes de devis plutôt qu’un dossier complexe, propre aux contrats à plusieurs millions. 

Malgré tout, il nous reste des axes à améliorer. Nous travaillons beaucoup sur la rencontre entre l’acheteur public et l’entreprise. C’est important qu’ils connaissent leurs impératifs, leurs contraintes, et adaptent leur manière de se consulter. Par exemple, nous nous interdisons de consulter les entreprises au mois d’août et à Noël. Nous savons que c’est à ce moment-là que les petites entreprises prennent leurs congés. Un appel d’offre favoriserait les grandes entreprises qui ont plus de salariés. Ça a l’air basique mais c’est un changement culturel pour l’administration.

Quels sont les avantages pour les administrations ? 

Mieux travailler en transversalité, notamment en interne avec les opérationnels et la direction finance, qui ont chacun leurs contraintes. Le pacte a permis de mieux dialoguer, mieux comprendre le travail de chacun. Nous sommes dans une culture hyper cloisonnée où nous sommes très bons en analytique mais moins en global. Ce type de mesure permet à chacun d’amener sa pierre à l’édifice et de croiser les regards. Je pense que c’est un atout pour faire réussir le projet et c’est sur quoi j’essaie de travailler au quotidien. Je dis à mon équipe que nous sommes au service des autres en interne, mais aussi en externe.

– Dupliquer le projet –

Quel impact cela génère-t-il sur votre territoire ? 

C’est toujours un peu difficile d’évaluer l’impact. Nous avons fait ce travail en 2019, cinq ans après le début du pacte. Les chiffres sont plutôt bons. Il y a plus d’entreprises dracénoises qui ont obtenu des marchés publics. Mais est-ce dû à leurs performances intrinsèques ou à nos mesures ? C’est toujours plus compliqué à définir. Nous avons aussi évalué quelles étaient les mesures attendues et celles qui avaient un réel impact pour les entreprises. Nous nous sommes aperçus que les avances de trésorerie et l’allotissement (prévoir des marchés publics à la taille des entreprises) étaient positives. Par contre, nous ne sommes pas assez présents sur l’accompagnement des entreprises au quotidien, d’où l’importance d’affecter des ressources humaines. Par exemple, dans les réunions, nous manquons de personnel pour expliquer nos actions. Il faut faire comprendre notre rôle aux entreprises pour qu’elles s’intéressent aux marchés publics et qu’ils deviennent un enjeu de chiffre d’affaires pour elles, parce que c’est aussi le but. 

Quels obstacles avez-vous rencontré ?  

L’obstacle principal a été le changement culturel. J’ai cru que tout pourrait changer du jour au lendemain. Depuis, j’ai fait mon mea-culpa. Les manières de travailler en place depuis longtemps sont difficiles à modifier. Il faut du temps et de l’accompagnement pour expliquer que personne ne perd de pouvoir, que tout le monde va s’y retrouver à la fin et que nous aurons peut-être même une meilleure ambiance de travail ! 

En plus, notre direction est peu armée humainement parlant, donc ça demande de prendre sur soi. Mais au final c’est très bénéfique. Quand des entreprises viennent nous voir en nous disant qu’elles peuvent travailler avec nous grâce à des avances de trésorerie qu’elles ne pouvaient pas avoir auprès de leur banque, on se dit que ça a du sens. L’enjeu c’est de décloisonner les tâches, d’arrêter de travailler en silo. Ainsi, nous pourrons penser plus globalement l’impact de mesure et la manière de travailler ensemble avec les entreprises et toutes les autres directions en interne. La difficulté qui vient ensuite est d’avoir suffisamment de ressource humaine pour pouvoir mener à bien ce travail. 

Quel a été le coût de ce dispositif ? 

Je dois vous avouer que ne le l’ai pas évalué. Hormis l’aspect communication au départ, où nous avons dû mettre environ 5 000€, c’est surtout du temps de travail et de réflexion. Comme ce temps est disséminé un peu partout, il est difficile de le mesurer et de le chiffrer.  Ce sont des mesures peu coûteuses et très concrètes. Elles peuvent améliorer le cercle vertueux des dépenses publiques du territoire : l’impôt revient là où il a été perçu à travers ces marchés publics.

Quel conseil donneriez-vous pour mettre en place le pacte sur un autre territoire ? 

Ne pas se lancer seul et être soutenu politiquement et au plus haut niveau de la collectivité. Il ne faut pas oublier que ce projet va nécessairement bouger les lignes et le travail de certaines personnes et de la direction. Ces transformations demandent de se réunir, de se parler, de mettre tout sur la table de manière sereine et de collaborer. C’est indispensable pour que les mesures aient un impact très concret pour les entreprises. Travailler collectivement est important car un changement culturel de l’administration et des marchés publics s’impose. 

Propos recueilli par Léa Tramontin