Saint-Jean de la Ruelle : la vélo-école facilite la mobilité et permet un premier pas vers le permis de conduire

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous fait découvrir le concept de la vélo-école. La régie de quartier Respire à Saint-Jean de la Ruelle (45) l’a développé en observant la difficulté de certaines personnes à passer le permis de conduire. Grâce à des cours de vélo, un moniteur permet aux bénéficiaires de rattraper leur retard concernant de nombreux automatismes (motricité, regard, direction…) nécessaires pour conduire un véhicule. Le succès de l’initiative a également attiré de nombreuses personnes désirant retrouver une mobilité au sein du territoire grâce au vélo.

Pour en savoir plus, nous sommes allés découvrir le concept à Saint-Jean de la Ruelle et interviewer Katia Baudoin, coordinatrice de la mobilité à la régie de quartier Respire.

Cette initiative a été lauréate du concours : initiatives coup de cœur co-organisé par Territoires-Audacieux.fr et Villes au Carré.

Sommaire:

– Introduction –

Pour commencer découvrez notre reportage vidéo d’introduction !

L’interview de Katia Baudoin est disponible au format vidéo ou texte pour chaque question.

– Mise en place du projet –

À quelle problématique répond votre initiative de Vélo École ?

Le vélo école répond au départ à des problèmes liés à la coordination des mouvements que nous avons repérés en voiture. Certains élèves avaient de réelles difficultés à coordonner les mains, les pieds, les contrôles, etc. Le corps était trop figé. Nous avons donc commencé par nous dire que cela pouvait venir de l’éducation sportive. Elle pouvait ne pas avoir été faite au départ par exemple dans les exercices réalisés en maternelle. L’idée du vélo est arrivée car nous avons fait le rapprochement en nous disant peut être que ces personnes-là ne savent pas faire de vélo. Il manque une marche avant d’arriver sur le permis de conduire.

C’était donc une observation de terrain…

Nous nous sommes interrogés. Nous avions des personnes qui dépassaient les 70 heures d’apprentissage de la conduite, y compris en boite automatique. Il fallait trouver pourquoi elles n’avançaient pas. Nous avons donc commencé à faire quelques tests avec un étudiant de l’ERTS (École Régionale du Travail Social). Nous avons vu qu’il était possible de gagner en confiance en soit. La conduite a été beaucoup plus simple derrière.

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

Sur l’atelier vélo, nous avons commencé en 2017 avec un étudiant en ERTS. Nous voulions voir si cela allait fonctionner avec des personnes qui bloquaient sur la conduite. Cela a tout de suite eu des résultats. Nous avons donc cherché à développer cette initiative afin de toucher un maximum de personnes. Et pas forcément que des personnes liées à l’auto-école. Il y en a de nombreuses dans les quartiers qui sont demandeuses d’apprendre à faire du vélo. Elles souhaitent trouver un moyen de mobilité rapide et efficace pour arriver à l’emploi. Nous voulions les aider à trouver une façon de se déplacer, accessible et pas chère.

Par quel financement êtes-vous passés ?

Entre 2017 et début 2019, nous avons expérimenté tout en restant en interne. Depuis, nous avons monté un vrai projet. Le contrat de ville nous a suivi début 2019 sur ce projet. Nous avons donc pu embaucher un moniteur et mettre en place des sessions avec des débutants et des personnes qui ont juste besoin de se remettre en selle en reprenant confiance sur le vélo. Ils ont besoin de pratiquer. Nous avons fait des cycles de deux mois. Il y a une partie sur la théorie afin que les personnes qui vont basculer par la suite sur l’auto-école puisse commencer à appréhender le code de la route. À la fin de l’atelier, l’objectif est, pour ces personnes, qu’elles soient autonomes et puissent rouler dans l’agglo. Elles doivent pouvoir se rendre d’un point A à un point B tout en respectant le code de la route.

Pour certains, il y avait une idée plus large que celle de préparer le permis de conduire…

Oui. C’est vraiment les rendre autonomes. Ils doivent avoir un moyen de mobilité adapté à leurs capacités et à leur budget. Nous sommes dans un système « tout-permis » alors que le vélo peut suffire dans de nombreux cas. Le permis n’est pas accessible à tout le monde d’un point de vue financier et des capacités.

– Le projet aujourd’hui –

Comment l’initiative se déroule-t-elle au quotidien ?

Ce sont des sessions de deux mois avec des plages horaires bien arrêtées. Le lundi, c’est la théorie. Ce sont deux heures en salle avec le code de la route, le vocabulaire, la sécurité… Les autres sessions se font avec le moniteur à vélo tous les après-midi. Cela dure deux heures le temps d’aller chercher le matériel et de se mettre en place. Nous avions mélangé les niveaux le temps de repérer les difficultés de chacun sur la première session (Avril-Juin). Pour la session qui vient de commencer, nous avons organisé des groupes de niveau avec des « tout débutants » et des personnes qui étaient plutôt sur de la remise en selle.

À quoi ressemblent les séances pratiques ?

La séance pratique est gérée par Marvin, notre moniteur vélo. Il s’organise dans le quartier car nous n’avons pas de lieu pour faire cela. Il s’adapte au terrain. Il a suivi un protocole qui existait déjà. Chaque personne a un niveau et des exigences différentes donc il s’adapte. L’idée de départ, c’était de partir des difficultés de conduite et d’apprendre le vélo pour lever les freins. Mais la demande est tellement importante que maintenant chaque personne a un objectif différent. Parfois, c’est juste l’idée de pouvoir apprendre le vélo pour en faire avec les enfants. Pour nous, sur l’auto-école, les élèves que nous envoyons à la vélo-école ont pour objectif de travailler la motricite, la coordination des mouvements, le regard et de commencer à travailler les prémices du code de la route. Cela permet de réduire le parcours suivi à l’auto-école. Un parcours trop long est forcément trop cher. Nous sommes sur un public qui est en phase d’apprentissage personnel et de retour vers l’emploi. Nous devons donc avoir des solutions qui s’adaptent à leur budget et leurs compétences.

C’est une étape vers le permis de conduire ?

J’ai tendance à dire qu’une personne scolarisée en troisième ne va pas directement à la fac. Il y a une étape entre les deux. Le permis de conduire, c’est la même chose. On ne peut pas dire à quelqu’un tu vas conduire une voiture alors qu’il n’a jamais déplacé un vélo ou une trottinette sur l’espace public. Nous avons également travaillé avec un ergothérapeute pour tout ce qui est lié au repérage dans l’espace. Quand on a pas été éduqué dans ce domaine dans l’enfance, c’est compliqué à l’âge adulte de faire fonctionner le cerveau dans l’espace.

Quel type de public accueillez vous ?

Nous avons de tout. Beaucoup de femmes. Notamment celles ayant été privées par leur culture de l’apprentissage du vélo. Il y a beaucoup d’à priori et d’idées reçues. Cela peut être très surprenant parfois mais nous avons également des personnes qui ont été scolarisées ici. Elles ont eu des cours de motricité. Mais, parfois un parcours de vie brisé fait qu’il faut tout ré-éduquer.

– Dupliquer le projet  –

Combien cela coûte pour une personne ?

Pour une personne, c’est dix euros en tout. Deux euros pour adhérer à l’association Respire et huit euros pour toute la session de deux mois. De notre côté, nous fonctionnons grâce au contrat de ville (CGET). Il vient financer les frais matériels et le moniteur du vélo-école. Cela correspond environ à un budget de 10 000 euros.

Cela s’intègre dans le fonctionnement de la régie de quartier ?

La régie de quartier est une association d’insertion. Nous avons différents services : ménages, espaces verts, chantiers verts, garage solidaire, collecte et auto-école. Ces services permettent à des personnes éloignées de l’emploi de s’intégrer petit à petit. Chaque personne est accompagnée par un conseiller en insertion professionnelle pour avancer sur un projet personnel lié à ses capacités. Ces personne se remettent progressivement vers l’emploi. Notre régie de quartier Respire a pu reprendre le projet du Permis à point. C’était tout à fait en lien car le permis est un des freins vers le retour à l’emploi. Dans certains projets professionnels, le permis est indispensable.

Quel impact avez-vous pu mesurer ?

L’atelier vélo est tourné vers des personnes qui arrivent complètement stressée et tendue. Plus le programme avance, plus nous voyons qu’elles sont très heureuses d’être là. Elles prennent du plaisir. Il y a eu beaucoup de gaieté de pouvoir faire des choses soit même. C’est top ! Nous avons par exemple, le parcours formidable d’une personne. Elle a commencé par apprendre la langue, puis participer à des ateliers pour préparer le code de la route. Elle l’a obtenu rapidement mais il y a eu un blocage sur la conduite. Notamment à cause de la vision. Elle ne regardait pas autour d’elle. Nous lui avons proposé l’atelier vélo. Elle l’a fait d’un bout à l’autre et avec plaisir. Elle vient maintenant d’obtenir son permis. Et du premier coup ! Nous avons vraiment réussi à débloquer des freins repérés chez elle. Pour cela, le moniteur vélo est carrément venu observer comment elle se comportait en voiture. Nous avons pu faire la différence entre les comportements en vélo et en voiture. Nous avons réussi à la faire avancer.

Votre objectif est de continuer ?

Bien sûr. En 2020, nous souhaitons poursuivre. Nous aimerions développer notre vélo-école de manière itinérante. En allant dans plusieurs quartiers prioritaires sur la métropole. Nous ne voulons pas les bloquer. Ils ont un problème de mobilité donc faire venir des personnes d’autres quartiers, c’est compliqué. Les transports en commun ne sont pas toujours adaptés. Nous souhaitons donc que notre moniteur se déplace dans différents quartiers d’Orléans.

Quelles difficultés avez-vous rencontré ?

Il y a les financements. Chaque projet doit bien sûr être financé. Il y a aussi le fait de devoir dire aux gens après leur début en voiture : « nous vous conseillons de passer par le vélo ». Au départ, les habitants peuvent être réticents. Nous pouvons également avoir des barrières liées à la culture. Parfois, certaines femmes n’ont pas le droit de faire du vélo. Il faut donc vraiment travailler et apporter des arguments pour expliquer. Nous les faisons venir et souvent à force elles reviennent puis cela se passe très bien.

Quels conseils donneriez-vous à des élus qui souhaiteraient lancer un projet similaire ?

Il faut faire ! Il y a une demande folle. Nous ne nous rendons pas vraiment pas compte. Il y a besoin d’initiatives similaires partout. De nombreuses personnes ne savent pas faire de vélo. Nous sommes dans un système écolo où nous proposons des primes à la casse pour supprimer les voitures. Mais aujourd’hui avoir une voiture cela coûte très cher. Parfois, un vélo peut suffire pour aller d’un point A à un point B même pour le boulot. La prochaine étape que nous voulons mettre en place, c’est aussi de convaincre les employeurs que le permis n’est pas toujours obligatoire pour travailler. Toutes les annonces des entreprises d’intérim et de pôle-emploi sont avec le permis B. Je pense que les élus devraient réfléchir et mieux analyser leur territoire afin de pousser dans ce sens.

Propos recueillis par Baptiste Gapenne