Roubaix réinvente le logement social avec des maisons à 1€

Cette semaine, la lettre de l’impact positif vous propose de découvrir le dispositif mis en place par la ville de Roubaix pour favoriser l’accession sociale à la propriété tout en luttant contre la vacance des logements. L’équipe municipale a en effet lancé un projet visant à récupérer des logements vides appartenant à des institutions publiques, et de le vendre pour 1€ symbolique. En contrepartie, le futur acquéreur s’engage à rénover l’habitation et à y vivre.

La Part du Colibri a rencontré Milouda Ala, adjointe au maire de Roubaix en charge du logement.

– Reportage –

 

 

Quelle est l’origine du projet ?

On a comencé à y réfléchir fin 2014, quand j’ai reçu les chiffres des demandeurs de logement à Roubaix. À l’époque, 6 000 personnes souhaitaient accéder au parc social. En parallèle, j’ai lu une étude montrant qu’on avait 4 000 logements vacants, appartenant à des institutions ou à des propriétaires privés. On a donc réfléchi à une manière de jouer sur ces deux chiffres. Ce n’est pas facile car la vacance est un sujet très technique et qui a des causes multiples et sur lesquelles on ne peut pas toujours agir. Alors on a travaillé sur la tranche de logements vides appartenant à des institutions publiques.

Pourquoi avoir choisi le prisme de la vacance pour s’attaquer au problème du mal-logement ?

La vacance est un sujet qui n’est pas que roubaisien, mais aussi national et même européen. Il y a quasiment 11 millions de logements vides à travers toute l’Europe. En France on en a 3 millions, il faut vraiment qu’on puisse réfléchir et comprendre pourquoi il y en a tellement. Il y a plusieurs motifs structurels de la vacance : des propriétaires qui ne veulent plus relouer, des biens en succession… On a donc quelques difficultés à sortir les logements de la vacance. Sur les institutions publiques, ça peut concerner des biens achetés pour un grand projet d’aménagement qui est tombé à l’eau par exemple. Or, la première chose qu’on doit faire en politique c’est montrer l’exemple. En termes de politique habitat, je peux pas comprendre que des institutions puissent laisser traîner des logements vides pendant 10 ou 15 ans, alors qu’on sait qu’il y a énormément de familles qui rêvent de devenir propriétaire ou tout simplement d’accéder à un logement.

Pourquoi travailler sur l’accès à la propriété plutôt que sur la location ?

On a choisi la voie de l’accession sociale à la propriété parce qu’on a tenté des programmes neufs qui n’ont pas fonctionné. On a un déficit d’attractivité, mais on continue quand même à y croire. On a donc décidé de travailler sur l’accession sociale voire très sociale à la propriété, c’est-à-dire pour les personnes qui ne peuvent pas accéder à un crédit classique de 100 ou 150 000 euros. On leur propose tout simplement un dispositif où ils n’ont que les travaux à payer, et en contrepartie d’un euro symbolique ils deviennent propriétaires.

Comment avez-vous récupéré les maisons ?

On ne peut pas demander aux autres d’être exemplaires si nous ne le sommes pas nous-mêmes. On a donc on d’abord regardé dans les biens qui appartenaient à la ville de Roubaix et on a ciblé les logements correspondants au projet. Ensuite, on s’est tourné vers la métropole européenne de Lille, qui a un sacré patrimoine sur l’ensemble de la métropole. Je ne vais pas vous mentir, il y a eu un scepticisme, parce que c’est quelque chose de très nouveau. On leur a parlé des exemples de Liverpool  et de Stoke-on-Trent, et puis on leur a dit : vous n’y croyez peut-être pas, mais croyez au moins en notre capacité et en notre volonté d’expérimenter.


Expérimenter avant de développer à plus grande échelle : une méthode efficace ?

Pour nous, oui. On essaye de commencer petit et on veut voir grand, donc on croit énormément à notre ambition d’expérimenter, que ce soit sur les politiques habitat ou sur autre chose. Je pense qu’on est à un virage de la société où il faut retravailler, trouver de nouvelles méthodes. Après nos échanges, la métropole européenne de Lille a été très volontaire sur le sujet et nous a suivis. On a aussi répondu à un appel à projets de la région sur l’habitat innovant, et on a été lauréat. Par ailleurs, on a eu un échange avec le secrétaire d’État Julien Denormandie, sur la lutte contre la vacance et contre l’habitat indigne.

D’un point de vue juridique, comment cela fonctionne-t-il ?

C’est là où c’est devenu compliqué, pour plusieurs raisons. On a mis de côté les logements appartenant aux propriétaires privés parce qu’on ne peut pas y toucher : le droit de la propriété est un des droits les plus protégés de la Constitution – mais ça ne veut pas dire qu’on y travaille pas. Ensuite est venue une autre question juridique, parce qu’on ne peut pas vendre en France à l’euro symbolique. Il a donc fallu prouver qu’il y avait d’une part une contrepartie et d’autre part un intérêt général. L’intérêt général, c’est l’accession sociale à la propriété, mais aussi la requalification d’un quartier ou d’une rue. La contrepartie c’est le fait que le futur acquéreur doit s’engager à faire les travaux nécessaires pour rénover le bien. On a fait beaucoup d’allers-retours avec les services de l’État, qui nous ont bien aidés. On voulait vraiment être très carré de ce point de vue, pour que le dispositif ne soit pas retoqué au moment du lancement.

Comment avez-vous travaillé pour respecter les enjeux juridiques ?

On a eu vraiment besoin que toutes les choses soient bien calibrées. On ne fait pas n’importe quoi, d’abord parce que nous sommes une collectivité et que l’on représente une puissance publique, et ensuite parce que l’idée n’était pas de contourner la juridiction française, mais d’adapter ce qui avait été fait en Angleterre à nos lois. Les juridictions sont complètement différentes, c’est beaucoup plus rapide en Angleterre. Ensuite, il fallait travailler pour ne pas être discriminatoire. À l’origine, on s’était dit que cette expérimentation s’ouvrirait simplement aux Roubaisiens : c’est déjà discriminatoire. Par ailleurs, comment on fait pour répondre à la masse de candidatures reçues sans être discriminatoires, comment on fait pour choisir les candidats ? Tout ce travail nous a pris quasiment un an.

Quels sont les critères pour être éligible au programme ?

Il y a une chose qui était certaine quand on a commencé à réfléchir à cette expérimentation, c’est qu’on ne voulait pas cibler un public. Ce qu’on veut, c’est faciliter l’accès à la propriété. Ensuite, on ne voulait pas d’investissement locatif. Le but du jeu était vraiment de répondre, par exemple, à un jeune couple qui vient de démarrer un travail, qui gagne peu, et qui pense que la banque ne lui prêtera jamais. On a donc voulu tout de suite mettre un critère qui était éliminatoire : toutes les personnes déjà propriétaires ne pouvaient pas accéder à ce dispositif. Après des allers-retours juridique sur ce sujet, on a appris c’était discriminatoire, alors on a trouvé une variante : seules les personnes qui n’ont pas été propriétaires ces trois dernières années peuvent intégrer le dispositif.

Qui porte le projet au quotidien ?

On a travaillé avec les services logement, habitat et hygiène de la ville, on a eu des groupes de travail entre élus de la majorité, et puis on a aussi profité de l’expérience importante de « La fabrique des quartiers », une société publique locale d’aménagement, qui est vraiment très compétente sur les sujets de vacance de logements et de réhabilitation à moindre coût. Quand le projet a été prêt, on a souhaité donner une concession à « La fabrique des quartiers » pour porter le dispositif, avec bien entendu des échanges et des discussions avec la ville de Roubaix en permanence.

Quel est le coût total du projet ?

On a chiffré le coût global du projet à 750 000 euros, avec la réflexion, les études juridiques et la concession opérationnelle sur cinq ans. Il y a bien sûr une participation de la ville de Roubaix, une participation de la métropole européenne de Lille via un financement classique, mais aussi avec du financement en nature (la métropole européenne de Lille a apporté trois maisons), un financement de la région, et enfin un financement très important de l’État. Tous ces gens nous ont suivi sur l’expérimentation en se disant que si le résultat est positif, on pourra développer un modèle et le dupliquer sur d’autres communes.

Quel impact attendez-vous de ce projet ?

L’objectif de cette expérimentation est de démarrer un frémissement pensée. Il faut changer les choses. Trouver des solutions pour éviter tous ces logements vides. On veut juste apporter un outil supplémentaire dans la boîte à outils des politiques logement. Les collectivités d’une large palette pour bien travailler sur les politiques habitat, parce que les choses ne sont pas faciles. Roubaix est un territoire où on peut tout expérimenter, parce qu’on a énormément de demandes de logement, et en parallèle on a un parc de logements indignes très important, donc on ne peut pas rester sans rien faire. On veut tenter des expériences. Si ça fonctionne localement c’est très bien, si ça fait frémir les esprits là-haut, c’est encore mieux, et si on accompagne ce dispositif dans d’autres communes,  je pense spécifiquement au rural et au semi-rural, ce sera parfait.