À Lisieux, le dispositif « J’allume ma rue » permet d’économiser de l’énergie sans diminuer la qualité de service

Cette semaine la lettre de l’impact positif s’intéresse à une initiative mise en place par la ville de Lisieux (14). Pour compléter un dispositif d’économie d’énergie mis en place en 2016 (qui éteint les lampadaires chaque nuit entre minuit et 4h), la commune propose à ses habitants, via leur smartphone, d’allumer la rue qu’ils souhaitent emprunter. Après une phase de test qui a été un succès, le programme est en train d’être installé sur l’ensemble du territoire.

Pour en savoir plus, nous avons interviewé Anne-Marie Becret, directrice de cabinet du maire de Lisieux et Olivier Bozzetto, créateur de l’application J’allume ma rue.

Sommaire:

– Mise en place du projet –

D’où est venue l’idée de cette initiative ?

Anne-Marie Becret : En 2016, nous avons décidé d’éteindre de minuit à 4h  les lampadaires dans les quartiers de notre ville. Quand nous avons commencé cette initiative, certains habitants n’étaient pas forcément contents. Cependant, en 2018, nous avons rencontré Monsieur Bozzetto, qui nous a expliqué qu’il avait créé une application appelée J’allume ma rue.  Il avait déjà travaillé son application sur la ville de Pont de l’Arches. Il nous proposait de faire une expérimentation à Lisieux. Nos élu·e·s ont été très intéressés par cette initiative et ont décidé d’expérimenter. Nous avons donc réussi à intégrer en 2018 cette application sur notre application de ville Lisieux et moi crée en 2017. Nous avons mis une petite tuile représentant une ampoule. Notre application ville a été créé pour regrouper tous les besoins et nécessité des habitants. Nous l’avons mis ça en place pour faciliter la vie des habitants. 

Pourquoi avez-vous décidé d’agir dans ce domaine ? 

Nous avions décidé d’éteindre les lampadaires en 2015.  Nous voulons être une ville orientée nature. Nous voulons lutter contre la pollution lumineuse, car la pollution est une menace pour la biodiversité. De plus, nous voulions réduire notre consommation d’énergie. Toutefois, certains habitants n’étaient pas à l’aise avec les rues sans lumière toute la nuit. Nous devions donc trouver une solution. De plus, mettre cette application en marche permettait de sensibiliser et responsabiliser les citoyens et habitants sur la consommation d’énergie. Contrairement à ce que nous aurions pu penser, nous n’avons pas d’allumage intempestif. Les gens sont majoritairement contents et prennent cela au sérieux. 

Quelles ont été les différentes étapes de mise en place ?

Nous avons commencé par installer les boîtiers dans les armoires électriques des quartiers où nous voulions faire l’expérimentation. Les services techniques étaient chargés de cette tâche. Monsieur Bozzetto nous a aidé à ce que ça soit renvoyé sur un ordinateur avec un logiciel pour pouvoir contrôler l’application, changer les horaires si besoin, etc. Ensuite, nous avons fait une campagne de communication à travers des communiqués de presse, flyers, articles de presse. Nous avons aussi fait une campagne de communication en allant au marché et en proposant d’installer l’application pour les personnes ne sachant pas le faire, en travaillant avec les habitants des quartiers, et en faisant des sondages auprès des habitants. La phase d’expérimentation a commencé sur trois quartiers. Avant que cette application existe, nous avions travaillé pour équiper certains lieux de la ville de wifi. Quand nous avons sorti notre application de ville, les jeunes nous disaient qu’ils et elles n’avaient pas forcément assez de forfait internet pour se connecter. Ainsi, nous avons mis des bornes de wifi gratuit, ce qui rend l’offre globale et accessible à tous et toute. L’expérimentation de La rue qui s’allume, ayant très bien réussi, nous sommes aujourd’hui en phase d’extension. Nous allons l’installer dans toute la ville.

Olivier Bozzetto, de votre côté, à quels besoins avez-vous répondu en créant J’allume ma rue ?

Olivier Bozzetto : Il y a avait beaucoup de villes qui, pour des raisons économiques ou écologiques, éteignaient leurs lumières. Par contre, les gens étaient plongés dans le noir. Je trouvais que c’était un peu dommage. C’est bien de faire des économies, mais en même temps les gens ne peuvent pas rester coincés à l’intérieur de chez eux. L’idée n’est pas d’avoir un couvre-feu. Du coup, l’idée était de dire que, comme quand quelqu’un vit dans un immeuble et allume l’interrupteur, ça s’éteint automatiquement au bout de 20 minutes. L’idée était de placer ça à l’échelle d’un quartier ou d’une rue. C’était pour que les habitants restent acteurs dans leur ville. Nous sommes dans deux collectivités pour le moment. Il y a en a d’autres qui sont en train de regarder et d’évaluer le système.

– Le projet aujourd’hui –

Comment fonctionne l’application ?

Anne-Marie Becret : C’est un petit boîtier que nous mettons dans les armoires électriques. Nous n’avons pas d’investissement important en terme de matériel. Le boîtier correspond à n’importe quel type de matériel. Dans notre ville, nous avons différents types de matériels : nous avons des lampes encore très anciennes et nous avons de l’éclairage plus récent qui utilise des lampes LED. Étant donné que c’est équipé sur l’armoire électrique, ça peut correspondre à tout matériel et c’est ça qui est intéressant.

Comment fonctionne cette initiative au quotidien ? 

Quand nous appuyons sur l’ampoule, selon les quartiers qui sont en expérimentation, les habitants voient les lampadaires s’éclairer pendant 10 – 15 minutes. Comme c’est une application géolocalisée, les lampadaires s’allument en fonction du déplacement de la personne allumant les lumières. Nous venons de terminer notre phase d’expérimentation. Ça a été un succès intergénérationnel. Même pour les personnes âgées. 

Quels impacts mesurez-vous ? 

Nous avons eu à peu près 1 375 utilisateurs sur l’ensemble de la ville de septembre 2018 à avril 2019, dont 624 utilisateurs dans les zones équipées. C’est quelque chose qui fonctionne très bien. Quand nous avons dit à la population que nous allions éteindre les lumières la nuit, un sentiment d’inquiétude s’est installé. Les habitants se demandaient s’il y allait avoir plus de vol, plus de vandalisme. Hors, le fait d’éteindre les lumières n’engendre pas plus de vol. Néanmoins, le fait de donner un outil qui permet d’allumer les lumières des rues si nécessaire rassure les habitants. Au niveau de la sécurité, les voitures roulent moins vite. 

Olivier Bozzetto, comment évolue votre application ?

Olivier Bozzetto : Le projet évolue beaucoup. Les gens voient la partie visible, qui est l’application qui permet de rallumer les lumières. Toutefois, derrière, il y a d’autres choses. Il y a une partie administration de l’éclairage public pour les services techniques qui permet de changer des horaires, valider ou dé-valider un quartier en fonction d’urgence, si les pompiers veulent allumer un quartier toute la nuit par exemple. La deuxième partie est la gestion événementielle, s’il y a une fête, une séance de cinéma en plein air, ou autre événement de ce genre. Quelqu’un des services techniques va pouvoir éteindre les lumières à l’heure des projections puis rallumer. C’est aussi possible de programmer un événement à une date précise et déléguer a quelqu’un d’éteindre et d’allumer la lumière juste au moment où il en a besoin. C’est pour éviter d’avoir à envoyer quelqu’un, car tout le monde n’a pas l’autorisation d’aller dans l’armoire pour gérer l’allumage. Tout cela fait partie du service. Le service évolue avec les besoins des collectivités. C’est toujours une discussion avec les services techniques et les remontées des utilisateurs.

Combien coûte votre application ?

O.B : C’est un service client. C’est une moyenne, car plus la ville est équipée, plus les coûts d’abonnement seront restreints pour chaque armoire. Ensuite, il y a un abonnement annuel, payé par les villes. L’abonnement est sous plusieurs phases. C’est à peu près 10 euros par mois. C’est une moyenne, car plus la ville est équipée, plus les coûts d’abonnement seront restreints pour chaque armoire. Ce sont des abonnement GSM 3G. Plus vous mettez d’abonnement sur un contrat, plus vous avez de tarif préférentiel.

Quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

O.B : Il y a beaucoup de maires qui pensent que l’application sera utilisée n’importe comment. Ça fait trois ans que mon application est utilisée, et les gens s’avèrent être responsables. Ils s’approprient le système et l’utilisent bien. Toutes générations l’utilisent aussi. Nous avons pas mal de gens retraités qu’ils l’utilisent. Ils ont souvent du mal a l’installé, mais une fois qu’ils demandent à une personne tiers de les aider, il n’y a plus aucun problème. 

– S’inspirer du projet –

Quels retours avez-vous des habitants ? 

Depuis la fin septembre, nous avons 4 688 rallumages depuis septembre dernier sur 14 boîtiers installés. Cela prouve que les habitants utilisent l’application, tout en sachant que c’est possible de le faire dans un créneau d’heure. Les habitants souhaitent que plus de quartiers soient équipés de boîtiers. Les élu·e·s ont pris cette possibilité en compte dans leur budget de 2019. 

Combien cela vous a-t-il coûté ? 

Nous avons dépensé 7 000 €, majoritairement pour l’achat des boîtiers. Au quotidien, ça ne nous coûte rien d’autre. Nous ne payons pas pour l’application. Nous allons ajouter entre 10 000 et 15 000 € pour installer de nouveaux boîtiers dans les autres quartiers. Nous voyons ça comme un investissement à long-terme, car nous faisons des économies d’énergie en éteignant les lampadaires la nuit. 

Quels conseils avez-vous pour un territoire souhaitant se lancer dans un projet similaire ?

Nous sommes très contents à Lisieux de cette initiative. Nous avons aussi pris le temps de travailler avec les habitants autour de ce projet, ce qui a permit d’avoir des retours positifs. Pour un territoire qui commence de 0, il faut savoir qu’il y a une économie d’énergie importante quand les lumières sont éteintes la nuit. En amont, il faut une bonne information et une pédagogie vis-à-vis des habitants. Ce n’est pas possible d’éteindre les lumières sans en discuter avec les habitants.

Propos recueillis par Claire Plouy