« Construisons ! » : de l’intrapreneuriat pour favoriser le développement des idées des agents du département de l’Isère

Cette semaine la lettre de l’impact positif met en valeur un projet développé par le conseil départemental de l’Isère. Baptisé « Construisons ! », il a pour mission de proposer aux agents de développer leurs idées au sein d’un incubateur interne à la collectivité publique. Objectif : trouver les réponses aux différentes problématiques en partant de solutions proposées par ceux qui travaillent au quotidien sur ces sujets. Cette démarche d’intrapreneuriat permet d’aller plus loin qu’une simple boite à idée. Elle est déjà à l’origine de plusieurs projets et a été récompensée par un prix Territoria Or en décembre dernier.

Pour en parler, Marion Luu, chargée d’innovation au conseil départemental de l’Isère a accepté de répondre à nos questions.

Sommaire:

– Mise en place du projet –

Comment vous est venue cette idée ? 

En début de mandature, Jean-Pierre Barbier, président du Conseil départemental de l’Isère, entame une tournée de toutes les directions de la collectivité.
Interpellé par le nombre et la richesse des idées des agents, il souhaite qu’un dispositif puisse faciliter et encourager, tout au long de l’année, l’innovation du quotidien et le partage à l’échelle de tout le Département, des problématiques et des solutions (ou tentatives de solutions), des bonnes pratiques et de toute facilitation ou amélioration du fonctionnement de la collectivité, comme du service rendu. Le directeur général demande ainsi à la mission innovation d’imaginer un dispositif permettant aux agents de faire remonter leurs idées tout au long de l’année. Plus qu’une boite à idée classique, la mission innovation propose d’ajouter au dispositif une démarche d’intrapreneuriat.

Quelles ont été les différentes étapes de la mise en place ? 

Nous avons décidé de lancer très rapidement le dispositif afin qu’il s’inscrive dans la continuité de la tournée des directions du Président. La première étape a été de réfléchir à un outil de remontée des idées, simple et facilement accessible. Puis de penser la communication, via le comité de direction pour associer les cadres dès le démarrage, mais également via l’intranet et le journal interne.

Comment le projet a-t-il été accueilli par les agents ?
Favorablement, même si nous n’avons pas fait d’évaluation de notre communication. L’afflux massif des idées au démarrage de la démarche (48 dès le premier mois) nous a prouvés que le message, la promesse étaient engageant et donnaient confiance et envie aux agents. Nous avons fait une communication transparente, qui ne promettait pas que les idées seraient forcément réalisées mais que l’équipe Construisons ferait son possible pour accompagner leur étude de faisabilité. Notre phrase signature est d’ailleurs « ceux qui pensent que c’est impossible sont priés de ne pas déranger ceux qui essaient ».

Y a-t-il besoin d’une volonté politique pour favoriser l’innovation ? 

Oui, il y a au sein du Département une forte volonté politique à l’innovation avec une vice-présidente dédiée très dynamique et engagée.

En quoi un projet mené par un agent répond (très souvent) à une véritable problématique ? 

Tout projet doit répondre à une problématique. Je dirai donc que cela dépend de la manière dont est communiqué le dispositif, sur quels sujets et dispositifs sont attendues les propositions des agents. La démarche doit être cadrée sinon il peut y avoir des risques que les idées passent à côté d’un réel besoin. Dans Construisons, les idées portant sur ces 2 thèmes seront prioritairement analysées : le futur de l’administration (modernisation des services, transformation numérique), la qualité de vie au travail (nouveaux lieux et pratiques de travail). Nous réfléchissons à mettre en place à l’avenir des appels à projet thématique avec un jury de sélection des propositions ayant le plus d’impact.

– Le projet aujourd’hui –

Comment le projet fonctionne-t-il concrètement ?

Tout agent peut, via un formulaire en ligne, mais également via des cartes postales :
Partager une bonne pratique réalisée ou simplement expérimentée (qu’elle ait réussi ou non) au sein de sa direction
Proposer une idée d’amélioration sur des projets ou des pratiques de la collectivité, dans la perspective de la concrétiser et de la diffuser dans la collectivité
Communiquer sur un problème identifié qui demanderait une recherche de solution effectuée par et pour le collectif

Par la suite, les agents sont tous contacté personnellement afin de clarifier l’idée et de s’assurer que la réponse à la problématique. Puis les idées qui ne rentrent pas dans des projets déjà existant dans la collectivité sont soumises à la validation du directeur général pour répondre aux critères pré-cités. Les idées ayant un fort impact peuvent bénéficier d’un accompagnement spécifique par l’équipe Construisons pour réaliser l’étude de faisabilité.

Quel accompagnement donnez-vous aux agents ? 

L’accompagnement est multiforme. Car les idées sont de nature différente :
des idées faciles à mettre en place, peu coûteuses qui présentent un plus immédiat pour la collectivité. L’agent porteur de l’idée a la possibilité de l’expérimenter
des idées faciles à mettre en place dont l’impact est moins évident pour la collectivité. L’agent porteur de l’idée peut mener une enquête préalable
des idées prometteuses moins faciles à réaliser. L’agent porteur de l’idée peut être accompagné pour une étude de faisabilité
des idées qui sont déjà développées au sein des directions métiers, pour lesquelles un lien est fait entre le porteur d’idée et la direction concernée.

Dans tous les cas, l’équipe Construisons écoute et accompagne l’agent à la clarification de son idée. Pour les trois premiers cas, l’accompagnement va plus loin. L’agent est légitimé dans son rôle de porteur d’idée et peut le cas échéant disposer de temps, avec l’accord de sa hiérarchie, pour étudier la faisabilité de son idée et l’expérimenter. Il apprend alors avec l’équipe Construisons dans l’action de méthodes de gestion de projet et d’entrepreneuriat : cartographie des acteurs, parcours usagers, étude de marché, analyse financière et juridique.

Pouvez-vous nous donner des exemples de projets développés grâce à « Construisons » ? 

Oui. Voici trois exemples de projets développés :

  • Une plateforme collaborative de mutualisation des espaces des collèges hors temps scolaires : la préfiguration d’une plateforme numérique de mise en lien entre demandes d’espace à louer et offres d’espace disponibles.
  • L’application des bureaux : une application mobile permettant de mettre en lien l’offre de bureau libre (sur temps d’absence) et la demande de bureau (pour les agents de passage à l’Hôtel du Département).
  • L’Accorderie des savoir-faire : des échanges de coups de pouce entre agents sur des savoir-faire professionnels
    Partage de passions entre agents sur le temps méridien : un agent propose un temps de partage collectif pour échanger sur sa passion et apporter son expertise sur le sujet

Qu’est-ce que cela change par rapport à une innovation venant d’un schéma classique ? 

La différence par rapport à un schéma plutôt « classique », vient certainement du fait que la proposition de valeur est issue des agents eux-mêmes qui s’approprient une problématique de terrain et proposent eux-mêmes une solution. De même, le dispositif Construisons s’inscrit dans une volonté forte de transversalité et de diffusion de méthodologie projet. Un agent peut sortir de son cadre habituel, apporter son expertise sur un sujet qui sort de sa fiche de poste.

Quel est le taux de réussite des projets que vous pouvez suivre ? 

Le taux de réussite est un indicateur très subjectif. Tout dépend ce que nous estimons avoir réussi. À ce jour le nombre d’idées réellement mises en œuvre est encore trop faible pour avoir des statistiques très fiables. Toutes les idées ont suivi des voies différentes, et ce n’est pas parce qu’elles sortent du dispositif qu’elles ont pour autant échoué. La méthode, le chemin parcouru par l’agent compte autant que la réalisation concrète des idées.

– Dupliquer le projet –

Quelle dynamique l’initiative a-t-elle pu engendrer dans la collectivité ? 

C’est certainement encore prématuré pour parler de nouvelle dynamique. Construisons offre l’opportunité de penser différemment les projets qui peuvent être portés (ou tout du moins initiés) par les agents eux-mêmes. Cette dynamique est poussée et portée par l’esprit d’ouverture de la direction générale et des élus.

Avez-vous commencé à mesurer l’impact de votre initiative ? 

Nous allons très prochainement réaliser une évaluation du dispositif.

Combien a-t-elle coûté au département ? 
Le seul coût pour le Département a été l’accompagnement de notre premier agent intrapreneur durant 6 semaines (à raison d’1 journée par semaine) par l’association l’Arche aux innovateurs. Cet accompagnement a permis une formation-action de l’agent et de l’équipe Construisons à des méthodes d’incubation de projet qui ont pu être réutilisée sur d’autres idées et vont permettre de préfigurer un laboratoire d’expérimentation. À noter qu’un ½ ETP est dédié à ce dispositif.

Quelles ont été les difficultés rencontrées ? 
La principale difficulté est le temps que tout acteur du dispositif peut accorder à l’idée, soit dans l’accompagnement du porteur d’idée, soit du porteur d’idée lui-même pour réaliser l’étude de faisabilité. Les idées incubées dans Construisons, sont, par définition des idées nouvelles qui ne sont réalisées par aucune direction, cela doit donc s’intégrer à une feuille de route déjà programmée. À la problématique de temps, s’ajoute celle des ressources. Incuber une idée et accompagner un agent demande des ressources et des compétences : aider l’agent à se doter de méthodologie, l’aider dans la connaissance de la collectivité et dans les étapes clés d’une gestion de projet réussie. À ce jour, seules les deux chargées de missions de la mission innovation réalisent ce travaille en plus des autres projets développés au sein de la cellule. Le souhait, à terme, est de trouver des « coachs idées » au sein de la collectivité qui pourraient venir en renfort sur la base d’un contrat-temps.

Politiquement, est-ce un sujet difficile à porter ? 
Non, au contraire, nous avons un portage politique fort, qui engendre une vraie dynamique d’innovation au sein du Département de l’Isère.

Propos recueilli par Baptiste Gapenne